jeudi 3 mars 2022

"UNE FEMME EN CONTRE-JOUR" DE GAËLLE JOSSE ET LES EXPOSITIONS VIVIAN MAIER A QUIMPER ET A PONT AVEN

 

"Dans ce roman sensible, Gaëlle Josse s’attache à faire le portrait de Vivian Maier (1926-2009), cette gouvernante américaine et photographe urbaine dont le travail et le talent n’ont été découverts qu’après sa mort. Voici l’histoire incroyable de cette artiste disparue dans l’anonymat et le dénuement, ayant fait du secret un art de vivre presque pathologique."

 

 

"Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. Une Américaine d’origine française, arpenteuse inlassable des rues de New York et de Chicago, nostalgique de ses années d’enfance heureuse dans la verte vallée des Hautes-Alpes où elle a rêvé de s’ancrer et de trouver une famille. Son œuvre, pleine d’humanité et d’attention envers les démunis, les perdants du rêve américain, a été retrouvée par hasard – une histoire digne des meilleurs romans – dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meubles de la banlieue de Chicago. Vivian Maier venait alors de décéder, à quatre-vingt-trois ans, dans le plus grand anonymat. Elle n’aura pas connu la célébrité, ni l’engouement planétaire qui accompagne aujourd’hui son travail d’artiste. Une vie de solitude, de pauvreté, de lourds secrets familiaux et d’épreuves ; une personnalité complexe et parfois déroutante, un destin qui s’écrit entre la France et l’Amérique. L’histoire d’une femme libre, d’une perdante magnifique, qui a choisi de vivre les yeux grands ouverts. Je vais vous dire cette vie-là, et aussi tout ce qui me relie à elle, dans une troublante correspondance ressentie avec mon travail d’écrivain."

 


"Celle qui vécut dans l’ombre passe à la célébrité posthume par un coup du hasard : en 2007, un agent immobilier de Chicago acquiert un lot de photos, planches de contact et pellicules, mais ce n’est qu’un mois après la mort de l’artiste qu’il l’identifie en découvrant son avis de décès sur Internet. Pourquoi donc la personnalité de Vivian Maier fascine-t-elle autant ? A l’heure où les auteurs, créateurs et artistes sont presque plus célèbres que leurs œuvres, où la mise en scène de soi est monnaie courante, cette discrétion est troublante. Même si Maier se montre parfois dans des autoportraits, elle demeure insaisissable, en arrière-plan de son « œuvre, nourrie de la vie, plus grande que la vie ». La nurse et photographe amatrice devient la somme des portraits réalisés pendant des décennies, hommes et femmes exclus, travailleurs pauvres, sans-logis, immigrés, infatigable arpenteuse des quartiers mal famés et misérables où elle emmenait les enfants en de singulières promenades, Rolleiflex autour du cou.

 Devant ce matériau éminemment romanesque mais lacunaire, Gaëlle Josse avoue ses doutes et  ses interrogations, en premier lieu sur l’objectif qu’elle poursuit. Ainsi son livre n’est pas une biographie mais un portrait doté d’un point de vue, d’une subjectivité qui fait de Vivian Maier un personnage issu d’une famille d’immigrés pauvre et violente. A partir de 1951, elle devient bonne d’enfants, s’échappant parfois pour des voyages lointains ; fuyante et complexe jusqu’au bout du monde, Vivian Maier. Et puis cette question : pourquoi n’a-t-elle jamais montré son travail ? Tel est le paradoxe de la photographe cachée dans la chambre noire tandis qu’elle révélait l’envers du rêve américain, comme un écho au travail de notre romancière qui s’applique à « faire passer un peu de lumière dans l’opacité des êtres »."

 

 Quelques extraits ....

 

 Il aura fallu des rêves, des départs, il aura fallu des océans et des bateaux pour que ce 1er février 1926, au cœur de l’été new-yorkais, naisse Vivian, l’enfant au nom de fée. Mais, des fées, Vivian ne recevra guère, dans ces années-là, d’autre cadeau. La neige a transformé la ville en un vaste échiquier. Noir et blanc. Le couple qui accueille avec elle son second enfant habite au nord-est de Manhattan, du côté de la 76e rue, ou de la 56e, les informations se contredisent, un de ces immeubles à la façade de briques rouges scarifiée d’escaliers métalliques en zigzag.
Étrange couple. Oui, étrange couple que celui de Maria Jaussau et de Charles Maier. Déjà miné, quelques années après leur mariage par la mésentente, l’alcoolisme, déjà détruit par la violence et les difficultés financières. En cette même année, l’Amérique voit naître quelques-unes de ses légendes à venir, Marylin Monroe, John Coltrane, Miles Davis, Mel Brooks, Harper Lee…

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Comme nous aimons tous les histoires, comme nous vibrons devant les énigmes, les destins brisés, le mystère Maier n'en finit pas de nous interroger. Insoluble secret d'une existence, terrifiante solitude d'une femme dont le geste photographique, le geste seul donna un sens à la vie, la sauva peut-être du désespoir. Inconcevable pour nous aujourd'hui, en ces temps où nos fragiles et exigeants ego quêtent sans fin l'approbation, l'admiration, le regard. Être vu, reconnu, aimé. Passions, désirs, profits, plaisirs, notre insatiable cavalcade avant le néant.

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Son travail se focalise sur les visages, le portrait, et sur les exclus, les pauvres, les abandonnés du rêve américain, les travailleurs harassés, les infirmes, les femmes épuisées, les enfants mal débarbouillés, les sans domicile fixe. Parfois, c'est une femme des beaux quartiers, saisie d'un œil ironique avec ses fourrures et ses bijoux, qui la regarde d'un air mauvais, ou un homme d'affaires, cigare et costume croisé, qui la toise avec agacement. Elle possède ce sens du détail qui dit tout d'une histoire, d'un monde, d'une vie.

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À me pencher sur Vivian Maier, c’est aussi la vie d’autres artistes qui me vient à l’esprit. Tous ceux de l’anéantissement, de l’inutile, des miracles ignorés. C’est Ossip Mandelstam, le poète, le sacrifié des purges staliniennes, qui écrit sur la route, en chemin vers la Kolyma. Il meurt dans un camp de transit, près de Vladivostok, quelques jours après Noël, de faim, de froid, du typhus. Il a pu sauver un crayon, quelques morceaux de papier taché, froissé. Un trésor. Jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la perte de conscience, il écrit.

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 Et que dire de ces innombrables autoportraits qui suffiraient à faire œuvre ? Elle s’y montre dans une troublante présence-absence, en dévoilant des fragments de corps ou de visage, champ et hors-champ, décalée, décentrée, inventant une forme de désagrégation, d’effacement du sujet, comme une métaphore de sa propre existence. Une dérisoire résistance contre le néant, comme la réassurance de sa propre identité.

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 Vivian Maier est de ceux qui ne "sont" rien, qui ne demandent rien, n'attendent rien, n'exigent rien. De ceux qui subissent la façon dont va le monde, avec ses injustices, ses exclusions, ses violences. Elle est de la famille des perdus, des perdants, des abandonnés. Une effacée magnifique. 

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 Il y a de la fierté chez elle. Une grande fierté. Celle des vaincus. Ce qui reste quand on a tout perdu. Le regard droit. La nuque raide. Ne rien demander, ne rien attendre. S’épargner le refus, le rejet.

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 Les visages. Je suis, comme Vivian Maier, fascinée, obsédée par les visages. Par ce qui s'y lit, ce qui s'y dérobe. Approcher un parcours de vie, un chemin, une histoire. Approcher le grain de peau, le battement du cœur, du sang, le souffle, la sincérité d'une expression, le surgissement d'une émotion, suivre le tracé d'une ride, d'un frémissement des lèvres, d'un battement de paupières. Saisir les conflits intérieurs qu'i s'y jouent, les passions qui y brûlent, les douleurs qui affleurent, entendre les mots qui ne seront pas dits. Accompagner quelques êtres qui courent vers leur destin et nous interrogent sur le nôtre.

 

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 Son travail photographique accorde une large place aux femmes âgées. On ne photographie rien par hasard. Un artiste poursuite ce qui le hante, l'obsède, le traverse, le déchire. Rien d'autre. Vivian Maier est avant tout une artiste, même si elle n'en revendique rien. 

 

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Elle n'est pas une nourrice qui prend des photos pour se distraire, mais une artiste qui se contente d'un travail alimentaire. Question de focale. De point de vue.

 

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 Certaines photos l'intriguent. Le hantent, peut-être. Tant de visages, d'instants de vie, d'inconnus qui semblent proches. Une bouleversante humanité y circule, et aussi un absolue maîtrise de la prise de vue. Le plus novice, le moins connaisseur des regards ne peut qu'être saisi par la densité, la force, l'unité de l'ensemble. Par cet œil posé sur la vie, sur toutes ces histoires qui se dévoilent en un cliché, histoires urbaines, dans le mouvement, dans la matière compacte de la ville. Le terrible, le tendre, le drôle, l'insolite. le vrai. Le presque rien qui révèle un destin. 

 

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 Vivian entre dans la famille des plus grands, et prend place au panthéon des photographes de rue. Comme si elle réalisait une synthèse de leurs travaux, de leurs talents, avec quelque chose d’autre, d’unique, qui n’appartient qu’à elle. En ce temps-là, ces années cinquante, soixante, ce genre photographique est un domaine pionnier ; peu de femmes se risquent à se confronter à l’espace public, vibrant d’imprévus, mais aussi de dangers. Vivian ne se pose pas cette question. Elle va au contact. Sans appréhension. La rue, elle connaît. Elle montre une société brutale, des existences âpres, malmenées, des horizons fermés, des enfances meurtries, parfois traversées par la grâce. La misère, là, celle qui dort recroquevillée sur le pavé. Dans la ville saturée de vie, de mouvement, l’humain est son territoire.

 

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Chez Vivian Maier, il y a la crasse de la rue, la saleté des vêtements tachés, déchirés, il y a des chaussures trouées et des enfants qui jouent dans le caniveau. Des femmes épuisées et des hommes à terre. Et aucune tendre nostalgie à la Doisneau, avec ses gamins rêveurs sur les bancs d’école. Nous sommes dans un réel saisi de face, de front, sans embellissement aucun. 

 

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 Il faut avoir beaucoup vécu soi-même, connu le difficile de l'existence pour reconnaître ainsi, en quelques secondes, dans un visage, dans un geste, dans un détail, le déroulé de toute une existence. 

 

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 Vivian a ving-cinq ans, son art est là. Photographe de rue. Prête à saisir l'illimité de la vie dans son objectif. Prête à capter l’insaisissable. L’éphémère

. Saisir la lumière des choses avant qu'elle ne s'efface, selon le mot du poète Basho, le maître du haïku. Vivian marche, regarde, explore, découvre, le geste et l’œil sûrs.

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En 1952, le MoMA organise une exposition de cinq grands photographes français, Brassaî, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Izis et Willy Ronis. Impossible d'imaginer que Vivian l'ait manquée. Il lui reste à poursuivre ce travail pendant des décennies. Un travail dont personne ne verra les fruits, dont on ne soupçonnera pas même l'existence, et dont elle-même ne verra que bien peu de choses.

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Étrange Vivian, tout de même. Au comportement extravagant, déroutant. Inquiétant. C'est une personnalité ambivalente, complexe, qui se dessine peu à peu dans les témoignages des uns et des autres, de ses anciens employeurs, des enfants, devenus adultes, dont elle s'est occupée. Des émotions contrastées surgissent à l'évocation de cette étrange gouvernante au physique imposant, austère et sévère, parfois revêche, parfois drôle et chaleureuse, cultivée, curieuse de tout, à la démarche de grenadier. Une femme qui s'habille n'importe comment, avec sa garde-robe défraichie digne des années trente.

 

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" J'ai fait des piles de photos ! Quand je dis des piles, c'est vraiment des piles, et je pense qu'elles sont vraiment pas mal."


SUR BABELIO 

 UN LIEN

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 Et en Bretagne sur deux lieux différents, à Quimper et à Pont Aven, deux expositions à ne pas manquer

 

 





Vivian Maier, New York - Chicago

Exposition conjointe avec "Vivian Maier e(s)t son double" au musée de Pont-Aven

Pour la première fois, nos deux musées s'associent pour une présentation inédite du travail de la photographe, sur deux lieux, avec près de 250 photos.

Le parcours de Vivian Maier (New York, 1926 – Chicago, 2009) est atypique mais c’est pourtant celui d’une des plus grandes photographes du XXe siècle. C’est au cœur de la société américaine, à New York dès 1951 puis à Chicago à partir de 1956, que cette gouvernante d’enfants observe méticuleusement ce tissu urbain qui reflète déjà les grandes mutations sociales et politiques de son histoire. C’est le temps du rêve américain et de la modernité surexposée dont l’envers du décor constitue l’essence même de l’œuvre de Vivian Maier. Gouvernante  pendant plus de quarante ans, elle   passa,   en   tant   que   photographe,   totalement inaperçue  jusqu’à  la  récente  découverte  en  2007  d’un incroyable corpus photographique.

L'exposition se développe sur deux lieux avec diChroma photography et  l’aimable  autorisation  de  l’Estate  of  Vivian  Maier, Courtesy  of  Maloof  Collection  and  Howard  Greenberg Gallery, NY.

Au cœur des préoccupations de Vivian Maier, les scènes de rue de New York puis de Chicago sont à découvrir au Musée des Beaux-Arts de Quimper. Elle immortalise en une fraction de seconde des instantanés de vie de parfaits inconnus, d’anonymes avec lesquels elle partage une destinée et une humanité communes. Des gestes, des détails, un regard, une situation, rien n’échappe à son Rolleiflex qui lui permet de rester discrète. Le monde de l’enfance l’inspire et imprègne son travail.

Au Musée de Pont-Aven, l’autoportrait, sujet récurrent chez Vivian Maier et jamais exploré en France dans son intégralité, est à l’honneur, incarnation de la quête éperdue de sa propre identité. Se dédoublant, elle mêle subtilement jeux d’ombres et de miroirs, de réflexion(s) sur elle-même, maniant avec une grande habileté les angles, les détails, la lumière et les cadrages. Ces autoportraits interrogent : ne sont-ils pas pour elle un moyen d’exprimer la quête de sa propre identité ?


Jusqu'au 29 mai 2022

 

LE SITE DU MUSÉE DE QUIMPER

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