dimanche 17 février 2013

LE PALAIS DU FACTEUR CHEVAL ET JACQUES LACARRIERE






« Mais d’autres fois le rêve grandit : il prend sa source ailleurs qu’en ces humbles images, il sourd directement d’un désir depuis longtemps latent. Alors, ce que ce rêve engendre et magnifie, ce ne sont pas des objets plus ou moins bricolés qui répètent ou caricaturent pauvrement les choses de la vie : avions, moulins ou tours Eiffel, mais un monde dont il est à la fois et la source et le guide. Autour de lui, et de lui seul, s’entassent rochers, pierres, ciment graviers, les concrétions des choses qui le rendent palpables, celles qu’on trouve sur place, les nacres du hasard en somme, comme dans le cas précis du facteur Cheval .


Ce rêve d’un monument unique et féerique devait vivre en lui depuis longtemps lorsqu’un jour, en faisant sa tournée quotidienne de facteur, il heurta du pied une pierre creusée, érodée, tourmentée par les âges et les eaux. Et le facteur en la voyant eut ce mot merveilleux :

« Puisque la nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. » Et pendant vingt cinq ans, chaque jour, une fois sa tournée finie, il se mit à charrier des pierres pour édifier son Palais idéal .

Or ce Palais est bien plus que l’œuvre d’un rêveur inspiré, d’un entêté de la féerie, d’un soi-disant fou du bizarre. Ce qui me frappe en lui, chaque fois que je l’ai visité, c’est qu’il est, qu’il a voulu être un message et une image du monde. Image naïve sans doute puisque les différentes merveilles de l’univers que le facteur a insérées dans ce palais : l’Eden, le Temple indou, la Tour de Barbarie, le tombeau égyptien, la Pagode de Chine, furent inspirées, bien sûr, par des gravures de magazines et des cartes postales. Mais finalement qu’importe ! Entre ses pierres et ses silex colorés, ce palais contient une réduction de l’Univers, de ses légendes, de son histoire et de ses habitants. Il se veut la synthèse de tous les rêves, la rencontre de toutes les religions, le cortège de tous les symboles, le cœur du Savoir inspiré. Sinon pourquoi, en plus des monuments cités plus haut, serait-il peuplé de géants, de druidesses, des quatre évangélistes, de pèlerins, d’anges, de démons, d’allégories comme la Mort et l’abondance, d’une oasis, d’une mosquée arabe, d’un jardin féerique et d’animaux de la création comme l’éléphant, l’ours, l’autruche, le flamant, l’oie, l’aigle, le pélican, la loutre, le guépard, le crocodile, le cerf, la biche et maintes variétés d’arbres ?

C’est un livre de pierre dont le facteur a disposé les pages à sa façon, dont la lecture comporte un ordre et un itinéraire. Le cœur, le nœud de ce chemin quasi initiatique, on peut le voir à l’intérieur du palais, derrière la façade ouest ; là où dans une salle courent des inscriptions dont l’une dit : Ici les fées de l’Orient rencontrent les fées de l’Occident.

Tels furent le monde et le désir d’un homme qui, nonobstant les railleries et l’incompréhension de ses voisins, sut édifier jour après jour le palais intérieur de ses rêves. C’est là la revanche des démunis sur les nantis, des artisans sur les bourgeois, des vrais poètes sur les scribouilleurs officiels, des « homodidactes » sur les hétérodidactes."







(photos Marie Gratepanche)





1 commentaire:

  1. nous donne une leçon..mettre nos rêves en réalité, si possible sans 'trop' d'influence...

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