mercredi 25 décembre 2013

UNE BAGATELLE DE DANIEL MONNIER POUR CE NOEL 2013


 Voici un bien réjouissant courrier que je vous propose en ce jour de Noël 2013 !



Bonjour Sophie,

                                      ... à l'époque de L.V.Beethoven et des grandes symphonies, une bagatelle était une petite pièce musicale très écrite tout en restant libre, se suffisant à elle-même et à laquelle il n'y avait rien à retrancher, rien à ajouter; d'où, je suppose (?), cet amalgame populaire, mais très juste, entre "une" bagatelle et "la" bagatelle précédée de son article bien défini.( ... "rien à retrancher, rien à ajouter"!)
   Pour faire lien avec la littérature où s'oppose "nouvelle" et "roman", pourquoi ne pourrait-on pas, comme en musique créer le genre "bagatelle" qui sera, à n'en point douter, qualifié de "mineur" par certains, puisque "populaire".
   Pour inaugurer le genre, aviez-vous entendu parler du Père Noël de Libourne? En cadeau de fin d'année je vous envoie, chère internaute, cette bagatelle via la toile, les étoiles et autres satellites.
                    Recevez Madame,tous mes vœux ... Santé de fer, moral d'acier et ..."couilles en or" - sauf votre respect - ceci dit à seule fin de ne pas déparer la verdeur langagière du populo qui, soyez en sûre, n'a jamais confondu les genres.
      C'est un peu par ennui et désœuvrement que j'avais écrit ce texte - cette bagatelle - qui date de 1994 si ma mémoire est bonne.
 
 
 
 
 
 

                 Lettre à mon ami Toukhatchevski,
                 écrivain méconnu,
                 cordonnier à Vladivostok
                 et facteur à temps perdu ...

                                                       
        J'ai quitté ma cabane, traversé le jardin et le chemin de halage pour aller t'écrire au bord de la rivière, installé dans ma barque-bureau amarrée à l'ombre d'un saule.
   Sur la rive opposée on a d'ici une vue très architecturée de la ville de Libourne aux toits déformés par l'air surchauffé qui tremblotte sur les tuiles comme au-dessus de mon godin en plein hiver.
   Libourne est une sous-préfecture. Sans doute le savais-tu, toi qui sais tout de la France sans jamais y être allé ... Mais que cette sous-préfecture soit promue un mois par an, "Ville du Père Noël", voilà certainement un inédit des manuel de La grande Russie.Il faut partout le faire savoir. A Vladivostok et ailleurs. Une Ville du Père Noël dans chaque pays mettrait, j'en suis sûr, un peu de baume à la face du monde qui aurait bien besoin de se refaire une beauté - n'est-ce pas Toukhatch'ki?
   C'est donc ici, quelque part sous ces toitures aujourd'hui chauffées à blanc, qu'un service spécial de nos P.& T. collecte chaque année les rêves dessinés ou manuscrits que nos  tout petits mettent consciencieusement sous enveloppes ... adressées "au Père Noël". Or, ces lettres où l'on ne parle que joujoux, nounours et gros bisous restaient sans réponse, perdues à jamais dans l'encombrement des services postaux en fin d'année; et si on en retrouvait une, elle était irrémédiablement décortiquée, mise en poubelle avant de passer à l'incinérateur.
   Pour faire face à cette masse énorme de courrier, des institutrices à la retraite - mandatées par les Postes et Télécommunications - rappliquent de Suisse romande, de Wallonie, des quatre coins de l'Hexagone et des îles lointaines.
   Fin Novembre ces dames débarquent sur les quais de la gare de Libourne, volubile contingent aussi serré que des pèlerins en procession d'où fusent rires et joyeux éclats de voix, chacune poussant, tirant ou portant d'hétéroclites petits bagages à roulettes.
   Toutes ces francophones qu'elles soient noires ou blanches, brunes ou blondes, commencent - en tout bien tout honneur - par envahir les hôtels de la ville. Ce n'est qu'ensuite qu'elles iront s'attabler sur d'antiques bureaux des classes à la Doisneau que les employés municipaux ont, à cet effet, soigneusement alignés sur les 8000 m.carrés d'anciens chais à vin éclairés par d'immenses baies ouvrant sur les quais, au confluent de l'Isle et de la Dordogne.
   Au temps de la navigation fluviale cette halle servait d'entrepôt aux barriques de saint-émilion, aux caisse de Pétrus et autres pomerols de renom. Mais les temps changent. Sur la Dordogne les gabarres ont disparu et, si autour de Libourne on élève toujours des vins extraordinaires, en revanche les quais et la grande halle sont silencieux, sauf en décembre où cet espace sort doucement de sa léthargie, réveillé par les bruissements d'une salle d'examen aux centaines de pointes-feutre laissant sur le papier cette calligraphie légèrement penchée vers l'avant, lettres sagement arrondies et bien appliquées de nos instites nationales venues là, tout exprès, pour accomplir - juste retour des choses - leurs devoirs de vacances à réexpédier aux enfants de France et d'ailleurs ...
   Aussi nombreux que les institutrices, de solides vignerons également retraités, vêtus de houppelandes rouges enneigées de coton et portant, comme aux vendanges, une hotte sur le dos, passent et  repassent entre les rangées pour ramasser les copies de ces dames tout en leur offrant des macarons arrosés - plutôt deux fois qu'une - de quelques verres des meilleurs millésimes de la région.
   Il va sans dire qu'à la fin de ces journées qui, par force, se poursuivent assez tard dans le nuit, nos instites à la retraite vont se coucher complètement pompettes!
   Quant aux vignerons-pères noël, ils ne se font pas prier pour accompagner les institutrices dans leurs libations. Et de part et d'autre la fièvre finit par monter à tel point que, certains soirs, bravant les bourrasques remontées de l'estuaire, on a vu s'organiser tout à fait spontanément, de mémorables bains de minuit où, baigneurs et baigneuses confondus - à poil ou en liquette - aprés le vin, tout le monde est à l'eau!
    Au lendemain d'une de ces soirées, "Sud-Ouest" fit ses choux gras en titrant à la une:
           LIBOURNE-BENARES, IN VINO VERITAS, ET VIVE LA COMMUNALE ! photos à l'appui prises du pont où des halogènes de stade avaient été dressés, éclairant a giorno l'énorme bacchanale de ce 3ème Age en délire, barbotant comme en plein été dans les eaux froides et limoneuses du fleuve agité par le mascaret. Abandonnant leur télé, des badauds emmitouflés de laine firent foule sur le pont, croyant au tournage d'un film dirigé par Fellini mort depuis trop peu de temps pour l'être tout-à-fait. Et "La Croix" qui n'en loupe pas une, décréta qu'en Décembre, les Ordalies de l'Avent avaient sur les vignerons et les institutrices à la retraite toutes les vertus d'une thérapeutique de jouvence ! Jusqu'aux instances ministérielles qui reconnurent que, sous la vigoureuse bannière des Pères Noël-vignerons, l'épectase libournais des mères noël était plus approprié à boucher les récurrences du trou/sécu. que n'importe quel autre cautère gouvernemental.
   ( Note du rédacteur: l'épectase libournais est une attitude remarquée dans certaines situations de promiscuité qui laisse remonter la nature cachée de l'individu sans plus de considération quant aux tabous généralement en vigueur.)
   C'est ainsi que chaque année, dans les foyers de France et de Navarre tous les enfants sont aux anges ... sans rien dire des vignerons-pères noël, ni des instites à la retraite qui se retrouvent tous les ans de plus en plus nombreux, jeunes et vigoureux, pour participer à cet événement international des Lettres au Père Noël, symposium aujourd'hui reconnu d'intérêt public.
 
   Août 1994. Libourne, sous-Préfecture de la Gironde où passent les T.G.V. (D.Monnier.)
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