NÉBULEUSE HYPERCRÉATIVE
Enki Bilal, né à Belgrade, arrive à Paris à l’âge de dix ans et s’y trouve confronté, au-delà des affres de sa vie familiale, à une adaptation culturelle qui va marquer son œuvre et sa détermination à créer :
‘Lorsque
je suis arrivé en France, le dessin est devenu pour moi une nécessité
vitale, car les conditions ne
correspondaient pas à nos attentes et à mes rêves. Pour moi, le
dessin était devenu un vrai refuge. Je me créais un univers dans mon
petit coin. Est née alors cette passion et un besoin de
fiction, et non plus une représentation de la réalité. C’est à ce
moment-là que j’ai commencé à voyager dans les images.’
Mais Enki Bilal n’était pas emmuré dans ce refuge, tel un autiste. Il construisait sa mue, s’éloignant du
risque de défaillance psychique face au bouleversement de l’émigration. Il a même excellé dans son intégration culturelle :
‘C’était
pour moi une vraie rupture culturelle. La maîtrise de la langue s’est
imposée comme un bien au sens
d’une responsabilisation, d’une existence propre. Pour moi, il y
avait une forte envie d’intégration. Il fallait tout reconstruire. Comme
étranger, il fallait démontrer, faire la preuve qu’on est
quelqu’un, une forme d’ambition. J’étais bon élève. C’était
important d’être premier en français, une énorme victoire, être
l’exemple de la classe.’
Et plus loin dans l’entretien :
‘Ce que je raconte, c’est l’homme qui n’arrive pas à trouver sa place dans la société. Il n’est pas à sa
place. C’est un marginal qui a une force et qui va son chemin.’©
……..
Le
propos créateur d’Enki Bilal ne se limite pas à cette question du
déracinement, à cette adaptation
au forceps qu’il a du s’imposer. Il n’est pas autobiographique ni
autofictionnel. Enki Bilal transcrit dans l’acte même de sa création,
dans son entêtement à creuser son sillon si singulier
et dans la question de l’errance, de la précarité de ses héros,
l’avènement d’une autre culture en lui, et ce faisant, pose la question
de ce que deviennent ses références passées : la
langue, les lieux de son enfance depuis à nouveau bouleversés, ses
représentations et ses rêves d’enfant. La production artistique
s’enrichit de ces collisions de cultures à condition que la mue
réussisse et qu’elle n’annihile pas les potentialités préexistantes.
©
………
Enki
Bilal déroule ses histoires autour d’un homme vagabond, à la fois
héroïque et possédé, militant et
amoral. Ce parcours erratique lui permet de transmettre un message
complexe dans ses narrations et ses dessins. Enki Bilal porte en lui la
cicatrice du déplacement et de l’inconnu, se rattachant
aux sensations exacerbées de son long voyage d’émigration vers la
France :
‘J’ai
été marqué à vie par le départ en train, le bruit, les odeurs, des
sensations multiples et déroutantes.
Les 42 heures de train, le déracinement, l’homme à la valise, tout
cela est très fort pour moi. Encore actuellement, sortir d’un train est
un évènement. Je reste concentré sur une odeur, l’image
d’un train inoccupé. Il y a perplexité et vague souvenir. Ce sont
des éléments connectés avec le réel, et le rapport des gens au réel. Ça a
une fonction, un sens fort pour moi. Ce que je raconte,
c’est l’homme qui n’arrive pas à trouver sa place dans la société.
Il n’est pas à sa place. C’est un marginal, mais pas au sens
misérabiliste. Un marginal qui a une force et qui va son chemin… Il
s’agit de se dépêtrer avec quelque chose d’obsédant et qu’on essaie
de dompter.’©
C’est d’une nébuleuse dont parle Enki Bilal à propos de ses représentations disponibles pour l’acte
créateur :
‘Raconter
une histoire, l’actualité peut en être le détonateur, mais c’est ma
propre mémoire, avec mes
fantasmes et mes obsessions qui s’imposent. Un tri se fait à partir
d’une nébuleuse. Ce tri est mystérieux et offre au thème des
ramifications multiples… Il s’agit de se dépêtrer avec quelque
chose d’obsédant et qu’on essaie de dompter. Rarement l’image que je
peux avoir en moi arrive aboutie. Cette image doit rester une direction
de sens. L’aventure est sur la feuille. Ce que j’ai vu
dans ma tête, à l’arrivée, je sais que ce ne sera pas comme ça. Il y
a perplexité et un vague souvenir. Ce sont des éléments connectés avec
le réel, et le rapport des gens au réel. J’ai une
image, un flash après le départ de Belgrade, une texture, une
matière, quelque chose que j’avais connu, mais je ne sais pas ce que
c’est ; une texture en relief dans les gris. Plusieurs
fois, j’ai cru que j’allais trouver et puis, pfuiiit ! C’est à
rapprocher du sens même de mon dessin où la texture est plus importante
que le trait… Mon art est une multitude
d’accidents mis bout à bout.’©
…………..
'Il
faut une forme de cécité à la réalité pour l’ouverture au regard
intérieur. Pour moi, le regard
n’est pas le plus important. J’ai beaucoup regardé, j’ai le souvenir
des choses, mais le dessin vient ensuite. C’est le dessin tel que je
l’imagine, tel qu’il est dans ma mémoire. Je dessine dans
un état où les yeux sont tournés vers l’intérieur, puis je vois ce
qui est projeté sur le papier.’©
………… (Extrait de Au risque de l’Art par Thierry Delcourt, éd. L’Age d’Homme, 2007)©
(cliquer sur le lien)
tu sais j'ai failli tourner avec lui je l'ai rencontr en essai et aprés sur des plateau j'aime ce mec et sa nouvelle bd dit vraiment le monde de demain
RépondreSupprimergros bisous et à très bient^to