Lorsque j'ai trouvé au hasard de mes promenades googleliennes ces différents textes sur les tissus
j'ai aussitôt pensé aux créations de Christine Fayon.
Voici donc aujourd'hui sur les Grigris de la lecture et de la couleur !
Dostoïevski dans l’Idiot
Autour, en désordre, sur le lit, au pied du lit, au chevet,
dans un fauteuil, et même par terre, on voyait, éparpillés, des
vêtements, une riche robe de soie blanche, des fleurs, des rubans
Flaubert dans Madame Bovary
Des moires frissonnaient sur la robe de satin blanche comme
un clair de lune ; et il lui semblait que, s’épanchant au dehors
d’elle-même, elle se perdait confusément dans l’entourage des choses,
dans le silence, dans la nuit, dans le vent qui passait, dans les
senteurs humides qui montaient.
Marcel Proust, dans la Prisonnière
« La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me
semblait comme l ‘ombre de cette invisible Venise. Elle était envahie
d’ornementation arabe comme Venise, comme les palais de Venise
dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres,
comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes
desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort
et la vie, se répétaient dans le miroitement de l’étoffe, d’un bleu
profond qui, au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se
changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui devant la
gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du Grand
Canal. Et les manches étaient doublées d’un rosé cerise, qui est si
particulièrement vénitien qu’on l’appelle rosé Tiepolo. »
Émile Zola dans Les épaules de la marquise
La marquise dort dans son grand lit, sous les larges
rideaux de satin jaune. À midi, au timbre clair de la pendule, elle se
décide à ouvrir les yeux.
La chambre est tiède. Les tapis, les draperies des portes et
des fenêtres, en font un nid moelleux, où le froid n’entre pas. Des
chaleurs, des parfums traînent. Là, règne l’éternel printemps.
Émile Zola encore, toujours dans Les épaules de la marquise
Le reflet bleuâtre de la neige emplit la chambre d’une
lumière toute gaie. Le ciel est gris, mais d’un gris si joli qu’il
rappelle à la marquise une robe de soie gris-perle qu’elle portait, la
veille, au bal du ministère. Cette robe était garnie de guipures
blanches, pareilles à ces filets de neige qu’elle aperçoit au bord des
toits, sur la pâleur du ciel. (…)Toute une génération a déjà vieilli
dans le spectacle des épaules de la marquise. Depuis que, grâce à un
pouvoir fort, les dames de naturel joyeux peuvent se décolleter et
danser aux Tuileries, elle a promené ses épaules dans la cohue des
salons officiels, avec une assiduité qui a fait d’elle l’enseigne
vivante des charmes du second empire. Il lui a bien fallu suivre la
mode, échancrer ses robes, tantôt jusqu’à la chute des reins, tantôt
jusqu’aux pointes de la gorge ; si bien que la chère femme, fossette à
fossette, a livré tous les trésors de son corsage. Il n’y a pas grand
comme ça de son dos et de sa poitrine qui ne soit connu de la Madeleine à
Saint-Thomas-d’Aquin. Les épaules de la marquise, largement étalées,
sont le blason voluptueux du règne.
Balzac dans Les secrets de la Princesse de Cadignan
Elle avait mis une robe de velours bleu à grandes manches
traînantes, à corsage apparent, une de ces guimpes en tulle légèrement
froncée, et bordée de bleu, montant à quatre doigts de son cou et
couvrant les épaules.
Balzac dans Eugénie Grandet
A Tours, un coiffeur venait de lui refriser ses beaux
cheveux châtains ; il y avait changé de linge, et mis une cravate de
satin noir combinée à un col rond, de manière à encadrer agréablement sa
blanche et rieuse figure. Une redingote de voyage à demi boutonnée lui
ponçait la taille, et laissait voir un gilet de cachemire à châle sous
lequel était un second gilet blanc. (…) Son pantalon gris se boutonnait sur les côtés, où des dessins brodés en soie noire enjolivaient les coutures.
Baudelaire dans Le Spleen de Paris
Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre
véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement
teintée de rose et de bleu.
L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le
désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de
rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.
Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les
meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie
somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une
langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils
couchants. (…) La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et
devant le lit; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est
couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ?
Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de
rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais.
Vers à soie de Jacques Roubaud
Les vers à soie murmurent dans le mûrier
ils ne mangent pas ces mûres blanches et molles
pleines d’un sucre qui ne fait pas d’alcool
les vers à soie qui sont patients et douillets
mastiquent les feuilles avec un bruit mouillé
ça les endort mais autour de leurs épaules
ils tissent un cocon rond aux deux pôles
à fil de bave, puis dorment rassurés
En le dévidant on tire un fil de soie
dont on fait pour une belle dame une robe
belle également qu’elle porte avec allure
Quand la dame meurt on enterre la soie
avec elle et on plante, sur sa tombe en octobre,
un mûrier où sans fin les vers à soie murmurent.
Toujours pas ? Alors on monte d’un cran
Victor Hugo – La rose de l’infante
Sa basquine est en point de Gênes ; sur sa jupe
Une arabesque, errant dans les plis du satin,
Suit les mille détours d’un fil d’or florentin.
La rose épanouie et toute grande ouverte,
Sortant du frais bouton comme d’une urne verte,
Charge la petitesse exquise de sa main ;
Victor Hugo – Pepita
Dans sa résille de soie
Pepa mettait des doublons ;
De la flamme et de la joie
Sortaient de ses cheveux blonds.
Tout cela, jupe de moire,
Veste de toréador,
Velours bleu, dentelle noire,
Dansait dans un rayon d’or.
Gérard de Nerval – Les papillons
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d’argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D’un or verdâtre et changeant.
Charles Baudelaire le Spleen de Paris
Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur
ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d’un ton clair et rose,
tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa
taille longue, son dos creux et sa gorge pointue.
Son ombrelle rouge, tamisant la lumière, projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets.
Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête
délicate et lui donne un air triomphant et paresseux. De lourdes
pendeloques gazouillent secrètement à ses mignonnes oreilles.
De temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe flottante
et montre sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds
des déesses de marbre que l’Europe enferme dans ses musées, imprime
fidèlement sa forme sur le sable fin. Car Dorothée est si
prodigieusement coquette, que le plaisir d’être admirée l’emporte chez
elle sur l’orgueil de l’affranchie, et, bien qu’elle soit libre, elle
marche sans souliers.
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