Le travail sur la Mémoire, les liens transgénérationnels me passionnent.
J'ai connu Marie-Odile Guy au début de son projet et j'ai tout de suite été séduite par son envie de faire revivre son grand -père inconnu . Chance incroyable ce projet a grandi et s'est précisé dans une superbe association puisque c'est à mon amie Marie-Christine que Marie-Odile a demandé des gravures .
Cet ouvrage a donc été magnifiquement illustré par des gravures de Marie-Christine Bourven dont l’atelier se situe à Reims. Chaque livre, sorti à 20 exemplaires, comporte 13 gravures originales.
Cette première édition avait été présentée en octobre 2010 à la Galerie du Cardo de Reims.
C'est un objet d'Art précieux comme l'histoire qu'il contient .
Un an plus tard, une autre édition, plus modeste et sans gravure originale vient de paraître.
Je laisse à Marie-Odile Guy la parole pour expliquer la naissance de son livre ....
" L’idée m’est venue lorsqu’un jour, il y a quelques années, j’ai décidé d’ouvrir les emballages qui recouvraient deux vieux albums de cartes postales qui appartenaient à ma grand-mère maternelle.
Derrière les cartes postales apparurent des correspondances diverses dont celles que Auguste Marcot, mon grand-père, avaient adressées à son épouse et à ses enfants encore bébés.Ce fut un choc pour moi car je réalisai soudain que j’avais eu un grand-père en chair et en os, qui avait été un enfant puis un jeune homme, qui avait aimé et souffert et dont la vie avait été interrompue brutalement en 1916, à l’image des millions de sacrifiés de la Grande Guerre.
Ma mère avait deux ans lorsque son père mourut. C’est dire qu’elle n’en avait aucun souvenir. Ma grand-mère ne parlait jamais d’Auguste Marcot : c’était sans doute trop douloureux. C’est pourquoi ce grand-père n’était pour ses petits-enfants qu’une sorte de fantôme, un personnage complètement désincarné.
Je décidai donc de le faire revivre, de le réinsérer dans le tissu familial, de le réinscrire en tant qu’individu dans la mémoire collective.
Pour cela il fallait faire des recherches, retrouver d’abord le livret militaire conservé aux Archives de Vincennes, puis fouiller les journaux et les documents du début du XXème siècle, replonger dans les faits de guerre par les lectures des JMO (Journaux des Marches et Opérations), les récits des témoignages, les visites des champs de bataille. Cela m’a pris trois ans, et petit à petit l’idée du livre m’est apparue.
Je ne voulais pas faire une biographie car je ne disposais pas d’éléments suffisants. La vie de mon grand-père m’apparaissait pleine de « trous », il fallait la reconstituer (d’où l’idée de puzzle) et pour cela faire appel à l’imagination. J’ai cependant canalisé cette dernière en dressant au préalable un portrait d’Auguste Marcot. J’ai utilisé pour cela les documents décrivant la vie de son époque et aussi ce que j’ai pu déceler de sa personnalité dans les textes de ses cartes postales (celles qu’il écrivait à sa famille mais aussi celles qu’il avait adressées dans sa jeunesse à ses amis, particulièrement à deux jeunes filles, Albina, puis Louise…)
J’ai donc réalisé un « essai », mêlant vérité historique et faits imaginaires. Toujours avec l’idée du puzzle, j’ai divisé ce livre en cinq parties, titrées en cinq jours, les cinq jours d’agonie d’Auguste pendant lesquels son esprit vagabondera dans le passé.
J’ai demandé à Marie-Christine Bourven, graveur, de bien vouloir ajouter sa vision d’artiste à mon travail. A ma grande joie elle a accepté, non seulement de réaliser des gravures mais aussi d’imprimer le livre sur sa presse. C’est ainsi que Auguste, le fil interrompu est devenu livre d’artiste, présenté dans un coffret à l’usage des bibliophiles.
A la demande de famille et amis, j’ai fait imprimer une seconde édition un an plus tard. Elle est d’un prix plus abordable mais ne comporte pas de gravures originales : juste quatre reproductions de travaux préparatoires des œuvres de Marie-Christine. "
Voici un extrait :
" Des griffes lacèrent ses entrailles, les crocs d’une bête immonde fouillent ses intestins, des ondes de douleur et de terreur parcourent tout son corps. Elles atteignent son cerveau et soudain il se rappelle l’éclair blanc, le tonnerre assourdissant, l’explosion et son averse de projectiles. Sa pensée a juste mémorisé une tête lancée comme un obus, arrachée d’un corps inconnu. Elle le frôle et il n’en retient que la bouche béante, ouverte sur un cri que personne n’entend. Il bascule en arrière pour fuir cette vision d’horreur et ne sent même pas le transpercer les éclats de l’obus. Maintenant cette tête grimaçante le poursuit et il s’agite. Des poignards acérés, des aiguillons de douleur le torturent sans répit. Sa tête résonne encore du vacarme de l’explosion. Dans un effort surhumain son grand corps se redresse pour tenter d’échapper à ce cauchemar. C’est alors qu’il aperçoit que son ventre n’est plus qu’un magma noir teinté de rouge sur lequel s’accrochent des lambeaux de son uniforme.
L’infirmière entend la faible plainte et fait signe au médecin major qui circule entre les lits de camp alignés.
« Qui est-ce ? », demande-t-il.
Elle jette un coup d’œil sur l’étiquette d’identité accrochée au cou du blessé :
Capitaine Marcot, 7ème Tirailleurs, on vient juste de me le ramener du front : éclats d’obus dans le ventre. » "
* Ce livre « Auguste, Le fil interrompu » est en vente à la librairie Largeron/La Procure de Reims. C'est un cadeau original à s'offrir ou à offrir pour Noël par exemple !
* Le blog de Marie-Odile Guy :
http://capitainemarcot.wordpress.com/
* L'article de presse (ainsi que la photo de l'auteur ) a été écrit par Françoise Lapeyre pour l'Union .
« …apparurent des correspondances diverses dont celles que Auguste Marcot, mon grand-père, avaient adressées à son épouse et à ses enfants encore bébés. »
RépondreSupprimer- Je profite de l’approche du 11 novembre pour évoquer la découverte des lettres de poilus, non pas de celles qui ont été publiées, mais de celles qu’on peut avoir, comme madame Marie-Odile Guy, découvertes inopinément.
J’ai fait moi aussi une découverte de ce genre : dans une vieille boite de vieilles photos, il y avait un reliquat de la correspondance que mon grand-père avait envoyée du front à ma grand-mère. En dehors des lettres, il y avait des cartes postales militaires, simple rectangle de bristol ne présentant aucune image, simplement la mention « Franchise militaire » : les envoyer était gratuit.
Mon grand-père avait écrit sur certaines d’entre elles un petit texte. Mais sur d’autres, rien. Pas même « Je t’embrasse ». Rien qu’une signature.
Ces cartes, expédiées au jour le jour signifiaient en réalité : « Aujourd’hui, je suis encore vivant. »
C’est ça la guerre.