Moi qui rêve du Canada voici aujourd'hui sur les Grigris une nouvelle raison de partir pour ce magnifique pays : LE MUSÉE D'ART CONTEMPORAIN SINGULIER de Marsonville et pour y retrouver les œuvres de différents amis et une intrigante collection de crucifix.
Catherine Ursin
Un musée sur la frontière
Le M.A.C.S,
Musée d’Art Contemporain Singulier
Au cours de leur histoire, les deux mots, « Région » et « Art », ont tissé des liens avec tous les domaines. Lors des premières dissections, des peintres dessinent les premières planches anatomiques, créant ainsi les cartes d’une géographie du corps. Dans les débuts de cette exploration, on commence à parler des régions du corps, faisant écho aux régions de l’âme dont la littérature mystique de l’époque imagine les contours. On n’a jamais parlé de régions de l’art, mais la plasticité du mot qui désigne autant des zones bien délimitées que des espaces aux frontières insaisissables suggère des correspondances avec la façon dont se définissent différents territoires dans le domaine de l’art, comme avec la notion d’art contemporain qui semble parfois se réduire à celle d’art conceptuel. Au Québec, une région est une entité administrative mais l’immensité du territoire impose des réalités bien différentes selon qu’on habite plus ou moins vers le Nord et dans une proximité ou un éloignement des grands centres culturels que sont Montréal et Québec. L’éloignement peut être un avantage car il force à une ouverture et une indépendance d’esprit. Le festival du film en Abitibi en est la démonstration par son ampleur et sa créativité. Il semble que la proximité, surtout de Montréal, fasse davantage courir le risque de penser de façon régionale. Or, si cela est pertinent pour des artisans et des artistes paysagistes ou animaliers s’inscrivant dans une production et une diffusion locale, cela ne saurait être le cas pour l’art qui ne se laisse pas définir par un pays ou même un continent.
Ouvert en 2018, le M.A.C.S, « Musée d’Art Contemporain Singulier » expose des artistes découverts pour la plupart à Montréal, quelques uns montréalais de naissance, mais bien d’autres venus de régions du Québec, d’autres encore de différentes provinces du Canada et même d’Amérique centrale , du Moyen-Orient et d’Europe. On peut y découvrir en permanence environ 440 œuvres, dessins, peintures, tapisseries et sculptures. Il est le premier musée de ce genre au Canada et d’une certaine façon le premier en Amérique du Nord, ceux de New-York, Chicago et Baltimore mêlant ce courant singulier avec le Folk Art, ce que ne fait pas le MACS.
Ce musée est installé dans une ancienne église de Mansonville, village collé à la frontière américaine, dans les Cantons de l’est du Québec. Cette position géographique a une valeur symbolique, car l’art contemporain est singulier quand il fait de la frontière un pays. Cela signifie que l'artiste singulier n’habite aucun territoire délimité par le marché de l’art et l’Histoire de l’art, mais qu’il porte en lui de quoi transformer ce qui sépare en ce qui unit et créer ainsi son propre espace métissé . L'artiste singulier est aussi celui qui explore ses propres frontières, il est un migrant dans son monde intérieur.
Quoi de plus urbain qu’un musée d’art contemporain ? En créer un dans un village entouré de forêts et de montagnes à perte de vue, c’était la chance de faire sentir un décentrement dans l’esprit même de cette création, tenir à distance les grandes instances culturelles qui, malgré leur créativité, reproduisent sans en avoir conscience un cloisonnement hiérarchisé de l’art allant jusqu’à la formation de ghettos dans son Histoire et dans ses composantes, notamment ethniques, l’art dit « inuit » en étant l’exemple majeur.
Découvrant ce que les Inuits étaient capables de sculpter dans l’ivoire d’une dent d’ours de phoque de morse ou dans le bois d’un caribou, de petites sculptures soit à usage chamanique, soit pour commercer avec les baleiniers, en 1948, un Blanc, James Huston, leur ouvre des carrières de pierres, leur apporte des outils et crée une coopérative qui s’engage à leur acheter leurs œuvres. De grands sculpteurs vont surgir, au moins une quinzaine, ce qui est incroyable pour un peuple si peu nombreux et en si peu de temps. Il y a là des Rodin, des Giacometti, qui s’appellent Karoo Ashevak, Judas Ululaq, Barnabus Arnasungaaq et qui n’ont jamais eu leur place avec les Blancs dans l’Histoire de l’art parce qu’ils ont été folklorisés, dans l’appellation « art inuit ».
Aux fous aussi, on a apporté de quoi peindre et dessiner mais on a cherché ce que la folie faisait découvrir de son monde invisible et non pas le talent. Dubuffet a sorti ces œuvres des hôpitaux psychiatriques pour les enfermer dans ce qu’il a appelé « art brut ». Or, l’art travaille contre l’enfermement et ceux que cette notion d’art brut enferme en les excluant de l’art et de son Histoire sont justement les spécialistes de l’évasion et de la migration clandestine. Je parle ici de ceux qui ont un réel talent et même du génie mais que la notion d’art brut indifférencie de ceux qui n’ont pas ce talent ou ce génie. Être inscrit dans l’art brut me paraît une stigmatisation.
Même si la majorité des artistes exposés dans le musée sont autodidactes et qu’ils connaissent la marginalité et la souffrance, leurs œuvres n’expriment pas une création spontanée; ils ont tous mené une réflexion sur leur travail et l'ont fait évoluer. N'ayant comme école ou université que les musées et les galeries, ces artistes ne cessent de se former, sans jamais se contenter de ce qu'ils ont déjà créé.
Exposer des sculptures de Barnabus Arnasungaaq ou des tableaux de tel peintre qu’une schizophrénie enferme dans la marginalité sociale avec tous les artistes classés comme autodidactes, démontre la volonté du MACS de proposer aux artistes et aux amateurs d’art une occasion de s’évader hors de tels ghettos en ne se laissant prendre que par la force des oeuvres.
Bon, il était temps de parler de ceux à qui un musée s’adresse, les amateurs d’art. Ceux-là, on ne les enferme pas, on ne leur dit pas à l’entrée des musées : pour les diplômés de l’Histoire de l’Art, vous avez accès au premier et au second étage, pour les diplômés des Beaux-Arts, vous devez rester au premier ; quant aux autodidactes, ils doivent suivre la visite guidée des sous-sol. Encore que le nom d’amateur peut faire croire qu’on ne peut s’intéresser à l’art qu’en l’aimant, surtout si être amateur signifie ne pas avoir la qualification des professionnels. Pourtant, quand on regarde une peinture, ce n’est pas l’art qu’on regarde, mais plutôt ce qui nous regarde dans cette peinture-là, ce qui nous dérange, fait effraction en nous. Ça se passe dans une intimité étrangère à la notion d’art. Au Moyen-Âge, même le mot peintre n’existait pas, on les appelait des « imagiers », ceux qui, en créant des images, recréent la Présence. Cette mémoire religieuse est encore agissante, il n’est pas rare d’entendre des visiteurs du musée dirent en regardant une peinture : « on sent une présence ».
Quand bien même il s’agirait pour certains d’une formule toute faite répétée avec affectation, ces mots font entendre que l’essentiel face à une œuvre est de vivre une expérience. Au MACS, il est toujours proposé aux visiteurs une sorte de « visite guidée » qui ne cherche pas à les instruire et encore moins à les éduquer, mais qui les accueille par des histoires sur la création du musée, la rencontre avec les artistes et leurs œuvres. Se faire raconter une histoire est peut-être ce qui invite le mieux à entrer dans une expérience intime face à une oeuvre puisqu’on renoue ainsi avec l’expérience peut-être la plus fondamentale qui nous a initié à l’imaginaire dans notre petite enfance et que dans cette reviviscence, on est, quelque soit notre savoir, le découvreur autodidacte de notre regard. « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît car tu ne pourrais plus t’égarer ». Je crois que ce conseil vaut pour chacun de nous dans son rapport à l’oeuvre d’art.
Avoir un chemin à parcourir géographiquement nous rend aussi contemporain d’une mémoire ancienne, celle de gens d’il y a plusieurs siècles qui parcouraient l’Europe, à cheval ou à pied, pour aller voir des peintures ou des sculptures qui, elles, ne voyageaient pas et quand ils arrivaient devant ces œuvres dont nulle reproduction n’avait affaibli la singulière nouveauté, ils ne consommaient pas de l’art, ils vivaient une expérience où ils découvraient en eux-mêmes un regard inconnu. C’est un peu l’ambition folle du MACS, aider à quitter la consommation sociale de l’art pour entrer dans l’expérience intérieure de la confrontation à une œuvre. Par le fait que ce musée ne permet cette rencontre qu’au bout de la route, sur la frontière, son éloignement des grands centres donne au visiteur l’occasion de remettre ses pas dans ce chemin-là.
Patrick Cady
307 Rue Principale,
Mansonville, QC J0E 1X0
tel 1-514-344-4560
patrick.cady48@gmail.com
Les samedi et dimanche : 9h00–17h00
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