A ceux qui prendraient la boutade provocatrice de Man Ray au pied de la lettre et croiraient que « la photographie n’est pas l’art », les images d’Apolline Lepetit apportent un démenti magistral. D’abord, parce que certains montages donnent corps à l’onirisme d’un univers singulièrement imaginatif. Ensuite, parce que, même si ce que l’on voit dans le rectangle de papier glacé existe par ailleurs, en dehors de l’objectif, même si nul burin ne le sculpta, si nul pinceau ne le traça, il est des yeux qui façonnent le monde avec autant d’acuité que le ciseau de Praxitèle.
« The look », le regard. Ainsi surnommait-on Lauren Bacall. Assurément, Apolline Lepetit mérite autant le titre. Sauf que le sien est derrière l’objectif. Un regard puissamment créateur qui invente, littéralement, ce que nul autre n’aurait vu : la danse ténue d’un brin d’herbe dans l’interstice gris d’un caniveau ; le tricot de fer d’un grillage qui habille l’horizon azuré ; le maillage métallique d’une architecture utilitaire soudain sublimé par un contrechamp ouvert sur l’opulence d’un ciel nuageux ; un escalier d’acier ajouré qui se retrouve soudain, tout étonné, sous les feux de la rampe ; les infimes reliefs d’un lichen qui se prend pour la Chaussée des Géants ; un bigorneau plus moiré qu’un article de joaillerie, ou encore des autoportraits exigeants dénués de toute coquetterie …
Shakespeare faisait entrer le monde et ses passions sur une scène. Apolline Lepetit fait plus fort que « the world’s stage » du grand Will. Elle invente « the world’s drop » : le monde entier dans une goutte d’eau. Une maison dans le reflet nacré d’une sphère liquide, la minuscule plénitude d’une voûte céleste qui contient encore la lisse immensité dont elle est tombée : un microcosmos soudain pétrifié dans la glace lumineuse de l’immobile.
Apolline pratique le saut d’échelle vertigineux et cultive le gigantisme du minuscule.
Par un art très méticuleux du cadrage, elle a le don de choisir l’angle unique qui maintiendra le spectateur dans l’incertitude des dimensions. Par de malicieux gros plans, elle entretient une fascination née de l’hésitation : on se demande si le visage de bronze patiné par les ans est celui d’une sculpture monumentale, avant de comprendre qu’il s’agit de ces petites figurines articulées qui retiennent les volets contre les murs pour les empêcher de battre aux quatre vents. Apolline a le génie de l’angle aigu découpé en douceur qui induit en erreur pour mieux donner à voir. Et l’on se laisse manipuler avec plaisir par ces pistes indécises.
Les cinéphiles parlent de « the Lubitsch touch ». On découvre maintenant le style déjà si reconnaissable de « the Apolline touch ».
A travers une palette particulière faite de noirs et blancs veloutés, d’ocres et de sépias déposés par l’épaisseur du temps, de filtres qui manient le contraste entre nuances de gris et poche de couleur éclatante, elle laisse se découper la netteté d’un tranchant monochrome sur l’écrin estompé d’un paysage miniature, et suggère les textures métalliques ou végétales jusqu’à les rendre palpables, offrant au grain de la matière une présence tactile.
Que ce soit au ras du bitume, dans un recoin de jardin lessivé par la pluie, dans les allées rouillées d’un cimetière marin, parcourir les photos apolliniennes, c’est se laisser inviter à une flânerie nonchalante d’une lumineuse mélancolie où l’on devine que la lenteur du pas est proportionnelle à la douce fulgurance du regard.
Rarement la photographie aura aussi bien mérité son étymologie : « écriture de lumière ».
Apolline Lepetit est à la photographie ce que Christian Bobin est à l’écriture : un virtuose de l’infime. Ses images s’ajustent à la prose du poète :
« Les brins d'herbe passent leur temps à ça : danser au moindre prétexte et remercier pour les grâces chaque jour reçues »
« The look », le regard. Ainsi surnommait-on Lauren Bacall. Assurément, Apolline Lepetit mérite autant le titre. Sauf que le sien est derrière l’objectif. Un regard puissamment créateur qui invente, littéralement, ce que nul autre n’aurait vu : la danse ténue d’un brin d’herbe dans l’interstice gris d’un caniveau ; le tricot de fer d’un grillage qui habille l’horizon azuré ; le maillage métallique d’une architecture utilitaire soudain sublimé par un contrechamp ouvert sur l’opulence d’un ciel nuageux ; un escalier d’acier ajouré qui se retrouve soudain, tout étonné, sous les feux de la rampe ; les infimes reliefs d’un lichen qui se prend pour la Chaussée des Géants ; un bigorneau plus moiré qu’un article de joaillerie, ou encore des autoportraits exigeants dénués de toute coquetterie …
Shakespeare faisait entrer le monde et ses passions sur une scène. Apolline Lepetit fait plus fort que « the world’s stage » du grand Will. Elle invente « the world’s drop » : le monde entier dans une goutte d’eau. Une maison dans le reflet nacré d’une sphère liquide, la minuscule plénitude d’une voûte céleste qui contient encore la lisse immensité dont elle est tombée : un microcosmos soudain pétrifié dans la glace lumineuse de l’immobile.
Apolline pratique le saut d’échelle vertigineux et cultive le gigantisme du minuscule.
Par un art très méticuleux du cadrage, elle a le don de choisir l’angle unique qui maintiendra le spectateur dans l’incertitude des dimensions. Par de malicieux gros plans, elle entretient une fascination née de l’hésitation : on se demande si le visage de bronze patiné par les ans est celui d’une sculpture monumentale, avant de comprendre qu’il s’agit de ces petites figurines articulées qui retiennent les volets contre les murs pour les empêcher de battre aux quatre vents. Apolline a le génie de l’angle aigu découpé en douceur qui induit en erreur pour mieux donner à voir. Et l’on se laisse manipuler avec plaisir par ces pistes indécises.
Les cinéphiles parlent de « the Lubitsch touch ». On découvre maintenant le style déjà si reconnaissable de « the Apolline touch ».
A travers une palette particulière faite de noirs et blancs veloutés, d’ocres et de sépias déposés par l’épaisseur du temps, de filtres qui manient le contraste entre nuances de gris et poche de couleur éclatante, elle laisse se découper la netteté d’un tranchant monochrome sur l’écrin estompé d’un paysage miniature, et suggère les textures métalliques ou végétales jusqu’à les rendre palpables, offrant au grain de la matière une présence tactile.
Que ce soit au ras du bitume, dans un recoin de jardin lessivé par la pluie, dans les allées rouillées d’un cimetière marin, parcourir les photos apolliniennes, c’est se laisser inviter à une flânerie nonchalante d’une lumineuse mélancolie où l’on devine que la lenteur du pas est proportionnelle à la douce fulgurance du regard.
Rarement la photographie aura aussi bien mérité son étymologie : « écriture de lumière ».
Apolline Lepetit est à la photographie ce que Christian Bobin est à l’écriture : un virtuose de l’infime. Ses images s’ajustent à la prose du poète :
« Les brins d'herbe passent leur temps à ça : danser au moindre prétexte et remercier pour les grâces chaque jour reçues »
Pas de plus limpide illustration que ses gouttes d’eau pour cette confidence du poète, si l’on ôte à la larme sa tristesse pour n’en garder que la ronde transparence : « J’ai grandi à l’intérieur d’une larme. »
La seule vision dont naissent ces images suffit amplement à impressionner, et pas seulement la pellicule. Et l’on hésite presque à mentionner un détail qui fait parfois office de circonstance atténuante pour compenser telle ou telle faiblesse. Ici, nulle carence à expliquer, nul besoin d’invoquer la béquille de la performance, cette fâcheuse tendance d’une partie de l’art contemporain à confondre art et cirque, où les circonstances de création occultent parfois un résultat qui ne vaut que par l’originalité d’un procédé surfait où il se dissout.
Non, c’est là au contraire une œuvre véritable qui s’impose par elle-même et pour elle-même, dans le tranquille déploiement de l’évidence.
Et pourtant, comment résister à l’envie de mentionner l’âge du capitaine ? Car l’œil qui gouverne la flotille de ces tableaux minutieusement composés n’a que quinze printemps.
Car « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. »
Anne Paulerville
Anne Paulerville a décidemment une très belle plume pour parler de la poésie del'oeil des photos d'Apolline. Un grand bravo à toutes les deux. PAPOU
RépondreSupprimerQuel beau texte! tu dois être fière de ta fille!
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