mardi 1 février 2022

JEAN-MICHEL OTHONIEL ET LE TRESOR DE LA CATHEDRALE SAINT PIERRE D'ANGOULENE

 

 Hélène Huysseune a été mes yeux à Angoulême ... pour mon plus grand plaisir

"Pour moi, ce Trésor est une œuvre d’art totale, créée pour le lieu. J’assume sa théâtralité et son extravagance. On a besoin aujourd’hui de merveilleux."

 J-M.Othoniel.

 















Toutes ces photos ont été prises par Hélène Huysseune
 

 

"Ouvert au public à partir du 20 novembre 2016, le Trésor de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême est le fruit « extravagant » – pour reprendre les termes de son auteur, Jean-Michel Othoniel – de 8 années de conception et de réalisation. Un travail d’une rare complexité, dont la magnificence et le raffinement laissent pantois.

 Cette véritable aventure artistique a commencé en 2008, lorsque le plasticien Jean-Michel Othoniel – auteur, entre autres, de l’entrée de la station de métro Palais-Royal, à Paris, et du bosquet du Théâtre d’eau, dans le Domaine de Versailles -, a remporté le concours d’aménagement d’un Trésor dans la cathédrale charentaise.

Un an après le début des travaux de restauration de l’édifice : « dans l’idée de retrouver l’esprit néo-roman insufflé dans la nef par Paul Abadie, architecte, au XIXe siècle, pour les diocèses de Périgueux, Angoulême et Cahors, avant de dessiner les plans la basilique du Sacré-Cœur, à Paris », explique Pierre Cazenave, ancien Conservateur régional des Monuments Historiques.

Décision fut alors prise de déployer le Trésor, collecté au fil des ans par Jacques Sauquet, responsable de la Commission d’art sacré du diocèse, dans un espace désaffecté et désacralisé, au pied de  l’ancien clocher Sud, décapité durant les guerres de religion, au XVIe siècle. « Monseigneur Claude Dagens, alors évêque d’Angoulême, avait bien marqué sa volonté d’avoir un Trésor d’art liturgique, et non pas un musée », se souvient David Richard, responsable de la communication du diocèse. « La première fois que nous nous sommes rencontrés, Mgr Dagens m’a soufflé : apportez-nous de la lumière et de la couleur !», raconte, de son côté Jean-Michel Othoniel. Son vœu a été exaucé au-delà de toute espérance.

Financées par un mécène, les études ont pris deux années. « Deux ans d’échanges intenses entre l’artiste, l’évêque et l’Etat, souligne Pierre Cazenave. Nous sommes tombés d’accord sur l’esprit de ce Trésor : transmettre cette ferveur spirituelle et cette émotion populaire si particulières dans la seconde  moitié du XIXe, en plein renouveau spirituel. D’autant que l’évêque d’alors, Monseigneur Antoine-Charles Cousseau avait demandé à Paul Abadie un geste architectural de refondation, à travers la restauration de la cathédrale. Et que la collection d’objets liturgiques, exposés dans le Trésor, remonte à cette époque. Angoulême était une ville très riche, grâce à l’essor du cognac, à l’industrie de la papeterie et à la sidérurgie. Beaucoup de ces objets ont été financés par la bourgeoisie angoumoisine. »

 En novembre 2010, le projet est validé par le ministère de la Culture, puis définitivement accepté par la Commission Nationale des Monuments Historiques deux ans plus tard. Une procédure classique. La décision a été prise de rouvrir la baie du transept sud, donnant sur une chapelle haute, et murée depuis le XVIe siècle. Cette baie est aujourd’hui ornée d’un vitrail signé Othoniel.

L’artiste s’est emparé de trois espaces, au pied de l’ancien clocher. On y pénètre par l’extérieur de la cathédrale, ou, par l’intérieur, en traversant une vaste chapelle de jour, fraichement rénovée, et ornée des portraits des évêques du diocèse d’Angoulême. Le Trésor s’ouvre sur une salle de sculptures. Une Vierge à l’enfant, de Jean Degoulon (XVIIe siècle) trône en son centre, sur un fond de tenture sombre brodée à l’or. Posée sur un socle de grosses perles de verre de Murano noir,  elle donne un avant-goût de l’esprit Jean-Michel Othoniel, dont l’art joue avec la matière cristalline les lignes et les couleurs – dans les vitraux, c’est le bleu marial qui domine.

Ce « Lapidaire » au rez-de-chaussée n’est qu’un prélude. A l’étage, l’exubérance va crescendo. Une première salle encore relativement austère, dite de « L’engagement », réunit  des témoignages du courage ecclésiastique dans des périodes sombres – un ciboire utilisé par un prêtre réfractaire lors des messes clandestines sous la Révolution, une valise-autel ayant appartenu à un curé prisonnier de guerre en Allemagne … Les pieds des vitrines sont là-aussi composés de montants en perles de verre noir.

« Le merveilleux » la bien-nommée, la troisième et dernière salle du Trésor, la plus vaste, constitue l’apothéose. Calices, ciboires, ostensoirs et reliquaires (ils resteront accessibles à la dévotion), brillent dans les vitrines. Jean-Michel Othoniel a réservé le centre de la salle à une statue de Vierge à l’enfant. Des sculptures de Saints en plâtre (Jeanne d’Arc, Bernadette …) ornent les murs. Ceux-ci sont recouverts d’un papier peint couleur or créé pour le Trésor. De même que les carreaux du sol.

Leur motif commun, qui se poursuit dans les vitraux, est ce nœud néo-roman, dessiné par Paul Abadie pour les verrières de la nef de la cathédrale. Comme un chapelet qu’on dépose sur une surface plane, et qui dessine des entrelacs aléatoires. C’est aussi une reprise de ces lignes de perles chères à l’artiste. Sous le vitrail principal (fabriqué, comme les autres verrières, par l’Atelier Loire, à Chartres, il sépare la nef du Trésor), encadré par une résille d’aluminium qui ruisselle, une vitrine expose un reliquaire d’or et de soie d’une infinie préciosité, crée par Jean-Michel Othoniel, et contenant un fragment de fémur de saint Pierre Aumaitre, un jeune missionnaire charentais martyrisé en Corée en 1866, et canonisé en 1984.

 L’artiste n’en a-t-il pas trop fait ? « J’ai eu peur, moi-aussi, à un moment, que l’écrin l’emporte sur le contenu. Mais finalement, je ne le pense pas, répond-il.  Pour moi, ce Trésor est une œuvre d’art totale, créée pour le lieu. J’assume sa théâtralité et son extravagance. On a besoin aujourd’hui de merveilleux. J’ai voulu que les visiteurs ressentent une émotion particulière en parcourant les salles, qui associe le beau, l’abondance, le spectaculaire et la spiritualité. Cet écrin est fait pour eux. Il est le leur. Car c’est l’homme le véritable trésor. Je suis heureux aussi de l’avoir créé à Angoulême, et non pas à Paris, poursuit Jean-Michel Othoniel.

J’aime l’idée qu’on viendra le voir de loin, comme on part en pèlerinage, en train, en voiture, ou à pied, avec son bâton. Des visiteurs de toutes sortes se retrouveront ici : des amateurs d’art, des croyants – le Trésor reste un lieu de prière -, des écoliers, des curieux … Si cette œuvre a été, pour moi, un sommet de complexité à réaliser, avec les interventions de plusieurs artisans d’art, elle me pousse paradoxalement vers plus de simplicité, dans ce que j’ai envie de créer maintenant. Nul doute aussi que le sacré, qui était déjà présent dans mon travail, va prendre encore plus d’importance. »

De son côté, Jacques Sauquet, le responsable de la Commission diocésaine d’art sacré, ne tarit pas d’éloge sur Jean-Michel Othoniel, dont il a accompagné le travail étape par étape, pendant 8 ans. « On a vu se réaliser l’œuvre telle qu’il nous en avait parlé dès le premier jour. ». Âgé de 83 ans, cet ancien médecin voit aussi un rêve se réaliser : l’exposition de la plus belle part de la collection d’objets liturgiques, de 600 et quelques pièces, qu’il a accumulée pendant des années, et qui dormait dans la Maison diocésaine d’Angoulême.

« Ne sachant pas quoi en faire, et pour ne pas les jeter, les curés des paroisses charentaises les déposaient incognito la nuit devant la porte de la Maison. La lingère nous les apportait le matin, se souvient Jacques Sauquet. On les a tous fait nettoyer et restaurer. Aucun de ces objets n’a de valeur extraordinaire. Beaucoup ont été fabriqués en série, dans du métal doré. Mais tous témoignent de la foi de leurs commanditaires. » Une foi que Jean-Michel Othoniel a magnifiée … et respectée.

 

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