mardi 17 mai 2022

UNE LONGUE IMPATIENCE DE GAËLLE JOSSE

 

 


Ce soir-là, Louis, seize ans, n’est pas rentré à la maison. Anne, sa mère, dans ce village de Bretagne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, voit sa vie dévorée par l’attente, par l’absence qui questionne la vie du couple et redessine celle de toute la famille.
Chaque jour, aux bords de la folie, aux limites de la douleur, Anne attend le bateau qui lui ramènera son fils. Pour survivre, elle lui écrit la fête insensée qu’elle offrira pour son retour. Telle une tragédie implacable, l’histoire se resserre sur un amour maternel infini.


Avec 'Une longue impatience', Gaëlle Josse signe un roman d’une grande retenue et d’une humanité rare, et un bouleversant portrait de femme, secrète, généreuse et fière. Anne incarne toutes les mères qui tiennent debout contre vents et marées.
« C’est une nuit interminable. En mer le vent s’est levé, il secoue les volets jusqu’ici, il mugit sous les portes, on croirait entendre une voix humaine, une longue plainte, et je m’efforce de ne pas penser aux vieilles légendes de mer de mon enfance, qui me font encore frémir. Je suis seule, au milieu de la nuit, au milieu du vent. Je devine que désormais, ce sera chaque jour tempête. »

 

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Car toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un front chaud, d'un toussotement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil agité, d'une fatigue, d'un pleur, d'une plainte, d'un chagrin. Elles s'inquiètent dans leur cœur pendant qu'elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient, présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de leur flanc.


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J'aimais ses silences et sa façon de regarder l'horizon. Et puis le désir nous avait pris, un soir d'été, sur la lande ; nous nous étions fiancés comme ça, sur un lit de bruyère.

 

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Je vis avec une absence enfouie en moi, une absence qui me vide et me remplit à la fois. Parfois, je me dis que le chemin qui me happe chaque jour est comme une ligne de vie, un fil sinueux sur lequel je marche et tente d'avancer, de toutes les forces qui me restent. De résister au vent, aux tempêtes, au Trou du diable, aux larmes, à tout ce qui menace de céder en moi. Il me faudrait chercher des arrangements pour enjamber chaque jour sans dommage, mais je ne sais rien des arrangements. 

 

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Je n'ai jamais eu de bonbons, ni de gâteau d'anniversaire, ni de cadeaux d'aucune sorte pendant mon enfance. L'enfance, pour moi, c'est le lieu de la peur, de toutes les peurs. Des cris. Des gestes que je ne peux pas dire. De ce temps-là, je voudrais perdre la mémoire. 

 

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Je me demande pourquoi il m'aime tant, et ce qu'il peut bien trouver à une femme comme moi, habitée d'absents, cousue d'attentes, de cauchemars et de désirs impossibles.

 

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J'attends que mon fils me réveille, me redonne vie, me ressuscite. Alors, nous serons quittes. Le retour de l'enfant aimé, de mon fils absent, de mon enfant en fuite. D'ici peu, je le serrerai dans mes bras, je rirai et pleurerai en même temps, j'oublierai les jours et les nuits de l'attente.

Je sentirai son odeur familière et inconnue, une odeur pleine de tous ces lointains ; je toucherai ses bras, ses épaules, ses cheveux, sa peau et nous ne serons plus qu'un comme à l'aube de notre histoire.

Je me laisserai soulever, écraser, broyer contre le torse de mon enfant réapparu. Et je lui dirai comme pour m'en assurer encore une fois, "tu es là, mon fils".
Lorsque tu reviendras, ce sera un partage, un grand partage. Et un pardon aussi. Car tout sera pardonné, dis-moi ? Nous tenterons d'oublier ce qui nous a blessé. 

 

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 Je lui ai dit aussi que je les avais vues, les baleines. Les baleines, vieilles comme l'histoire du monde. Leurs jets d'eau à l'horizon, et la splendeur de leur mouvement parfait quand elles plongent. Tout l'équipage sur le pont. Silencieux devant ce spectacle qui fait de nous des rois.

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 ... Arrivera enfin le moment des douceurs, comme une enfance que je réinventerai pour toi, celle que je n'ai pu te donner, le moment du sucre, celui des gâteaux, des tartes, des entremets, des fruits....

Les douceurs de ce repas ne te feront rien oublier, accepte-les comme je te les donne, avec simplicité, pour la joie du moment présent....

 Je cuisinerai des quatre-quarts, doux et dorés, un biscuit de Savoie léger comme un souffle, avec une crème fouettée, un far aux fruits secs, mêlé de touches de beurre salé, un gâteau au chocolat, car c'est ce que demandent les enfants, des tartes aux fruits de saison, ou de conserve, à défaut, qui dessineront de belles roues sur la table, ce sera là aussi une magnificence, je le veux ainsi. Peut-être ajouterai-je encore ce dessert que tous apprécient, un riz au lait mousseux, aérien, piqueté des grains de vanille d'une gousse grattée au couteau. 

Je préparerai aussi un dessert que j'affectionne, malgré mon peu de goût pour le sucre....

C'est une île flottante que je vous ferai, parce que c'est un nom qui me plaît, et que j'y trouve une douceur qui me ravit et me déconcerte.



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