jeudi 19 mai 2011

PIERRE TOULHOAT ET LA LEGENDE DE LA VILLE D'YS

Lors de notre visite au Musée départemental breton de Quimper j'ai découvert une oeuvre de
PIERRRE TOULHOAT ....concernant LA VILLE D'YS .
Cette légende a bercé mon enfance .
En rentrant à la maison et en tapant le nom de PIERRE TOULHOAT j'ai eu la surprise de trouver  un site remarquable, de splendides créations .
C'est un site qui mérite un long détour :
http://www.toulhoat.com/ !






Alors que je pensais transcrire ici LA LÉGENDE DE LA VILLE D'YS , je vous livre le très intéressant texte de PIERRE TOULHOAT :

"Vers le V° siècle de notre ère, régnait sur la Cornouaille armoricaine le grand roi Gradlon(Gradlon Meur). La ville d’Is, sa capitale,était au péril de la mer et défendue par des levées pourvues d’écluses, dont Gradlon gardait la clef, pendue au col.
Une nuit, pendant son sommeil, sa fille Dahut,sur l’instigation, dit-on, d’un amant,déroba la clé, ouvrit l’écluse, et submergea la ville.
Le roi réveillé par saint Gwenolé put fuir à cheval, Dahut en croupe, et devant le flot
qui le talonnait, il dut se débarrasser de sa fille.
Selon certaines versions de la complainte d’Is, Gwenolé qui partageait aussi la monture du roi aurait refoulé Dahut de ses saintes mains. Selon d’autres, chevauchant aux côté de Gradlon, il lui aurait simplement conseillé le geste libérateur.
D’autres, enfin, disent que Gwenolé aurait simplement maudit Dahut et laissé au seul doigt de Dieu le soin de la pousser aux flots.
En fait, Gwenolé, depuis longtemps, déplorait l’inconduite de la fille et la dépravation des jeunes gens d’Is. A temps et à contretemps prophétisait la vengeance de Dieu, mais les fols n‘en riaient que plus fort et les
sages disaient : Amzer Zo ! (nous avons le temps !).
Bref, la catastrophe fut complète et seuls survécurent quelques justes (pas tous !) et d’autres qui étaient, cette nuit-là, en voyage.
Après les cérémonies d’usage, Gradlon se retira en son palais de Quimper, aux calmes bords de la rivière Odet et au-dessus du niveau des plus hautes marées d’équinoxe.
Les moines de Gwenolé consignèrent la tragédie dans leurs annales, et la mirent en vers propres à être chantés. L’air était beau et les paroles tragiques à souhait, la complainte eut un succès rapide et durable.
Puis Gradlon mourut d’âge et de regret.
Alors revinrent les Normands qui pillèrent et brûlèrent villes, palais et monastères. Et l’histoire d’Is s’enfonça dans la nuit des temps, portée de bouche à oreille, de mémoire à mémoire.
Ramendeuse de souvenirs déchirés, brodeuse en événements, la tradition orale fi t de l’histoire d’Is la légende exemplaire que nous connaissons. Et que nous ne sommes pas seuls à chanter, car Gallois et Irlandais ont aussi leur ville d’Is.
La ville engloutie gît dans toutes les mémoires collectives, sur les bords de la mer celtique. Comme
si, au fond des âges, un affaissement des terres d’occident ou une montée de la mer avait insensiblement
obligé telles cités à s’endiguer jusqu’à ce qu’advienne l’irréparable naufrage, par raz de marée brutal ou progression insidieuse des eaux !
Un géographe de Ravenne écrivait au XVI° siècle : « La partie de la Bretagne où le monde prend fin,
s’appelle « La Bretagne dans les Marais ». Cette région a possédé un certain nombre de villes. »
Il désignait ainsi une zone de terres basses entre la côte actuelle et les îles voisines : Ouessant, Molène,
Sein, les Glénan, Houat, Hoedic,Groix, Belle-Ile. Il en subsiste maints palus et autres brières, et l’on retrouve la tourbe et des terres arables sous le sable des grèves, comme au fond des baies se révèlent des forêts
de chênes et de hêtres, à l’occasion de grandes marées. De nombreux mégalithes sont plantés en mer, tandis que des tombes néolithiques, ou de l’âge du bronze, sont devenues cimetières marins.
Ker Is, la ville (ou chacune des villes d’Is) était probablement appelée ainsi parce que
bâtie en un lieu bas. Is = Izel : bas (opposé à haut). Etait-elle dans la baie des Trépassés ? Dans la baie d’Audierne, dans la baie de Douarnenez ? Entre Bénodet et les Glénan, sur la rive maintenant immergée de l’Odet ?
L’archéologie des mers celtiques est encore à naître, mais je sais des plongeurs qui gardent en leur coeur cuirassé d’un triple néoprène, le secret espoir de ramener aux quatre vents les cloches de la ville d’Is.
Bien sûr, il est plus facile de pêcher l’amphore et le chapiteau dans le bassin méditerranéen.
Alors, en attendant que la clé perdue de la ville d’Is nous soit rendue, force nous est d’admettre qu’elle exista « pour de bon », puisqu’on la chante depuis si longtemps. Une ballade galloise attribuée au barde Gwydno célèbre, au V° siècle, la ville engloutie ! Une version écrite en a été datée du XII° siècle.
Marie de France, en son Lai de Gradlon Meur, fait écho à une vieille et constante tradition bretonne.
A la fi n du XVI° siècle, un prêtre de Plogonnec colligea en une pièce de vers ce que ses voisins riverains de la baie de Douarnenez racontaient de « leur ville d’Is ».
En 1794, le probe Cambry, économiste et humaniste, explorant le Finistère, transcrit la légende que lui content les Douarnenistes.
Vers 1830, Émile Souvestre narre dans son Foyer breton une légende d’Is dans le goût romantique (un peu Tour de Nesle sur les bords).
Puis en 1839 paraît le monumental Barzaz Breiz (chants populaires de la Bretagne de Hersart de la Villemarqué).
L’auteur y donne dans une forme parfaite une très belle version du « gwerz » en dialecte de Cornouaille, recueillie dans la région de Tregunc d’une paysanne illettrée.
[D’aucuns accusent H. de Villemarqué de l’avoir forgée avec les matériaux de Souvestre.
Si l’accusation est fondée, H. de la Villemarqué est un très grand poète – classe 12 m.J.I.– (1) Si elle ne l’est point, c’est bien le peuple breton qui a un singulier génie poétique].
Une autre version de la ballade, d’un certain Olivier Souêtre, paraît anonymement en 1850, également très belle de langage et de prosodie. Diffusée par les chanteurs ambulants, elle connut un énorme succès populaire. Je garde un souvenir très vif d’une grand-tante chantant la complainte en vaquant à son ménage ou en cardant la laine. Elle avait quelque quatre-vingts ans : illettrée, elle aurait fait le bonheur d’un folkloriste
à magnétophone comme on les fait maintenant.
Sous ses avatars, la légende d’Is n’a jamais cessé de couler parmi le peuple breton comme
un courant souterrain dont les résurgences sont imprévisibles en temps, lieu et forme ! Elle a tiré des larmes à George Sand, inspiré son Roi d’Is à Lalo, conduit H. de la Villemarqué à l’Institut, servi de diapason à
Max Jacob, juif, parisien, mais cornouaillais de Quimper, lorsqu’il écrivait ses chants de Morven le Gaélique, donné à Queffélec la matière de Tempête sur la ville d’Is.
La ville engloutie restera pour longtemps un excitant poétique de premier ordre, car elle touche de près aux craintes fondamentales : peur de voir s’ouvrir la terre – peur de recevoir sur la tête le ciel et les étoiles – peur de voir surgir l’Océan. Et son induction s’exerce sur la vie quotidienne de ceux qui vivent « là où le monde prend fin ».
Is est en eux, et ils vous montrent çà et là les chemins oubliés qui menaient à « la ville ».
Ceux de Douarnenez disputent aux gens d’Audierne la succession d’Is. Gwenolé, Gradlon, Dahut, continuent à rôder sur les lieux du drame, écrits en belles lettres à doubles queues sur les chalutiers bleus, rouges et verts ! Vous pouvez commander un « Gradlon Supérieur 12° 5 » au café de « la ville d’Ys », coucher à l’hôtel du Roi-Gradlon ou de la Ville-d’Is, emprunter les rues du même nom, au choix de l’Ile de Sein, à Quimper, à Douarnenez, Camaret, à Audierne ! Assister à un match entre gas d’Is et sangliers du
Juch.
Et les douarnenistes viennent de placer une artère non négligeable bien que sans issue, sous le patronage de l’impudique Dahut, au motif qu’elle se trouva un jour, le dernier, dans une impasse(rég. délib. cons. municip.).
Et des gens continuent à s’appeler Grall, qui est un si beau nom, et royal ! à baptiser
leurs enfants Gwenolé ! D’autres s’appellent Kerisit dans la région d’Audierne (Le Cap) et se veulent textuellement : habitants de la ville d’ls. Des grammairiens leur opposent que Kerisit n’est qu’un collectif de Keris : citadin.
Ce à quoi les Kerisit répliquent que de Kerisit à Kerisis il n’y a que l’épaisseur d’un cheveu sur la langue bretonne, et qu’en outre, si ville il y a, ce ne peut être qu’Is, la  ville par excellence, et que par conséquent ils
en sont issus!
Et si à votre question : « quoi de neuf à Audierne ? » un monsieur Kerisit vous répond : « Netra, nemet traou koz ! » (Rien, sinon de vieilles choses!) il fait une citation : un vers de la complainte!
Et interrogé sur la pluie ou le beau temps, un vieux capiste peut fort bien vous dire : « J’entends les cloches d’Is! », ce qui signifie qu’on peut s’attendre à des précipitations atmosphériques accompagnées d’éclaircies
locales.
Mais surtout, ne dîtes jamais, jamais, d’une dame dont vous connûtes les débordements : « C’était une sacré Dahut! » Non, ne le dîtes pas, par pitié pour le pauvre vieux roi Gradlon – car il veille, à cheval entre les
tours de sa cathédrale, un oeil sur le grand Quimper, un autre sur le royaume englouti, là-bas entre Ouest et Nord-Ouest. Il veille, et il écoute et hume le vent de mer."

http://www.museedepartementalbreton.fr/

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