lundi 9 octobre 2017

ALEXANDRE DONNAT PRESENTE UNE PARTIE DE SA COLLECTION AU 100 A PARIS

 



Heureusement l'exposition "A VIF AU 100" est prolongée une semaine !
Vous avez jusqu'au 24 octobre pour découvrir une partie de la fascinante collection d'
ALEXANDRE DONNAT.
Les Jaber sont fabuleux bien sûr, moi j'ai eu un total coup de cœur pour les dessins de Jim Sanders
et le crucifix de Mister Imagination !

A NE PAS MANQUER ! 



























Et le texte de THOMAS A. RAVIER qui accompagne l'exposition :




Nous voulons la paix des chiens

Par Thomas A Ravier


Je ne sais pas ce qu’est l’art brut. Et je ne veux pas le savoir.  Quand un islamiste égorge en pleine rue un journaliste, c’est peut-être, en effet, de l’art brut ? Quand une petite fille, il y a quelques années de cela, de retour de son cours de danse un jour d’orage, alors qu’elle traversait, à en croire la presse, le parc Monceau en tutu, a été foudroyée par un éclair, c’est sans doute, j’imagine, de l’art brut ? La nature, parlons-en ; elle a comme ça des fulgurances qui n’ont rien de culturel. Le hasard, qui est toute la grâce, se moque des fétiches comme des dégâts souvent effroyables qu’il engendre. Son seul principe ? Mettre le feu aux amulettes ! Que je sache, Dieu n’a jamais fait les Beaux-Arts ? Ça peut aider à créer le monde.

D’autant que ces accidents parfois monstrueux du réel dont je parle sont désormais systématiquement scrutés, et enregistrés. Le fait est. En délivrant à mes contemporains béats l’universel smartphone, on a ouvert grand les portes de l’asile et transformé la rue en lieu d’improvisation en ligne d’une brutalité sans nom ; le moindre analphabète y va de son chef-d’œuvre anonyme, anonyme et, selon le vœu de Dubuffet, « libre de toute filiation », sinon envers la technique elle-même. Encore, encore et toujours de l’art brut… Seulement… Seulement le cœur a ses raisons que les réseaux ignorent. L’art est un acte d’amour, comme tous les grands sacrifices. Mais c’est un sacrifice sans victime (au contraire de ce qui a lieu à chaque seconde dans l’espace social). Et c’est là que ça devient drôle.

Le premier à avoir retenu mon attention dans la collection d’Alexandre Donnat, c’est Jaber. J’ai ri, et vous rirez j’espère, devant ses incantations espiègles placardées sur les murs bariolés de son Lascaux lyrique. Examinez attentivement son Mitterrand… Il ne lui manque que sa francisque ! À ceci près qu’avec Jaber, cette francisque serait un pin’s !

Plus loin, quelle merveille que ce gentil petit christ basané, signé de Mr Imagination ! Il bronze tranquillement, dirait-on, sur sa croix, au soleil de la foi. Du lointain d’une crucifixion placide, il semble ajouter une parole supplémentaire à celle de son glorieux prédécesseur au Golgotha : « Au moins, je suis fixé. »

Ah, voici les fusils d’opérette de Robillard… Y a-t-il plus beau meurtre que celui bricolé dans un jardin, par un assassin du dimanche ? Ces fusils, je les imagine volontiers sur l’épaule d’un Arlequin maquisard ou d’un sniper pacifique… Autant d’armes après la vue desquelles on ne devrait plus jamais tirer sur quelqu’un sans s’étrangler de rire, n’est-ce pas. On peut rêver. Prendre la clef des champs, même s’ils sont désormais génétiquement modifiés… Au bout, peut-être, comme dans le poème de Ponge ou la chanson de Ferré, la paix des chiens.

Jaber… Robillard… L’abbé Coutant… Dans un monde d’émotions muséales et de chefs-d’œuvre authentifiés, le spectateur de demain aura de plus en plus besoin d’objets négligés reposant sur un détail artisanal mélodieux.


Surprise : Alexandre Donnat, au risque de déconcerter le spectateur et son œil concupiscent, a pris le parti de supprimer les illustrations de son catalogue. Il ne s’agit pas, me semble-t-il, d’un geste iconoclaste fortuit, d’un simple caprice d’impression. Pas non plus de pages blanches, avec ce que cela suppose d’intimidation psychologique. Que cette disparition soit une apparition ; mieux, une diversion. La peinture ? De la parole pigmentée. Face à l’interrogation culturelle, l'art a toujours rendu copie blanche, il en va de sa noblesse intransitive. Un peu de silence formel, s’il vous plaît, contre le bavardage de la représentation… La peinture n’est pas une image, elle ne relève pas d’une opinion visuelle relayée par quelques esthètes privilégiés - lesquels appellent physique ce qu’ils ne ressentent pas et métaphysique ce qu’ils n’ont pas compris. On a trop tendance à confondre un tableau avec quelque espèce d’étendue locale (appréciation académique que le moindre tableau de Ronan Barrot ruine à jamais). En d’autres termes, la peinture ne s’expose pas ; sinon à la grossièreté du regard public. La foi seule enfante la vue. Pourquoi croyez-vous que le vin, lors de l’eucharistie, est blanc, et non rouge, comme vous aurez tendance à le penser dans un souci de réalisme malvenu ? Comme par hasard, c’est une des premières choses dont Donnat m’a parlé : le catholicisme… L’incarnation… La présence réelle…


Je ne connais pas Alexandre Donnat. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Nous nous sommes parlé, un soir, au téléphone, par l’entremise de Ronan Barrot. Sa demande était la suivante : que j’écrive le texte de ce catalogue. Qui ça, moi ? Moi, l’idiot sublime ? Je lui ai dit : je suis un sublime idiot méridional. Il a ri. À dire la vérité, je n’écoutais pas vraiment (depuis plusieurs semaines, allez savoir pourquoi, je ne pensais plus qu’à l’affaissement impondérable de l’étamine). Puis Donnat a évoqué en détails sa collection, et c’était comme si Noé me parlait de son arche. Il était tard… Je n’avais pas dormi depuis plusieurs jours… Sa conversation légèrement précipitée – celle d’un interlocuteur en cavale – agissait étrangement sur moi : en raccrochant, ce fut comme si je me réveillais d’un rêve. Donnat m’avait longuement parlé de lui, évoquant une enfance fiévreuse avec un sens romanesque évident. Dans une chambre à laquelle je donnais aussitôt les contours inquiétants de celle de Rogojine dans L’Idiot (passant du Val-d’Oise à Saint-Pétersbourg), je le voyais dans la peau à vif d’un enfant torturé par l’eczéma qui se tord sur son lit pour se gratter jusqu’au sang… Digne d’un tableau de Bacon, ravagé lui aussi, jeune, par l’eczéma.

Eczéma, du grec ekzein : « bouillonner ».

Quel sens Donnat donnait-il à ces hiéroglyphes rubiconds ? Naître, existe-t-il en effet plus irritant ? Qu’y a-t-il de plus irritant qu’une existence à la recherche de sa propre incarnation (comme si un statut biologique suffisait à régler la question de l’identité, auquel cas voilà la religion ultime). De quoi bouillonner, en effet. La médecine, ennemie des grandes vérités dramaturgiques, parle d’affection cutanée ? Pas du tout, il s’agit d‘un enfant qui touche du doigt une autre forme, invisible, de présence à travers ce qui fut pour lui, en somme, une première forme de collection, ici corporelle : à travers ces propres traces.

Peut-on se gratter jusqu’au chiffre, ce péché originel du collectionneur ? Avant de raccrocher, Donnat ne m’avait-il pas confié qu’il se sentait, je le cite, « catholique » ? Or qui mieux qu’un catholique sait, d’instinct, à quel point une plaie est un livre ouvert, que le Christ a autant de bouches que de stigmates et un corps qui a valeur d’alphabet. Saint Bernard, en baisant les blessures du Messie, en baisait, disent les pères de l‘église, les sacrés caractères : « rassasié de son sang, et avec cette divine liqueur il humait le mépris du monde ». Humer le mépris du monde… Un saint serait une sorte de chien ? Un chien sacré ? De quoi réveiller mon pitbull qui dort d’un œil mauve et bave sur un lit de parchemin

Alexandre Donnat cherche la trace. Il va trouver. En offrant votre curiosité comme on offre son sang aux œuvres de sa collection, nul doute que vous pouvez l’aider. L’aider à trouver la paix. La seule paix vraiment gratuite : la paix des chiens.



« Collection Alexandre Donnat, à vif au 100 »
22 sept. - 24 oct. 2017
Au 100 : 100 rue de Charenton, 75012 Paris
Contacts : Eléonore Létang-Dejoux, 01 55 78 05 55, evenements@100ecs.fr ; contact@collectionalexandredonnat.com

 

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