dimanche 20 septembre 2009

BERNARD COULON A MAASTRICHT (2)

MANIFESTAMAASTRICHT



« Il n’est de beau poème qu’un poème imposé à l’auteur par une puissance intime », disait Robert Desnos, et il me semble que, dans le domaine plastique, cette remarque s’applique parfaitement au travail de Bernard Coulon, aux fragments de l’énigme qui nous réunit en ces lieux.
Née de la destruction à la hache, en un geste fondateur particulièrement signifiant, des toiles de ses débuts, cette œuvre singulière s’impose par-delà la disparition de son créateur, comme aussi fascinante qu’exceptionnelle, tant dans ce qu’elle fait voir à celui qui regarde que dans ce qu’elle dévoile de la personnalité de l’artiste. Exceptionnelle par sa richesse et la profondeur du questionnement qu’elle recèle, cette œuvre est également fascinante à plusieurs niveaux : au niveau esthétique, d’abord, par la beauté des structures qui la composent, quelle que soit la période considérée, au niveau intellectuel ensuite, par ce qu’elle suppose de rigueur dans la démarche, rigueur qui transparaît dans la qualité des croquis préparatoires comme dans la minutie de la réalisation, au niveau spirituel enfin par sa dynamique interne et le mystère qui l’habite.
Particulièrement inclassable, elle relève de la peinture, de la sculpture, du dessin, de l’architecture et même dans les derniers temps de l’art du maître-verrier. Bernard Coulon a toujours eu recours au verre, peut-être pour protéger ses œuvres, surtout pour créer une médiation, voire une distance entre elles et le spectateur. En effet, elles ne se donnent jamais, mais sont à conquérir, à apprivoiser. Le verre, qui isole le travail du monde extérieur, ménage un espace plus ou moins marqué où résonne sur fond de quête du sens et sous forme d’un rythme dans l’harmonie ce qui est sans doute la seule véritable préoccupation de cet amateur de musique : le rapport de l’être à l’art. Travail sur l’opacité, la translucidité, la transparence, chaque œuvre se compose d’une ou plusieurs plaques de verre, superposées, parfois peintes, marquées de signes, gravées ou dépolies par endroits, ce qui explique la multiplicité des tons, à moins qu’elle ne soit constituée de fragments de carton, de papier, adoptant parfois des formes proches de celles que l’on peut voir dans certaines des dernières œuvres de Tanguy. Les couches de verre, jusqu’à trois dans certains cas, arrêtent le regard, le filtrent dans les œuvres murales, tandis que les stèles, que traverse la lumière, relèvent d’une certaine forme de mysticisme, celui, un peu désespéré, d’un homme qui écrivait peu de temps avant sa disparition : « Je peins pour tuer ma mort ».
Cette œuvre, qui est d’abord un cheminement de la pensée dans la matière, un piège à temps, aussi, nous interroge sur l’essentiel, sur ce qu’il faut bien considérer comme le sacré, faute de terme plus adéquat, du fait de sa nature clairement métaphysique, en une quête dans l’abstraction des causes premières et des fins dernières, « peut-être une prière, au sens religieux », disait l’artiste. Des reliefs peints aux partitions et aux alphabets de ces signes perdus dont la quête le hantait, mais dans un perpétuel balancement entre le voilé et le dévoilé, le lisible et le suggéré, le montré et le celé, qui interroge à un autre niveau que celui simplement de l’esthétique, le travail trouble par son austérité que trahit la méfiance à l’égard de la couleur.
Il faut en effet attendre les dernières créations pour voir vraiment celle-ci réapparaître, avec une force, il faut bien le dire, qui n’est pas sans faire songer à ces hommes de foi qui, au temps du gothique, donnèrent l’éclat de leur âme au chœur des cathédrales. Il n’est pas indifférent qu’un grand nombre des dernières œuvres de Bernard Coulon soient des stèles, dont la verticalité symbolise une certaine forme d’élévation, à la manière de ces monuments mégalithiques de nos contrées ou de ceux que nous dressons pour honorer nos disparus et établir un lien entre la terre qui les abrite et la voûte étoilée qui scintille sereinement sur nos têtes.
Bernard Coulon, à propos de ce qu’il faisait, avait écrit : « Mon travail n’est pas plus que celui de l’homme préhistorique qui laisse un signe, une trace dans l’espace et le temps. De simples signes, et non une écriture, à moins que l’écriture ne soit que des signes qui se tordent, qui dansent, qui questionnent le vide ». Ce sont ces traces que je vous invite à suivre maintenant, en cherchant votre propre voie, d’alphabet en partition, entre les Veilleurs du Temps et ceux du Silence, impassibles…

Patrick Lepetit, septembre 2009.



Merci à Marie pour ces deux photos .....


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