samedi 2 juillet 2011

LA MAITRESSE DES EPICES DE CHITRA BANERJEE DIVAKARUNI




« Ah, l’attrait de ce danger !
Ils m’aiment parce qu’ils sentent que je comprends cela. Ils me détestent aussi un peu pour la même raison.
Et puis, il y a les questions que je pose. A la femme dodue vêtue de caleçons en polyester qui peluche et d’une tunique achetée chez Safeway , les cheveux rassemblés en un chignon serré, qui se penche au-dessus d’un petit monticule de piments verts qu’elle choisit avec le plus grand sérieux : « Est-ce que votre mari a retrouvé du travail depuis le licenciement ? »
A la jeune femme qui entre en coup de vent avec un bébé sur la hanche pour acheter de la poudre de dhania jîra : « Le saignement, ça fait encore mal, vous voulez quelque chose qui soulage ? ».
Je vois la secousse électrique, la même à chaque fois, se propager dans leur corps .Je pourrais presque en rire, si la pitié ne me tiraillait pas tant. Les traits de leur visage tressautent comme si j’avais posé les mains sur l’ovale délicat de la mâchoire et de la pommette pour les tourner vers moi.
Alors que, bien sûr, je n’en ai rien fait.
Il n’est pas permis aux maîtresses de toucher ceux qui viennent à elles.
De bouleverser le mécanisme fragile du donner et du recevoir qui règle nos vies de façon si précaire. »

1 commentaire:

  1. « …le mécanisme fragile du donner et du recevoir qui règle nos vies de façon si précaire »

    Comment souvent, c’est dans la dernière ligne qu’un texte donne à entendre son sens – c’est même pour ça qu’on l’a coupé ainsi.
    Comme on peut se sentir gêné par le sadisme des questions posées (le chômage du mari, le saignement…), on serait tenté de sauter les pages. Mais voilà que cette dernière ligne nous rattrape par la manche.
    Car c'est alors qu’on comprend que l’équilibre de notre vie suppose l’échange avec autrui ; et qu’il est précaire en fonction de nos points de fragilité à contourner. Et aussi qu’il faut faire passer le message aux autres.
    Après ça, qu’on ne comprenne pas – vu le découpage – ce que viennent faire les épices ici, on s’en console.

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