Un ami Facebook devenu réalité ... une rencontre à Lille chez Patrick et Marie ...
Et pour accompagner les collages que j'ai choisi de présenter aujourd'hui sur les Grigris un texte de PATRICK LEPETIT sur son ami LÉO LITHA .
Eros et Vanités
Sur les collages de Léo Litha.
"Je sais aujourd'hui saluer la beauté". Arthur Rimbaud.
"L'éternité est là, comme nulle part ailleurs, appréhendée dans l'instant même". André Breton.
Max Ernst, dit-on, expliquait que "si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage", à quoi Aragon ajoutait que "l'emploi de la colle" n'est "qu'une des caractéristiques de cette opération, et même pas une caractéristique essentielle". Ce que Sarane Alexandrian, pour sa part, complétait ainsi: " Le collage semble un art facile, mais comme l'écriture automatique, il n'offre de réussites que si l'on a un sens inné de la poésie". En effet, comme l'écrivait Breton, "toute la valeur d'une telle entreprise - et peut-être de toute entreprise artistique - (...) parait dépendre du goût, de l'audace et de la réussite par le pouvoir d'appropriation à soi-même, de certains détournements". Et s'il est bien clair que ce sont là conditions nécessaires, j'y joindrai pour ma part l'imagination et le talent, aucune de ces qualités ne faisant, par bonheur, défaut à Léo Litha, poète.
Le collage est une pratique artistique plutôt récente, dont aucune explication satisfaisante, comme le rappelle Aragon, ne vient justifier la naissance. Inventé il y a environ un siècle, dans la préhistoire des papiers collés et "cette recréation du Beau que fut le cubisme", il est repris et réorienté par les dadaïstes, notamment le grand John Heartfield qui en fait une arme politique majeure, puis par les surréalistes, au premier rang desquels Max Ernst, "peintre des illusions", Max Bucaille et Jacques Prévert, dont ce fut la première passion, trois hommes qui "par un procédé absolument analogue à celui de l'image poétique", souligne encore Aragon, le mettent au service de leur quête du merveilleux, ce "merveilleux qui nait du refus d'une réalité, mais aussi du développement d'un nouveau rapport, d'une réalité nouvelle que ce refus a libéré", ce "merveilleux moderne, dont Lautréamont, beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, est l'initiateur véritable".
Dans la civilisation de l'image où, plus que jamais nous évoluons, les représentants actuels de la mouvance surréaliste, portés pour la plupart - et Léo Litha le premier - par "l'étrange mécanisme de la sublimation", sont naturellement nombreux à s'être emparés de cette technique de création qui "rappelle plus les opérations de la magie que celles de la peinture", selon Aragon, et permet assurément d'ouvrir toutes grandes les vannes à l'imaginaire. "La surréalité", disait déjà Breton dans l' "Avis au Lecteur" pour La Femme 100 têtes de Max Ernst en 1929, "sera d'ailleurs fonction de notre volonté de dépaysement complet de tout" en précisant de surcroit "qu'en parlant de dépaysement, (lui et ses amis ne pensent) pas seulement à la possibilité d'agir dans l'espace"...
La peinture à proprement parler, même si le collage, surtout chez les cubistes justement, se trouve parfois venir la rehausser et bien que je ne minimise en rien l'importance des croquis et esquisses préliminaires ni des repentirs, est un domaine où beaucoup de choses se jouent dans l'instant, l'immédiateté du geste. C'est ce qu'on pourrait appeler son caractère "primaire". L'art du collage, en revanche, secondaire, si j'ose dire, implique une domestication du temps. Il est lente et minutieuse approche passant par un long processus d'évaluation et de validation, puis de réalisation, relevant d'une certaine manière de cette "hallucination volontaire" que Breton décèle chez Ernst !
Particulièrement soignés aussi bien dans leur conception que dans leur exécution, implicitement inscrits dans la quête de ce merveilleux - ici hiératique, mais ce n'est pas antithétique - dont parle Aragon, les travaux de Léo Litha, où affleure l'invisible, ne font pas exception à la règle et, d'arrêts sur image en détournements, semblent illustrer à merveille ce passage de la Plateforme de Prague : "De la réalisation du désir dans le rêve nait le courage d'assumer la pensée magique dans la vie courante". Une atmosphère de rêve en effet, produit en quelque sorte ici d'une certaine distanciation dans le regard même de l'artiste, règne sur ces compositions d'une beauté froide, apollinienne dans sa perfection glacée et le rappel de la fin de toutes choses, mais néanmoins paradoxalement convulsive car érotique-voilée, plus que jamais magique-circonstancielle, et n'en forçant pas moins l'adhésion. De là naît un sentiment, précisément, d'inquiétante étrangeté, comme si quelque secret au cœur de ce qui s'apparente à une sorte de post-humanité, dans cet univers dont toute joie semble absente jusque dans la palette de couleurs et de tons mis en œuvre, se trouvait sur le point d'être malencontreusement dévoilé. Un secret, par parenthèse, lié sans doute à la figure féminine aussi inaccessible qu'envoûtante, qui pourrait bien résider dans l'omniprésence des formes sphériques, circulaires ou ovoïdes, organiques, qui ponctuent aussi les collages... Eros, presque cru parfois et ombré en l'occurrence d'un soupçon de désespérance, n'est jamais bien loin, qui le dispute non pas directement, ni exactement, à Thanatos en personnification de la mort, mais à ces vanités médiatrices qui reviennent avec une belle constance dans une œuvre où le sacré, cependant, aux confins du spirituel, du moral et du philosophique, se manifeste, sous le signe ascendant de la contradiction assumée, en dehors de toute transcendance. Comme le note Alain Tapie, "si la Vanité est bien un moment de la conscience formulée par le christianisme, elle n'en relève pas moins (...) d'un substrat 'archéologique' dont les composantes participent de l'universel sacré. S'y déploient les notions de temps, de mort, d'élévation, de résurrection au travers de pratiques, comme le sacrifice, l'offrande en ex-voto, la représentation cathartique". Et sans doute n'est-il pas abusif, même si distorsion de ces notions il y a, de faire observer qu'il s'agit peut-être bien là de quelques-uns des ressorts de la création de Léo Litha. Et aussi que, l'amour fou étant le contraire du sacrifice, c'est de fait dans cette contradiction aussi dynamique que douloureuse entre Eros et Vanités qu'elle puise sa force singulière.
Patrick Lepetit
Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud. Ancien Lecteur de l'université de Londres. Poète (Rituel d'une fascination (2007), Déclaration d'incandescence (2011) - Editions Rafael de Surtis) et collagiste.
Essayiste auteur en particulier de Le Surréalisme, parcours souterrain (Dervy, 2012- Inner Traditions, 2014).
Et ce dernier clin d'oeil à ma passion !
RépondreSupprimerCes collages sont magnifiques... et magiques !!
Merci de nous les avoir fait connaître.
Bonne année pour toi et ceux qui t'entourent.
ELZA