dimanche 20 décembre 2015

GROS PLANS SUR " VOYAGE AUTOUR DE MA CHAMBRE" DE MARIE-CHRISTINE BOURVEN

A la suite d'un duel Xavier de Maistre est condamné à 40 jours d'isolement dans sa chambre ...
De là est né son livre " Voyage autour de ma chambre" ...
MARIE-CHRISTINE BOURVEN,séduite par cette idée, est partie de ce  texte  qu'elle a revu et revisité

Voici aujourd'hui sur les Grigris quelques détails de ce livre incroyable ! 

UNE SPLENDEUR ! 













Voici quelques extraits de " Voyage autour de ma chambre"de Xavier de Maistre :

" Qu'il est glorieux d'ouvrir une nouvelle carrière et de paraitre tout à coup dans le monde savant, un livre de découvertes à la main, comme une cométe inattendue étincelle dans l'espace !
Non. je ne tiendrai plus mon livre in petto ; le voilà, messieurs, lisez. J'ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de mu chambre. Les observa­tions intéressantes que j'ai faites, et le plaisir continuel que j'ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d'être utile m'y a décidé. Mon cœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j'offre une ressource assurée contre l'ennui, et un adoucissement aux maux qu'ils endurent. Le plaisir qu'on trouve à voyager dans sa chambre est à l'abri de la jalousie inquiète des hommes : il est indépendant de la fortune.
Est-il, en effet, d'être assez malheureux, assez aban­donné, pour n'avoir pas un réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde ? Voilà tous les apprêts du voyage.
(…)
Je pourrais commencer l'éloge de mon voyage par dire qu'il ne m'a rien coûté ; cet article mérite attention. Le voilà d'abord prôné, fêté par des gens d'une fortune médiocre ; il est une autre classe d'hommes auprès de laquelle il est encore plus sûr d'un heureux succès, par cette même raison qu'il ne coûte rien. - Auprès de qui donc ? Et quoi ! vous le demandez ? C'est auprès des gens riches. D'ailleurs de quelle ressource cette manière de voyager n'est-elle pas pour les malades ? Ils n'auront point à craindre l'intempérie de l'air et des saisons. - Pour les poltrons, ils seront à l'abri des voleurs ; ils ne rencon­treront ni précipices ni fondrières. Des milliers de per­sonnes qui avant moi n'avaient point osé, d'autres qui n'avaient pu, d'autres enfin qui n'avaient pas songé à voyager, vont s'y résoudre à mon exemple. L'être le plus Indolent hésiterait-il à se mettre en route avec moi pour se procurer un plaisir qui ne lui coûtera ni peine ni argent ? - Courage donc, partons. - Suive-moi, vous tous qu'une mortification de l'amour, une négligence de l'amitié, retiennent dans votre appartement, loin de la petitesse et de la perfidie des hommes. Que tous les malheureux, les malades et les ennuyés de l'univers me suivent ! - Que tous les paresseux se lèvent en masse ! -
(…)
11 y a tant de personnes, curieuses dans le monde !
Je suis persuadé qu'on voudrait savoir pourquoi mon voyage autour de ma chambre a duré quarante-deux jours au lieu de quarante-trois, ou de tout autre espace de temps ; mais comment l'apprendrai-je au lecteur, puisque je l'ignore moi-même ? Tout ce que je puis assurer, c'est que, si l'ouvrage est trop long à son gré, il n'a pas dépendu de moi de le rendre plus court : toute vanité de voyageur à part, je me serais contenté d'un chapitre. J'étais, il est vrai, dans ma chambre avec tout le plaisir et l'agrément possible ; mais, hélas ! je n'étais pas le maître d'en sortir à ma volonté ; je crois même que, sans l'entremise de certaines personnes puissantes qui s'intéressaient à moi, et pour lesquelles ma reconnaissance n'est pas éteinte, j'aurais eu tout le temps de mettre un in-folio au jour, tant les protecteurs qui me faisaient voyager dans ma chambre étaient disposés en ma faveur !
(…)
Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccariti ; sa direction est du levant au couchant : elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant lu muraille de bien près. Mon voyage en con­tiendra cependant davantage ; car je la traverserai sou­vent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. - Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l'exige. Je n'aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : « Aujourd'hui, je ferai trois visites, j'écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j'ai commencé. » - Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d'idées, de goûts et de sentiments : elle reçoit si avidement tout ce qui se présente !... — Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses sur le chemin difficile de la vie ? Elles sont si rares, si clair­semées, qu'il faudrait être fou pour ne pas s'arrêter, se détourner même de son chemin, pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée. Il n'en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m'y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façon, et je m'y arrange tout de suite. - C'est un excellent meuble qu'un fauteuil ; il est surtout de la der­nière utilité .pour tout homme méditatif. Dans les longues soirées d'hiver, il est quelquefois doux, et tou­jours prudent de s'y étendre mollement, loin du fracas des assemblées nombreuses. - Un bon feu, des livres, des plumes ; que de ressources contre l'ennui ! Et quel plaisir encore d'oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l'éternité, sans vous faire sentir leur triste passage.
(…)
Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre mon lit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plus agréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse : les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux. - Je les vois, dans les beaux jours d'été, s'avancer le long de la muraille blanche, à mesure que le soleil s'élève : les ormes qui sont devant ma fenêtre les divisent de mille manières, et les font balan­cer sur mon lit, couleur de rose et blanc, qui répand de tout côté une teinte charmante par leur réflexion. - J'entends le gazouillement confus des hirondelles qui se sont emparées du toit de la maison, et des autres oiseaux qui habitent les ormes : alors mille idées riantes occupent mon esprit ; et dans l'univers entier, personne n'a un réveil aussi agréable, aussi paisible que le mien.
J'avoue que j'aime à jouir de ces doux instants, et que je prolonge toujours, autant qu'il est possible, le plaisir que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit. -Est-il un théâtre qui prête plus à l'imagination, qui réveille de plus tendres idées, que le meuble où je m'oublie quelquefois ? - Lecteur modeste, ne vous effrayez point - mais ne pourrai-je donc parler du bonheur d'un amant qui serre pour la première fois, dans ses bras, une épouse vertueuse ? plaisir ineffable, que mon mauvais destin me condamne à ne jamais goûter ! N'est-ce pas dans un lit qu'une mère, ivre de joie à la naissance d'un fils, oublie ses douleurs ? C'est là que les plaisirs fantastiques, fruits de l'imagination et de l'espérance, viennent nous agiter. - Enfin, c'est dans ce meuble délicieux que nous oublions pendant une moitié de la vie, les chagrins de l'autre moitié. Maïs quelle foule de pensées agréables et tristes se pressent à la fois dans mon cerveau ? Mélange étonnant de situations terribles et délicieuses !
Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c'est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. - C'est un berceau garni de fleurs ; - c'est le trône de l'Amour ; - c'est un sépulcre."

MARIE-CHRISTINE BOURVEN ET LES GRIGRIS DE SOPHIE

(cliquer sur le lien)


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