vendredi 24 août 2018

LU ET AIME " DANS LES COULISSES DU MUSEE" DE KATE ATKINSON


"Dès l'instant précis de sa conception, une nuit de 1951, la petite Ruby Lennox a commencé à voir, à comprendre, à sentir. En particulier, elle sait qu'on se serait bien passé d'elle... Et la voilà qui entreprend de nous raconter, avec un humour et une lucidité féroces, dévastateurs, son histoire, celle de ses parents George et Bunty, petits boutiquiers d'York, de ses soeurs, de toute une famille anglaise moyenne - mais assurément pas ordinaire. Mieux encore : Ruby remonte dans le passé. Si bien qu'à l'Angleterre des années cinquante et soixante se mêlent les images de tout le siècle, de deux guerres mondiales qui ont bouleversé des destinées.
Dès sa parution en Angleterre, ce premier roman de Kate Atkinson a été salué comme un chef-d'œuvre, pour la subtilité de sa construction, la verve irrésistible de son écriture. Il a obtenu le prix Whitbread 1996, battant au dernier tour Salman Rushdie. En France, la rédaction de Lire l'a élu meilleur livre de l'année."




Quelques extraits ....

Ça y est j’existe ! Je suis conçue alors que minuit sonne à la pendule posée sur la cheminée, dans la pièce de l'autre côté du vestibule. La pendule a appartenu autrefois à mon arrière-grand-mère (une femme nommée Alice) et c'est sa sonnerie fatiguée qui salue mon entrée dans le monde. Ma fabrication commence au premier coup de minuit et s’achève au dernier, au moment où mon père se retire de ma mère, roule de côté et se retrouve subitement plongé dans un sommeil sans rêve grâce aux cinq pintes de bière John Smith qu’il a bues au Bol-de-Punch, avec ses amis Walter et Bernard Belling. Lorsque j’ai été arrachée au néant, ma mère faisait semblent de dormir – comme elle le fait souvent en ces circonstances. Mais mon père a la santé et il ne se laisse pas décourager pour autant.
Mon père s'appelle George, et il a dix bonnes années de plus que ma mère, qui ronfle maintenant, le nez dans l'oreiller voisin. Ma mère a pour nom Berenice, mais tout le monde l'a toujours appelée Bunty.
« Bunty » ne me semble pas un nom très adulte. Ne serait-il pas préférable pour moi d'avoir une mère avec un autre prénom ? Un prénom tout simple comme Jane, ou très maternel comme Mary ? Ou bien quelque chose de romantique, quelque chose faisant un peu moins penser aux illustrés pour adolescentes sportives – Aurore, par exemple, ou Camille ? Trop tard maintenant. Le nom de Bunty va, bien sûr, être « Maman » pour les quelques années à venir, mais, au bout d'un certain temps, il ne restera plus aucune dénomination maternelle (maman, m'man, man, mama, ma, mmm) paraissant appropriée, et je renoncerai plus ou moins à l'appeler de quelque nom que ce soit. Pauvre Bunty !



-Le passé, Ruby, c'est ce qu'on laisse derrière soi dans la vie, me dit-elle avec un sourire de lama réincarné.
- Faux, Patricia. Le passé, c'est ce qu'on emporte avec soi.



Elle se dirige vers la salle de bains où la cruelle lumière du plafonnier vient ricocher sur le carrelage blanc et noir et sur le porte-serviettes en chrome, renvoyant à Bunty dans la glace son visage matinal blafard et creusé d'ombres suspectes. Un instant elle ressemble à une tête de mort, et le suivant elle ressemble à sa mère. Elle se demande laquelle des deux images est la pire. 


 J’avais pensé que lorsque Bunty (ma mère) mourrait, je me sentirais libérée d’elle, mais je me rends compte maintenant qu’elle sera toujours là, en moi, et je suppose que, dans l’avenir, au moment où je m’y attendrai le moins, je me regarderai dans une glace et y reconnaîtrai son expression, j’ouvrirai la bouche et entendrai ses paroles en sortir.

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