"Invité par le musée à concevoir un dispositif mettant en jeu la corde, l’un des aspects emblématiques de son oeuvre, l’artiste Christian Jaccard a choisi de confronter divers aspects de son concept supranodal aux espaces de la Corderie Vallois.
Elaboré au cours des années 1990, ce processus consiste à recouvrir des structures diverses de noeuds et d’entrelacs dont la superposition crée progressivement une parure puis une sorte d’expansion de l’objet. Loin des canons d’une sculpture contemporaine stricte et minimaliste, les productions de l’artiste, par leur accumulation irrationnelle, semblent acquérir une vie propre.
Ici, le concept supranodal incarne à sa manière le règne du vivant dans une ambigüité fondamentale : on peut le percevoir comme une expansion positive et signe de vie, ou au contraire comme un développement mortifère étouffant la structure d’origine.
Les éléments de Comme un rêve blanc ont été produits sur plusieurs décennies, inspirés de rêves, de rencontres fortuites et de vicissitudes journalières. Deux pièces de cette exposition ont été réalisées avec le matériau produit dans ces murs, qui par ironie se trouve ainsi détourné de ses fins utilitaires."
La vallée du Cailly
L'histoire de la valléeL'histoire de la corderie est étroitement liée à la vallée du Cailly qui a façonné le paysage économique de la région.
L’industrie cotonnière s’y est installée dès le 18e siècle. Elle y bénéficiait de la présence de nombreux ports fluviaux et maritimes, dont celui de Rouen, véritables plates-formes commerciales pour les professionnels du textile.
Au début du 18e siècle, la vallée se distingue déjà par ses activités. A partir de 1701, la demande de cotonnades devient si intense que les marchands et fabricants rouennais organisent la production en zone rurale, avec l'aide de la main d'œuvre campagnarde. Le nombre de travailleurs ruraux vivant du filage, de l'ourdissage et du tissage des cotonnades passe de 20 000 en 1730 à 100 000 à la fin du siècle.
Les « siamoises du Pays de Caux » (étoffes tissées à trame de coton renforcée de lin ou de soie) puis les « indienneries » (tissus imprimés) font alors le succès de la production régionale.
A la fin du 18e siècle, les machines anglaises (mécaniques à eau) font leur apparition. Qualifiée de « petite vallée de Manchester », la vallée du Cailly constitue un site propice au développement des filatures hydrauliques, en lieu et place des anciens moulins utilisés pour le papier ou le grain.
Au 19e siècle, la vallée connait un essor économique prodigieux avec l'expansion de l'industrie cotonnière. Entre 1815 et 1820, quinze nouvelles filatures hydrauliques sont édifiées sur les rives du Cailly. En 1850, 51 filatures, 4 entreprises de tissage, 22 indienneries et 17 teintureries jalonnent un territoire long de 44km.
Le département de Seine-Inférieure se positionne alors en tête des départements cotonniers français pour la filature et le tissage.
Cependant, durant la seconde moitié du 19e siècle, les problèmes d'approvisionnement en matières premières, conjugués à la modernisation coûteuse de la mécanisation, vont obliger de nombreuses filatures à cesser leur activité.
Finalement la perte des colonies françaises, notamment l'Algérie, va s'avérer fatale à l'industrie haut-normande. Elle ne peut plus concurrencer la production à bas prix des pays étrangers et l'ère du coton s'achève définitivement dans les années 1950. Les bâtiments qui accueillaient les filatures et les ateliers textiles sont reconvertis.
Du moulin à papier à la corderie Vallois
L’histoire du musée industriel de la Corderie Vallois remonte au 18e
siècle. A l'origine, Jean Toussaint, un marchand de Darnétal, exploitait
depuis 1759 un moulin à papier datant du 16e siècle.Achetée en 1819 par Charles-Désiré Fouquet, teinturier blanchisseur à Bapeaume, la propriété est modifiée dès 1821 par sa veuve, Marie-Rose Fouquet-Cuit, qui entreprend de lourds travaux. Un bâtiment de quatre étages à pans de bois, de 17,50 mètres de côté, est ainsi édifié le long de la rivière.
En 1825, par ordonnance du roi Charles X en date du 18 janvier, l’autorisation lui est donnée de convertir en « moulin à coton » l’ancien moulin à papier. Les structures hydrauliques du moulin sont alors modifiées avec l'installation d'une roue géante d'un diamètre de 7,30 mètres et d'une largeur de 3,90 mètres.
Le 9 août 1836, l'usine est rachetée par Edouard-Henri Rondeaux, indienneur à Bolbec. Après une reconversion temporaire en filature de laine, durant la crise cotonnière des années 1860, l'usine est transformée en corderie mécanique en 1880 par Jules Vallois, cordier à Saint Martin du Vivier.
Elle fonctionnera jusqu’en 1978, date de sa fermeture.
Jules Vallois ...
Jules Vallois est né le 6 août 1842, au Neubourg, dans une famille d’exploitants agricoles.Il se marie le 16 janvier 1869 avec Augustine Féret. De cette union naissent quatre enfants Raoul, France, Gaston et Agnès. La famille s’installe au 36 rue du Contrat- Social à Rouen.
A cette époque, il est employé de commerce dans une rouennerie du boulevard des Belges, à Rouen. Une fois obtenu son diplôme de cordier, il part à Saint-Martin-du-Vivier pour travailler dans l’usine Jourdain, qui fabrique de la corde tressée.
La vallée du Robec, faiblement industrialisée, est alors la cible de grands projets d’aménagement, engagés par les pouvoirs publics. Jules Vallois est ainsi obligé de changer d’usine, suite au captage des eaux de la rivière pour alimenter la ville de Rouen.
Contraint à chercher un autre bâtiment, il loue l’établissement de la famille Rondeaux, à Notre-Dame-de-Bondeville, puis en devient propriétaire en 1897, grâce aux indemnités versées par la ville de Rouen.
Il transforme alors la filature en corderie mécanique, en y installant d'imposantes machines anglaises au rez-de-chaussée et de petites unités françaises de premier étage.
Les cordes câblées et les cordelettes tressées deviennent les spécialités de la maison.
Une entreprise familiale et artisanale
Jules Vallois était un homme discret. Ses origines paysannes et modestes ont probablement influencé sa vision du travail bien fait et sa volonté de créer une ambiance familiale dans son usine.
Patron paternaliste, sa vision du monde du travail s’inspirait des théories du catholicisme social. Il avait d'ailleurs recruté la plupart de ses ouvriers dans la vallée du Cailly et avait mis à leur disposition jardins et potagers.
Le travail à la corderie nécessitait une certaine habileté et était donc confié majoritairement à des femmes. Jusqu’en 1948, les ouvrières travaillaient cinquante heures par semaine. Elles étaient payées au rendement et à la quinzaine, ce qui imposait un certain rythme de travail et un nombre important de commandes.
Le travail était pénible, à cause du bruit des machines, de la poussière du coton, du froid en hiver et des fortes chaleurs en été.
Néanmoins, malgré des conditions de travail difficiles, les revendications furent rares de son temps et les ouvrières semblent ne s'être rendues dans son bureau, au premier étage, que pour chercher leur salaire.
La bonne ambiance de travail à la corderie fut l’héritage de Jules Vallois. Il laissa à sa mort, le 7 septembre 1918, une entreprise prospère et dynamique.
... et la corderie
Successions et fermetureAprès le décès de Jules Vallois, à l’âge de 76 ans, son fils Gaston devient propriétaire de l’établissement, le 2 novembre 1918.
Gaston Vallois travaillait avec son père mais avait peu d’expérience dans la vente. Sur les conseils de sa mère, il cède le fonds de commerce à un ingénieur vosgien du nom d’Henri Bresch et reste à son poste, dans la fabrication.
C’est une période prospère pour la corderie qui emploie une quarantaine de personnes. La gestion d’Henri Bresch permet de réaliser une bonne transition entre l’héritage de Jules Vallois et l’époque moderne du 20e siècle.
Malheureusement pour la corderie, il ne parvient pas à surmonter les conséquences de la crise de 1929 et à sa mort, en 1930, la situation financière devient inquiétante. Les banques ne voulant plus prêter l’argent nécessaire à la bonne marche de l’entreprise, Gaston Vallois doit garantir les emprunts sur sa fortune personnelle et créer une SARL avec les héritiers Bresch, le 1er septembre 1930.
Suzanne Bresch, fille d’Henri Bresch, travaille alors comme comptable et secrétaire pour la société, qui prend le nom d’ « Etablissements Jules Vallois ».
Gaston, lui, se met à gérer l’usine et arrive progressivement à éponger les dettes en diminuant le nombre de machines et en réduisant les effectifs, qui tombent à dix ouvrières en 1936.
Fidèle à la politique de son père, il cherche tout de même à éviter les licenciements secs et aide les ouvrières à retrouver emploi.
Le 1er janvier 1937, il cède sa place à Maurice Mallet, ingénieur de formation, qui avait épousé Suzanne Bresch. Les finances de l’usine avaient été assainies et un fonds de réserve avait été créé pour faire face à d’éventuels soucis financiers.
Gaston Vallois meurt en 1952. A cette époque, le déclin de l’activité textile entraîne de nombreux bouleversements. La production doit se diversifier (passementerie, bonneterie, filets de pêche, mèches à briquet) et de nouveaux clients et débouchés doivent être trouvés pour que l’usine survive.
Malgré ces efforts, la situation financière se dégrade peu à peu. Les clients se font rares et Maurice Mallet doit se résoudre à déposer le bilan en octobre 1978.
Le syndicat intercommunal de Notre-Dame-de-Bondeville et du Houlme achète le terrain à la famille Vallois, qui en était toujours propriétaire.
La corderie, près d’un siècle après sa création, est alors en très mauvais état …
De la corderie au musée
La sauvegarde du siteMaurice Mallet était resté très attaché à son usine malgré la fermeture et il lutta pour empêcher sa destruction.
Menacé par un projet immobilier sur un terrain adjacent, le bâtiment put être sauvé et restauré grâce à son combat, mené avec Pierre Vallois, petit-fils de Jules Vallois, et soutenu par l’Association du Musée de l’Homme et de l’Industrie, les pouvoirs publics (Monuments Historiques et Musées de France) et les collectivités territoriales (Région et Département).
Le 15 janvier 1975, le bâtiment et la roue furent inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques et le 27 février 1984, la plupart des machines furent classées au titre des objets mobiliers du monument.
En 1989, la région de Haute-Normandie, propriétaire du bâtiment, prit la décision de créer un musée archéologique industriel servant de lieu de mémoire. Le projet muséographique répondait ainsi à un double objectif : restaurer le site, en restituant l’ambiance des ateliers d’antan et en l’adaptant à sa nouvelle fonction muséale.
Le 11 février 1994, le musée industriel de la Corderie Vallois était inauguré. Premier musée industriel de France, il était alors propriété du Département de la Seine-Maritime. Depuis le 1er janvier 2016, l'établissement est transféré à la Métropole Rouen Normandie.
On peut encore y voir les anciens bâtiments, ainsi que l'ensemble des machines, mues par la roue à aubes qui fait toujours vibrer l'édifice au rythme de la rivière.
Du coton et des bobines
Pendant près de 100 ans, la corderie produisit de la corde à partir des bobines de fils de coton fabriquées dans les filatures de la région.
Le coton récolté au sud des Etats-Unis, en Inde, en Egypte, en Chine ou au Pakistan, arrivait par le port de Rouen. Puis les balles de coton étaient acheminées par voie ferrée jusqu’aux usines textiles de la vallée du Cailly.
Dans la corderie, l’espace étant relativement restreint, le travail s’effectuait sur plusieurs étages. Au rez-de-chaussée étaient placées les machines les plus lourdes, d'origine anglaise et écossaise, qui servaient à la fabrication des cordes câblées et moulinées. Quant au premier étage, un atelier de tressage de cordelettes utilisait pour l' essentiel de petites tresseuses françaises.
Trois types de « corde » furent ainsi produits à la Corderie Vallois :
- Les moulinés, par assemblage et torsion de fils de coton.
- Les câblés, par torsion de fils moulinés (câblés fins) ou de torons (gros câblés).
- Les tresses, par entrelacement de fils simples ou assemblés.
Ces produits servaient à la conception de divers articles. Le mouliné était utilisé pour fabriquer le câblé fin, produit à la corderie. Mais il pouvait également être vendu aux tapisseries pour réaliser les métiers à tisser. Le câblé, quant à lui, était destiné à servir de mèche pour briquets et bougies, de corde à broches ou de filet de pêche, en fonction de sa grosseur.
LE SITE
185 Route de Dieppe
76960 Notre-Dame-de-Bondeville
02 35 74 35 35
Horaires : Ouvert au public tous les jours de 13h30 à 18h.
Mise en fonctionnement des machines avec visites commentées à 14h, 15h, 16h et 17h.
Fermé les 1er janvier, 1er mai, 1er et 11 novembre et 25 décembre.
Tarifs : Entrée libre et gratuite dans les collections permanentes et l'exposition temporaire.
Pour Isabelle et Nathan
beau reportage merci merci pour ce beau billet
RépondreSupprimerje t'embrasse