jeudi 19 septembre 2013

MAN DE KIM THUY





" En cuisine, Julie avait engagé Philippe, un chef pâtissier, afin de réinventer les desserts vietnamiens puisque nos traditions en matière de crème, de chocolat et de gâteaux se limitaient à quelques recettes assez rudimentaires. D'ailleurs les vietnamiens appellent les gâteaux d'anniversaire " banh gatô" alors que banh veut déjà dire "pain-gâteau-pâte" . Nous devions importer ce mot parce qu'il s'agissait d'une tradition culinaire inusitée. Il fallait apprendre à utiliser le beurre, le lait, la vanille, le chocolat ... des ingrédients qui nous étaient aussi étrangers que les méthodes de cuisson . En l'absence de four, les vietnamiennes cuisaient leurs gâteaux dans un chaudron fermé d'un couvercle sur lequel sur lequel elles plaçaient des morceaux de charbon 
ardent ... 
J'effleurais le contenu des tiroirs et des étagères avec la fascination d'un enfant qui entre dans un cockpit. Lentement, Philippe me faisait découvrir son univers . Il a commencé avec la noisette nature, grillée, entière, moulue ... parce que je suis une inconditionnelle des noix. Je lui rapportais du quartier chinois des feuilles de pandan pour leurs couleurs intensément verte et leur parfum ; en Thaïlande, les chauffeurs de taxi en glissent un bouquet frais sous leur siège tous les deux ou trois jours . Comme Philippe connaissait déjà le litchi, je lui ai présenté ses cousins les longanes aux noyaux ronds et brillants, qui servent de référence pour décrire les pupilles d'une belle fille, et les ramboutans à la pelure rouge et chevelue comme un oursin mais douce au toucher . 

Mon gâteau aux bananes à la vietnamienne était un délice mais effrayait par son air costaud, presque rustre. En un tournemain, Philippe l'a attendri avec une écume de caramel au sucre de canne brut. Il avait ainsi marié l'Est et l'Ouest, comme pour ce gâteau dans lequel les bananes s'inséraient tout entières dans la pâte de baguettes de pain imbibées de lait de coco et de lait de vache . Les cinq heures de cuisson à feu doux obligeaient le pain à jouer un rôle de protecteur envers les bananes et, inversement , ces dernières lui livraient le sucre de leur chair . Si l'on avait la chance de manger ce gâteau fraîchement sorti du four, on pouvait apercevoir, en le coupant, le pourpre des bananes gênées d'être ainsi surprises en pleine intimité ."


Pour Hélène bien sûr mais pour Simon et Françoise aussi ...


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