mardi 12 avril 2016

CHOMO VU PAR AMELIE DANCHIN

 
 Il y a  quelques jours Laurent Danchin a fait un bien beau partage sur facebook !

"Quand elle avait sept ou huit ans, me fille aînée, Amélie, m’accompagnait souvent chez Chomo qui était pour elle comme une figure de grand-père dont elle trouvait l’univers presque normal tant elle y était habituée. Chomo, de son côté, l’aimait bien et se considérait un peu comme son père spirituel, ayant joué un rôle psychologique décisif au moment de sa naissance, et il l’avait baptisée « Etoile du soir », pour la raison qu’elle était née alors que sa mère, Maïthé, qui est peintre, avait déjà plus de trente ans. Or Chomo appartenait à ces générations pour lesquelles dépasser vingt-cinq ans sans avoir eu d’enfant était, pour une femme, « coiffer la Sainte-Catherine », c’est-à-dire risquer de rester vieille fille pour le restant de ses jours. Sur les circonstances de la naissance d’Amélie, un épisode rocambolesque mêlant la guérisseuse du village voisin, une voyante extra-lucide hollandaise, Chomo, Maïthé et moi, et l’énorme magnétophone Smart avec lequel j’enregistrais à l’époque mes entretiens avec Chomo, voir ci-contre « Une abeille au Royaume de Chomo », le joli petit texte que j’ai suggéré à Amélie d’écrire pour garder trace de ses souvenirs d’enfant chez Chomo."


 





Amélie Danchin : “une abeille au Royaume de Chomo”

J'ai de nombreux souvenirs chez Chomo. Même plus que cela. Comme des traces insolites, creusées et nichées à jamais au cœur de mon cerveau.
On se construit en tant qu'adulte avec les bases de la petite enfance et si celles-ci sont la plupart du temps joyeuses ou douloureuses, elles peuvent être aussi totalement atypiques et décalées.
Avant ma naissance, ma mère a eu du mal à tomber enceinte, et après plusieurs années à essayer, elle a, un jour, eu une sorte de « déblocage magnétique » au cours d'une visite chez Chomo. Il lui avait déclaré qu'elle serait enceinte en octobre. Ce fut le cas.
A ma naissance, en juillet 1977, Chomo se revendiqua comme mon père spirituel et me baptisa Étoile du Soir. Une jolie lettre en phonétique, écrite à ma mère à ma naissance, et accompagnée d'un poème (« Maternité ») en sont des témoins précieux.
Mon père était un grand ami pour Chomo. Pendant des années, il a fréquenté ce créateur unique – sculpteur, poète et musicien – un être en fusion avec la nature. Car lorsque l'on va chez Chomo, ce qui frappe entre autres le visiteur, c'est cette faune et cette flore parfaitement en harmonie avec l'homme et son univers de création. Comme si l'une et l'autre s'étaient épousés.
Chomo était un personnage haut en couleurs qui, non seulement n'a jamais eu sa langue dans la poche mais qui, en plus, savait manier les mots avec brio et humour, pour développer une vision de la vie totalement unique et belle, dans son respect envers l'environnement et la nature profonde de l'individu à l'état brut, et non pas envers l'homme civilisé perverti. C'est sûr qu'il n'aimait pas les cons, et sa liberté verbale lui a sûrement fait gagner du temps dans son existence !
Mais pouvoir assumer une telle liberté dans sa façon de vivre, peu de gens en sont capables.
Voilà comment je vois cet homme.
Pour moi, il reste la figure de ma jeunesse la plus marquante.
Très souvent, à différents moments de ma vie, j'ai repensé à ce Royaume de Chomo, à ce lieu magique pluriartistique, à ces sensations et à cette énergie créatrice venant à la fois de l'homme et de cette fameuse nature avec laquelle il était en symbiose. Je n'ai jamais ressenti tout cela ailleurs pour l'instant dans ma vie. Et c'est bien pour cela que Chomo est et a toujours été pour moi un repère et que j'y pense souvent.
Quand nous avons cessé de lui rendre visite, je me souviens d'un grand vide, d'une coupure brutale et surtout d'une certaine tristesse. J'étais trop jeune à l'époque pour réaliser à quel point cet homme était en fait important dans ma vie. Et puis ce qui était formidable chez Chomo, c'étaient évidemment tous ces visiteurs, tous ces gens différents, unis et envoûtes quelques heures, grâce au magnétisme de cet homme. Car la magie réside aussi dans le fait que, chez lui, on rencontrait aussi des gens, et pouvait connaître de vrais moments de vérité et de fraternité.
Pour les enfants, Chomo a toujours eu une tendre affection, une complicité et une attention particulières. Comme une abeille, j'ai aussi butiné dans tous les recoins, observant les petits détails. Je me souviens, au moment de partir, quand nous allions chercher des œufs au poulailler. Et lorsque, devant le perron de sa maison, j'avais le droit de jeter du maïs.
Je me souviens de l'odeur du Porto ou du gâteau breton fourré aux pruneaux, mais aussi de la « patate », cette pâtisserie à la pâte d'amande qu'il adorait. Des visites dans les décharges publiques, aussi, pour ramasser des bouteilles en verre fondu. Et des courses à Milly, où on lui achetait des pigments.
Et puis j'ai des souvenirs aussi de tout ce qui me faisait un peu peur, mais une peur douce, sans ondes malsaines : cette salle à manger condamnée avec les volets toujours clos, où s’entassaient sculptures, peintures et masques. Ou ce tunnel extérieur sablé, aux parois plâtrées avec des moules de son visage. Et les tubes de verre de couleur, en rideau, qui cliquetaient avec le vent. Et ce masque mortuaire, moulé sur un visage de bébé.
L’allure de Chomo aussi m'a marquée. Toujours en noir, velours et laine, avec un chapeau turc et une croix en laiton sur ses lunettes, sa barbe toujours bien rasée et ses mains très expressives avec des doigts fins et longs. Ses charentaises, et son odeur de savon de Marseille.
Ce que j'aimais le plus quand on allait chez lui, c'est aussi cet effet de surprise : de ne jamais savoir ce qu'on allait découvrir comme nouvelle œuvre et surtout d’attendre avec impatience qu’il nous la présente, toujours couverte d'une bâche épaisse en plastique. Voilà comme il aurait pu s'exprimer, je l'entends encore :
- Attention madame, vous allez voir comment Chomo exprime sa tristesse la nuit ! Écorché, au cœur de la solitude, Chomo crée, s'imprègne de la puissance du cosmos, de l'immensité, les étoiles lui parlent ! Oui !!
Elle se dit, la dame :
- il est fou celui-là !
-Mais non, regardez ! Touchez ça, allez y ! Le baiser des orphelins : du siporex, taillé au couteau ! C'est lisse au toucher, même sur les fesses ! Touchez madame ! Chomo a travaillé toute la nuit sans répit, Chomo est infatigable, empli de musique et de poèmes, car Chomo n'a pas peur du silence, qui lui montre la voie. Tout ce qui entoure Chomo, ce sont des guides ! Et il vous emmerdera tous très longtemps, à commencer par Laurent Danchin, le seul qui délaisse le créateur ! Allez, on va boire le Porto !
Ou alors :
-Le plafond naturel au-dessus de nos têtes nous domine tous ! Nous ne sommes rien, nous retomberons tous en particules de poussière comme ce sable dans lequel vous marchez, Madame ! Regardez l'empreinte de vos pieds sur le sol. Chomo, lui, il a compris ! Vous verrez ! Même les abeilles savent que l'homme, mis à part le créateur, est un témoin sur terre, à qui on a donné la chance de voir toutes ces merveilles et de créer dans ce décor, et s’il abîme la Nature il doit être condamné ! Pas de pitié pour les imbéciles ! Chomo, il sait déjà tout ça ! Écoutez ce poème…
J'aimais beaucoup le Refuge. J'entends encore le son de sa harpe mystique dont il jouait parfois. Nous écoutions, toujours bien couverts sous nos gros manteaux, avec quelques frissons de peur et de froid mêlés. Il montrait aussi des dessins à l'encre détourés de noir. Ou il lisait un poème.
Le gong à l'entrée, j'adorais y frapper, c'était mon petit rituel d'enfant. Et ce portail bricolé de lianes de plastiques, de fil de fer, de têtes de poupées, de matériaux assemblés.
Quelques visites aussi me reviennent. Le docteur Ferdière et Gladys Jarreau avec Natasha Krenbol, Jeanne Pedder et sa fille Atlantique. Des photos de cette journée résument bien une certaine atmosphère. Tous les adultes à l'écoute, avec de beaux regards d'enfants devant le maître Chomo.
Et puis il y a la fois où je l'ai enregistré avec mon magnétophone...
Pour résumer Chomo, je dirais que c’était un homme en éveil à tout, sensible jusqu'au bout des ongles et débarrassé de tous complexes l'empêchant de suivre son instinct. Mais il est difficile de parler de lui au passé.
Lors de notre visite aux portes ouvertes d’octobre 2015, j'ai été frappée par l'énergie intacte du lieu et, en cheminant sur le site, quelques détails, une trace de peinture sur un rocher, un échantillon de mosaïque collé sur un rebord, donnent l’impression qu'il est passé là quelques minutes avant.
Alors que la Mort est l'issue incontournable, et que nous sommes, pour la plupart, maladivement effrayés à l'idée de cette fin, Chomo, lui, le sage artiste, avait la chance d’être en phase avec l'univers, si bien qu'il ne semblait pas concerné par cette peur du vide.
Encore une fois, pouvoir s'accomplir sans se soucier du regard des autres, « être » pleinement sans chercher à paraître, se désencombrer de la mesquinerie humaine en se retirant dans les bois, c'est ce que de nombreuses personnes rêveraient peut-être inconsciemment de faire… ? Chomo, l'instinctif, a suivi son chemin avec la même force qu'un arbre s'élevant vers la lumière. Quel exemple de figure humaine !
Et s’il fascine tant aujourd'hui encore, toutes générations confondues, c'est qu'à l'heure où beaucoup se cherchent et luttent contre leurs démons dans une société abîmée, l'authentique Chomo résonne comme un sage.
Ses empreintes sur la terre semblent plus que suffisantes pour que son dieu soit content, et ce qui est certain, c'est que l'homme, à lui tout seul, a été cette empreinte bien nette dans la tête de tous ceux qui l'ont fréquenté. Et peut-être même aussi dans celle des imbéciles sans Dieu !
Merci Chomo.
 
 Merci Laurent et Amélie
 

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