lundi 27 juillet 2020

LES GRANDS CERFS DE CLAUDIE HUNZINGER

Pour moi qui aime les cerfs, ce livre fut un bonheur, une révélation, un grand moment de lecture...





Pamina, habite en montagne avec son compagnon Nils. Elle se sait entourée par un clan de cerfs qui lui sont restés invisibles et mystérieux jusqu’à ce que Léo, un photographe animalier, construise dans les parages une cabane d’affût et qu’il lui propose de guetter avec lui. Tandis qu’elle observe et s’initie à la vie du clan, affrontant la neige, le givre, la grêle, avec pour équipement un filet de camouflage, une paire de jumelles et des carnets, elle raconte sa peur de la nuit, les futaies sous la lune, la magie de l’inconnu, le plaisir infini à guetter, incognito, l’apparition des cerfs, à les observer, à les distinguer et à les nommer : Apollon, Géronimo, Merlin... Mais au cours de ces séances de guet, elle va découvrir un monde plus cruel que celui du règne animal, celui des hommes, car un massacre se fomente…
Un roman qui se lit comme un thriller, plein de poésie, de chagrin et de colère, sur la disparition de la beauté dans la nature et les ravages que l’homme y opère.


Et voici quelques passages :

Se poser, ne plus bouger. Attendre. On a si bien disparu qu'on permet à l'autre de s'approcher de vous. Disparaître en restant là. Incognito. Se faire invisible pour voir l'invisible. 


C'était devenu une obsession. Contempler des cerfs.
J'aurais aimé approcher leurs présences, connaître leurs pensées, pénétrer leur méditations, dormir dans leurs yeux, écouter dans leurs oreilles, me glisser dans leur mufle, être leur salive verdie du suc des herbes, frémir sous leur pelage, bondir dans leurs muscles, m'enfoncer profondément dans leurs sabots, dans leurs fonds d'expérience, parcourir le temps qui existe et le temps qui n'existe pas, nager dans les vapeurs qui montent des prairies ou dans celles qui montent des grottes, cinq cerfs nageant dans la brume aux parois de Lascaux, porter le poids de leur couronne, connaître une seconde, une seule, leur souveraineté, la mêler aux branches des forêts traversées, ne plus savoir si je suis cerf ou forêt traversées, ne plus savoir si je suis cerf ou forêt en train de nager, de bondir. D'exister.


Chaque clan a son territoire, m'a rappelé Léo, mais il y a des transfuges qui passent d'un clan à l'autre. Des cerfs pèlerins. Des vagabonds. Des chevaliers errants. On le sait à leurs bois qu'ils commencent à perdre fin février et ça dure tout le mois de mars, des bois de cerfs inconnus qu'on trouve dans le secteur.


Le clan se cachait. Il n'aimait pas se faire voir en plein travail de transformation et semblait avoir disparu.
Les cerfs font leur nouvelle ramure sur leur os. Ils produisent de l'os de février à juillet, si bien que leur squelette devient vulnérable. Ils le savent. Ils ont une extraordinaire perception de leur ramure. Ils la connaissent par cœur. On peut alors les voir marcher avec précaution, entre les troncs des arbres, comme s'ils portaient un trésor sur la tête, et ça leur donne l'allure altière de princes à la Cour du roi


A la longue, par usure ou porosité, il me semble que se sont effacées, sans même que je m’en rende compte, les frontières entre les arbres et moi, les nuages et moi, la neige et moi, et même entre les lièvres et moi, et que nos identités se sont hybridées. Les miennes avec les leurs. Mais ce n’était pas réciproque. 


Et pourtant, j'étais du côté des cerfs comme s'ils étaient enfouis en moi, bien avant ma part humaine et qu'ils y avaient laissé une empreinte plus forte que ma raison. Une sorte d'appel de la forêt.


 Le vert des près était devenu électrique, avec des décharges invisibles, troué de trilles, et personne sur les chemins. On ne savait pas si on était heureux, mais on n'aurait voulu être nulle part ailleurs, ne voir personne en effet, et puis on attendait quand même on ne savait qui.  


 On savait qu'il y avait un grand cerf dans le secteur, un cerf cathédrale, un cerf de légende, c'était tout. Il était malin, il bramait peu, restait dans sa sapinière infranchissable et si majestueux, une splendeur, que les biches venaient à lui tout naturellement sans qu'il ait à se battre. 


 L'enfance est la part heureuse, mais aussi la part d'épouvante de ma vie. J'ai peur de ce qui est resté caché. Ma mère me cachait tout pour me protéger. Mais je dois aller dans cet endroit où j’ai peur des araignées protectrices qui vous encagent.

 Je ne cesse de ressentir en moi son intense tranquillité aux aguets, et ma stupeur, alors qu'assise à moins de trois mètres dans son dos, dans le bon vent, je comptais, incrédule, recomptais les épois de sa ramure, incroyablement ramifiée, immense, dorée. - Dorée? m'avait demandé Léo, toujours précis. - Oui, ocre clair, dorée. - Il avait dû frotter ses bois contre des noisetiers. Il avait des chevillures très très grandes et toute une montée osseuse vers l'empaumure ?- Oui - C'était un 8 à G et un 9 à D ? -Vu de dos, oui. - Un 16/18 ? -Oui - C'était bien Arador, a continué Léo .


Fiona Tang



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