vendredi 6 mars 2015

MARE-CHRISTINE BOURVEN VUE PAR FRANCOISE LAPEYRE





Marie-Christine Bourven et ses livres d’artistes

"Au 98 rue de la Neuvillette, une grande baie vitrée, en haut de laquelle on peut lire : Ateliers Recto-Verso. Marie-Christine Bourven. Les habitants du quartier, les lecteurs du Cafouin, ont-ils déjà remarqué celle qui, derrière cette vitre, s’active dans son atelier et sur sa presse ? Elle a quitté son ancien atelier de la rue Camille-Lenoir, pour s’installer, en avril 2012, dans cette grande maison qui fait l’angle de la rue Danton. Marie-Christine Bourven est graveur.





Comment vous est venue cette passion de la gravure ? 
 
- Je suis née à Paris. Après mon bac, j’ai travaillé chez des antiquaires, dans le quartier du Marais. Ma mère était brocanteuse. Elle allait chaque jour à Drouot et j’adorais m’y rendre avec elle. Dans ce métier, on a un rapport aux objets et ça a nourri mon imaginaire.
Je me suis inscrite à la Fac en histoire de l’art. J’aurais pu devenir restauratrice, c’est un métier qui m’intéressait aussi. Dans la boutique de ma mère et dans le quartier, on côtoyait quantité de gens : Des écrivains, des artistes d’avant-garde. Je dessinais déjà un peu, d’une manière très expressionniste, très proche de l’art brut. Je me souviens qu’il y avait, rue Quincampoix, une galerie d’art, « L’Œil de Bœuf », qui me prenait mes dessins et les vendait.
Mais la gravure dans tout ça ?
- On est en 1977, Jacques Chirac venait d’entrer à la mairie de Paris et d’ouvrir les « ADAC » (Ateliers d’Action Culturelle) de la Ville de Paris. J’avais une amie américaine, Barbara Newman, qui était la compagne du peintre Zwy Mihlstein (artiste français d’origine slave) qui avait ouvert un atelier autour des arts du livre. Avec lui, j’ai appris toutes les techniques de gravure, d’eau forte, de taille douce sur zinc. J’ai découvert la gravure expressionniste. Ce qui lui importait, c’était, plus que la technique, la valeur expressive. J’ai fait ensuite d’autres ateliers. Dans l’un d’entre eux, celui d’une aristocrate, Françoise de Dalmas, je me suis sentie très en phase. Dans son atelier, tout le monde se tutoyait, mais elle avait un chien… qu’elle vouvoyait !
Quand êtes-vous arrivée à Reims ?
- En 1991, avec ma famille, l’année de la naissance de mon fils. Quand j’étais à Paris, les choses étaient simples. Mais ici, à Reims, quand j’ai voulu monter des projets, on m’a dit qu’il fallait être en association. C’est comme cela qu’est née « Recto-verso », en 1995. J’ai animé ensuite un atelier à l’école Jamin, où le directeur m’avait accueillie. Avec les enfants, on avait construit un théâtre d’ombres, dessiné des silhouettes. J’ai aussi réalisé des livres avec eux.
Parlez-nous un peu de la gravure. Comment procédez-vous ?
- J’utilise toutes les techniques. Eau forte, taille douce, mais aussi la taille d’épargne, la linogravure, le bois gravé. J’utilise aussi la typographie, une technique que m’a montrée un typographe du journal l’union, Pierre Berger, qui m’a aidée de nombreuses fois.
Quand je me suis installée rue Camille-Lenoir, j’ai monté des ateliers de gravure, exploré de nouveaux supports, le PVC rigide ou souple, le rhénalon (un plastique transparent), le linoléum, le carton avec collage de matière.



Visite de l’atelier
Marie-Christine utilise et enseigne aussi toutes ces techniques à des élèves, amateurs ou professionnels, qui viennent dans son atelier. Lors de notre visite, deux d’entre eux travaillent des plaques selon des techniques dite « manière noire », et « au sucre ».
Marie-Christine Bourven effectue une démonstration de gravure selon la technique « manière noire » : Il faut appuyer sur la plaque à l’aide d’un « berceau », sorte de demi-cylindre fixé sur un manche et hérissé de minuscules pointes. Le premier travail consiste à grainer la plaque uniformément de petits trous, par un mouvement de balancement du manche qui permet d’entamer le métal de façon régulière et uniforme. C’est assez physique, on a vite mal au bras…



Comme le dit joliment l’artiste –qui aime aussi écrire- dans une plaquette « Estampes et livres d’artistes » :

 « La gravure est un art de la scarification ». Extrait : « Aventurier du signe et de la trace, le graveur se plaît à taillader. Il joue de ses impulsions et de ses cicatrices griffées dans la masse. Il frappe, incise, martèle. Chaque rayure est une histoire, chaque taille une blessure ».
La plaque de gravure impose son itinéraire : « Elle prolonge le corps dans un espace intermédiaire. Elle est la peau du graveur au sein de laquelle la ligne s’inscrit en creux, tantôt rebelle, tantôt apprivoisée. Un monde griffonné en miroir se délivre, étapes après étapes, en couches successives, en fragments de vie. Un monde en clair-obscur, en demi-teinte, en manière noire… ».

Les plaques réalisées, il convient évidemment d’encrer ces supports, puis d’en essuyer le surplus, d’abord avec une tarlatane, puis ensuite directement avec la paume de la main. C’est ce qu’on appelle le « paumage », avant de placer plaque et feuille humidifiée sur le plateau, puis de recouvrir d’un « lange » qui amortit la pression des cylindres, avant de tourner la roue pour que ceux-ci viennent appuyer et imprimer le papier.
« Au moment du tirage, les tailles regorgent d’encres colorées. Le papier, amoureux de l’encre, est soigneusement préparé pour l’ultime rencontre. Humide et souple, au passage de la presse, il est saisi. Il se ride et se trame. Il se boursoufle et s’incurve. Le papier épouse au cœur de sa subsistance, la plaque et son relief accidenté ».

Justement, parlez-nous du papier 
 
Il doit être de grande qualité, c’est important. Mes papiers, je les achète un peu partout. J’utilise notamment des papiers « Japon » et « népalais ». Des moulins à papier existent encore en France, où des artisans le fabrique à l’ancienne. J’utilise aussi des papiers industriels, de très bonne qualité, pur chiffon. Ce que je dessine est le plus souvent lié à ce que je veux obtenir. La technique aussi. C’est aussi lié au papier. Il en existe de très fins qui sont en même temps très solides. Quand on imprime, l’encre va traverser le papier, et on va voir aussi le dessin à l’envers.
Dans votre atelier, on voit aussi ce que vous appelez des « livres d’artistes » ?
- C’est à Reims que je me suis mise à réaliser des livres d’artistes. Mes livres, ils se rattachent à plein de choses. Ils prennent des formes très diverses et peuvent même être des rouleaux : Le « volumen », qui se déroule et se lit horizontalement, et le « rotulus » qui se déroule verticalement. Ce qui me plaît, c’est d’utiliser les formes historiques du livre et de les réinvestir à l’époque moderne. Je fais aussi des livres avec beaucoup de pliages, ce sont souvent des livres liés à la poésie. Ils sont tirés en édition très limitée. Un de mes livres « Qui amavit cras amet » m’a été acheté par la bibliothèque palatine de Parme. Il contient des citations d’Anaïs Nin. Un objet érotique par excellence ! Page après page, on le fouille du regard.

Certains pliages sont très originaux. C’est le cas d’un livre d’artiste « On n’en finit pas de tomber ». Une « estampe numérique » qui combine un montage photo et des personnages qui tombent, en surimpression. Déplié en accordéon, certaines pages forment deux gratte-ciel, en référence aux « Twin Towers ». On y lit des extraits de textes de Ludovic Degroote, poète contemporain « D’aucuns ramassent des morceaux du monde, quoiqu’il n’y ait rien à réparer ». 
 
Vous écrivez aussi les textes ?
- C’est quelque chose qui s’est révélé avec le livre. Ce qui m’importe, c’est la dimension expressive. Les textes sont écrits soit par moi-même, soit sont empruntés à des auteurs dont j’apprécie l’humour acide, les non-sens, tels qu’Alphonse Allais, Alfred Jarry, Henri Michaux.
« Le livre est un ensemble d’éléments. Libre à soi de les perturber, de les amplifier de manière inattendue, ou de les réduire à l’intime. Libre à soi d’en trahir le sens. Métaphore humaine par idéal, le livre est une promesse de mémoire, une parabole ».
Elle nous montre un autre livre, avec des personnages qui folâtrent sur de longues pages et des phrases surréalistes qui ondulent et s’enchevêtrent. Son titre : « Autrement dit, je suis définitivement provisoire ».

« Je fais un livre comme d’autres font des tableaux. Je trouve que c’est une liberté totale, dans la forme, le contenu. C’est une collaboration, une amitié, entre un auteur, un poète et moi ».
Je vois des objets gravés qui ne sont ni des estampes ni des livres ?
- J’utilise aussi la gravure pour faire des performances. Avec la gravure, on peut réaliser plein de choses. J’ai parfois l’impression que lorsque je grave, je rejoins les objets qui m’ont fascinée quand j’étais enfant.
On suit l’artiste à travers son atelier et la partie galerie d’exposition. Sur un meuble, une gravure, enroulée, est placée sous un globe de verre et sur une gravure déformée, comme une sorte d’anamorphose. Plus loin, sur une table, est posée une tour en plaques transparentes :

« C’est la maquette de la bibliothèque de Babel que décrit José Luis Borgès : Toutes les salles hexagonales sont disposées de façon identiques ».  


 

Merci à Françoise Lapeyre pour la qualité de ses articles et de ses photos et pour ses questions toujours judicieuses ...

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