vendredi 14 août 2020

IMED JEMAIEL...MOI J'AIME


Voici une belle découverte facebookienne que je dois à mon amie Isabelle Pulby 






















Détail d'un tableau 



J'ai contacté Imed, qui a eu la gentillesse de m'envoyer ce texte sur lui écrit par lui ...


 NAISSANCE DE LA PAGE-PAYSAGE

Sortirons-nous jamais de l’école ? Sortirons-nous jamais des cases des cahiers de notre enfance ? Et chemin faisant, hors monde scolaire, peut-on éviter quelques tables de la loi et le sentiment de la faute voire de la culpabilité qui leur sont associés?
Si non, c'est que peut-être, on ne peut jamais finir avec l’école !

Nos cinq sens enfilant un tablier bleu ou rose sont mis au pas, selon des classes, des rangées, des
tableaux, des codes, d'invectives, d'horaires et plein d'autres mini dispositifs de pouvoir qui finiront par avoir raison de nos plus intimes circuits physiologiques !

L’écriture typographique a valeur de loi, la manuscrite lui est affiliée par des mises en cases et en mesures.
Au bout de la plume, portée par une jeune main, l'encre se fait ligne, s'enfle, s'allonge ou se rétrécit toujours plus qu'il ne le faut, une dérive, par rapport au sacro-saint canon, les lettres ratant leur modèle, grimacent, on dirait, c’est peut-être leur manière à elles d'entrer en résistance !
Ce ratage si fréquent est pure  maladresse  -à redresser donc -pour les gardiens du temple scolaire ; il est pur expression pour nous autres ! On ne rate pas que par immaturité neuromusculaire ; on déforme dans la direction de l'autre forme ; enflée par une pulsion toute soutenue par le phantasme il y aurait toujours un ailleurs qui nous entraîne dans son sillon.

Jeune écolier, dans l’écriture, je voyais et je dégustais le dessin. A fleur de page, mes yeux faisaient les mots et les lignes, le plaisir qu'ils en tiraient n'a jamais tari et c'est grâce à lui qu'il m'arrive de tirer le clair de mes lignes !
Si les mots et les phrases dessinées suscitent en moi les plus vives des émotions c'est en raison des motions et autres locomotions qui donnent des pattes aux mots, on en faisant de drôles d'insectes avançant à la queue leu leu,  hors l'air confiné de la classe, hors rangées !

L'écriture manuscrite, celle de mes camarades, de mes frères, la mienne, et celle de bien d'autres ; bréviaire crucial m’éveillant au sens esthétique.
Entre toutes les écritures, celle croisée un jour (je dois avoir sept ou huit ans) dans les plis d'un cahier rédigé soigneusement par la main d'un gendarme français m'a définitivement acquis à la magie  des signes graphiques. Écrite à la plume, italique, violette, florale  je passai un temps fou à brouter ses délices et à rêvasser autour de ses tiges et de ses volutes. Je me demande par moments si mon destin ne s'est pas vu tracé par les soins de cette exquise plume ?

C'est à partir  de ce cahier et des rêveries qu'il occasionnait  que j'ai pu entrevoir le devenir faune ou flore d'une procession de signes écrits à la main : naissance de la page-paysage .


DÉTOUR

Sciences naturelles et chimie furent les deux champs du savoir par où des chemins de traverse m'ont conduit au seuil des compétences esthétiques. L'activité graphique instruite depuis l’œil nu  ou derrière les lentilles d'un microscope, fait du crayon un véritable outil pour l'approche analytique  du vivant qu'il soit plante, animal ou animalcule. La transposition linéaire enchante, non par son souci de réalisme, au demeurant inatteignable, mais au contraire par sa défaillance où se lit une manifestation embryonnaire du style. Chez celui-là la ligne est appuyée, allant à la limite de la crevaison du papier, chez l'autre elle caresse délicatement la surface, ici ça effile tel un Giacometti, ailleurs ça boursoufle en imitation de Botero! En esthète je parcourais les dessins des uns et des autres, égrenant en une  ligne mélodique ses différences de vues et de traitements, pourtant entraînés par le même motif.

La chimie est cette autre discipline qui, naguère avait  suscité en moi un étonnement et un intérêt indélébiles et a marqué définitivement de son sceau mon imaginaire.
Qu'un univers si complexe soit réductible à une combinatoire ludique associant une poignée d'atomes il y a de  quoi revoir ses fondamentaux ! Un atome est un dispositif électrique qui, hormis son noyau pourvu d'une masse, reste fondamentalement une entité quasi vide, les électrons correspondant à sa couche périphérique le pourvoient de l'essentiel de ses propriétés ; ses affinités électives avec d'autres types d'atomes en dépendent. Un si beau tableau appelé « tableau de Mendeleïev » décline sur plus d'une centaine de cases tous les atomes-notes entrant dans la composition du monde.
Une étoffe, un réseau, une texture etc quelque soit  la complexité de leur apparence, ne sont au fait , que le résultat de l'entrelacement d'entités élémentaires, ce dont il s'agit au fond c'est de trouver l’énergie à potentiel adhésif  mettant en commun une nouvelle propriété émergente !       

 RETOUR SUR UNE PRATIQUE

les signes écrits peuvent valoir par eux-mêmes. Ils ne renverraient à aucune signification et voilà qu'ils gagnent à persévérer dans ce qu'ils sont matériellement, visuellement  : une ligne qui se plie et se déplie, se déploie ou s’arrête, se précipite ou au contraire ralenti sa course  .

Une écriture manuscrite, courante, ça se broute en deçà du sens qu'elle véhicule, car ce qu'elle raconte en filigrane et sous les mots c'est l'histoire d'un corps voire d'une chair au moment de leur transsubstantiation en une ligne à plis hachée menu. On l'assimilerait volontiers à une onde  graphique  qui par sa période, son amplitude, bref son rythme trahirait un état des nerfs, un tonus qui est comme un  point de fuite  se tenant à la jonction d'une musculature et d'un désir.

Tout ce qui se scande, s’égrène, se débite, se réitère, insiste etc est comme un appel invoquant un ailleurs ; divinité ou absolu.
La répétition dans mes dessins et peintures est éperdument athée et perd allègrement le nord, elle donne dans le labyrinthique, le touffu, mimant les insondables plis du cerveau, manifestant la complexité des flux et des réseaux.

D'une rature peut naître une bestiole, d'un concours de lignes hasardeuses, peuvent s'ailer des poissons ou  pousser des plantes exotiques ; ici faune et flore ne réclament aucune légende elles se plaisent à exister hors les définitions peut-être qu'ainsi  elles seront capables de jouer tous les rôles proposés par les regards vagabonds des  spectateurs.

La calligraphie dans la culture islamique est affiliée à la prière; on codifie esthétiquement  les lettres pour que s'y mire l’au-delà. Ici rien de tel, l’écriture est cursive, ordinaire, son chiffre nous demeure soustrait car trop mêlé à la chair et ses désirs sauvages.

Un œil allègre circulant  dans une page manuscrite est un œil voué à l'ouvrage, entre les sillons des phrases il jardine, il cultive ; en démocrate il laisse pousser les roses ainsi que les mauvaises  herbes. La main qui fourmille répond à l'appel de l’œil, entre les lignes elle se met au travail ; en lançant son lasso d'encre elle propose un tamis à la lumière. Les pores inégaux apportent un surplus de nuances et de textures  à cette petite dramaturgie faite exclusivement  de lumière et d'encre !   

                                                                                              IMED JEMAIEL  Octobre 2018








Biographie 

Naissance à Bizerte en 1965.
Sur les bancs de l’école il a toujours préféré la fenêtre de la salle de classe au tableau noir jalousement gardé par le maitre. Après des études scientifiques et une petite halte à la faculté de médecine il passa un concours pour rejoindre l’Institut  des Beaux-arts de Tunis en 1986. Fortement imprégné par l’héritage dadaïste il n’a cessé de mettre à l’épreuve les stéréotypes d’un prétendu académisme. Ses deux premières expositions à la Galerie Du château de Servières à Marseille en 1992 et 1993 déconstruisent la technique séculière de la gravure pour la soumettre à un procès d’hybridation. Il en résulte un entremêlement de figures, de traces et de textures qui questionnent à nouveaux frais la notion d’espace plastique et son problématique rapport au temps.
La pratique de l’enseignement de l’art qu’il commença en 1992 à L’institut était l’occasion de s’adonner à d’incessantes expérimentations didactiques où l’instinct ludique ne cesse de composer avec les exigences théoriques. Il ne cessa de solliciter ses étudiants à puiser dans le réservoir des sensations, des images et des affects de leur prime enfance pour les investir dans leurs démarches créatrices. Ses trois expositions  personnelles , « le dessous des ratures » 2014, « Maculée conception » 2016 et « Archipels d’encre » 2018 ne sont que les  trois efflorescences d’une dette qu’il doit à l’enfant fouineur qu’il était ; un enfant aux aguets de tous les événements figuraux ou scripturaux qui vivent ou survivent à fleur de papier. Dans sa peinture, faune et flore éclosent entre ou à partir des interstices d’une écriture manuscrite qui sacrifie sa lisibilité au profit d’un monde promis mais jamais donné.  



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IMED JEMAIEL devait exposer à Paris au mois d'avril
L'exposition aura lieu ultérieurement et je vous tiendrai informés bien sûr !



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