vendredi 14 août 2015

LES CERFS DE VERONIKA MABARDI



"À 7 ans, après la mort de sa mère, Blanche a cessé de parler. Annie, institutrice en repos momentané, ne cesse, elle, de parler. Puisque le père, veuf citadin, ne sait comment s’y prendre avec sa fille, il la conduit chez l’enseignante campagnarde. Sur ce thème de la parole qui s’enferme sur elle-même jusqu’à devenir mutisme et celui de la parole qui libère en se débondant, Veronika Mabardi a construit un roman lumineux. Et Alexandra Duprez en a imaginé les images figuratives sans être réalistes, poétiques bien au-delà de leur symbolique.
Les phrases sont limpides pour à la fois sonder la vie intérieure des personnages et décrire le monde qui les entoure, qui les relie. Cette apparente simplicité n’est cependant pas indigence. Ce qui est décrit, ce qui est montré possède une évidence première qui frappe immédiatement le lecteur, comme un retour fondamental aux sources de l’existence telle que les cinq sens permettent de l’appréhender. Une redécouverte en quelque sorte.
La complexité n’en est pas pour autant absente. Ainsi l’auteur ne cesse d’intégrer au récit les paroles prononcées et celles exprimées seulement dans la tête, la pensée. Elles surgissent couramment en italiques au beau milieu du récit. Elles égrènent les mots imprononcés, ceux qu’on se dit en soi, qui ne franchissent pas le seuil des lèvres parce que leur temps n’est pas encore venu d’être entendus.
D’ailleurs le temps, là où résident les deux femmes, dans une maison du cœur de la forêt, n’est plus celui des hommes pressés de la ville. Il est celui de la nature. Et l’amoureux d’Annie, qui les rejoint de temps à autre après son travail à la scierie, n’est pas pressé non plus de vivre en couple. Quant au renard, autre personnage du livre, il observe, commente, s’interroge. Il est là, comme les cerfs, en tant qu’emblème de la vie initiale, celle qui suit son cours parce tel est son rôle.
Pour chacun, le passé a un poids dont il faut se délivrer. Et pour chacun il est question aussi, en permanence, d’être écartelé entre fuite et affrontement, entre une certaine lâcheté et une véritable audace qui permettrait d’abattre les barrières, les entraves. Bref, d’atteindre l’objectif essentiel d’être soi et de s’assumer tel en allant au-delà du refus et de la culpabilisation.
Chaque moment décisif consiste à aller ailleurs, à dépasser les clôtures ou les frontières, à oser avouer ses manques. Ce n’est jamais sans crainte, hésitations, retours en arrière, obstination, paradoxes. Mais c’est la nécessité pour un cheval d’aller plus loin que son enclos, d’un bateau de quitter le port, d’une feuille d’abandonner sa branche en automne ou les bois de quitter les cerfs au printemps, d’un enfant de vivre un jour sans ses parents, d’un humain de se libérer d’une relation prétendument amoureuse qui le bride.
Finalement, on a le choix : ou bien on fait ce que les autres veulent, ou alors on essaie de faire ce qu’on fait, en mieux. Et ce livre, si sensible, si chargé d’humanité nous y incite, en toute liberté, avec une conviction qui ravigote en ces temps de valeurs bafouées quand elles ne sont pas matérielles."

Michel Voiturier








DESSINS ALEXANDRA DUPREZ

" Un jour je ferai une phrase tellement belle et tout le monde comprendra.
Je prendrai des mots comme ça, tous ceux qui sont là, et j’irai partout avec eux ."

et plus loin ....

" Un jour je ferai une phrase tellement belle et tout le monde comprendra.
Je prendrai des mots, les cerfs et les gens c'est la même chose, comme une chanson. Quand tous les mots seront à leur place, à l'abri comme les cerfs dans la forêt" .

 " Les cerfs, ils savent où aller, quand c'est l'incendie, ils le sentent et ils quittent la forêt .
Annie dit, ils connaissent le chemin, il est à l'intérieur d'eux. Mais il y a la route . Elle traverse la forêt . Cette route là n'est pas encore en  eux . Ils ne savent pas , ni d'où elle vient ni où elle va .
La forêt est à l'intérieur, les saisons. Tout ce qu'il faut savoir est à l'intérieur. Ce qu'il faut faire, où aller pour appeler, le temps de l'amour, le temps des chasseurs. Tout est à l'intérieur , sauf la route .
Si la route traverse leur chemin, ils sont foutus. Quand les phares arrivent, ils ne savent pas ce que c'est la lumière électrique. Ils se demandent si c'est un chasseur ou un soleil .
Alors ils s'arrêtent le temps de comprendre, et bang .
La route n'est pas à  l'intérieur des cerfs, c'est tout. Elle a un début et une fin, la route, eux non . Elle n'est pas marquée là alors bang.
Combien d'années il faut pour que la route entre dans le corps des cerfs ? Pour savoir ?

Ça s'appelle le désir, dit Annie, l'instinct. Le désir c'est savoir où aller sans hésitations. 
Sans même y penser. Tu sais ce que c'est, j'en suis sure . Tu es née, il a bien fallu que tu viennes au monde. Sans désir, c'est pas possible . Les bébés le savent, il faut y aller, on a peur, mais on ne veut pas autre chose, on y va . Le désir, c'est ça . A l'intérieur de toi . " 

"Viens ... j'ai pas peur ... je te vois ... je sens ton odeur . Aie pas peur, je suis pas un chasseur. Je suis une fille. C'est pas dangereux, une fille c'est tout petit. Je dirai à personne que t'es là . Ni aux chasseurs, à personne, c'est juste toi et moi . L'enclos est pourri, de toutes façons , si tu veux t'en aller
c'est par là ." 

" J'ai déjà été un cerf et la foret était immense. J'ai été un cerf, avant, la foret était grande mais je n'étais pas perdue dedans ."

 UN LIEN

 UN AUTRE LIEN

POUR FEUILLETER QUELQUES PAGES


 (cliquer sur les liens) 


MERCI ANTOINE 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire