Parce qu’elles aiment être belles et séduire, les femmes ont toujours chéri toutes les formes de parure, notamment celles qui se fabriquent au moyen de tissus, de rubans, de fils et d’aiguilles, autrement dit avec des riens, de ces petits riens qui rendent la vie supportable.
Certaines en font même des robes de princesse pour mieux rêver leur vie.
Parce que dans des temps pas si anciens, ce rôle leur a été dévolu par un système de division du travail qui peine à disparaître, elles ont toujours su accommoder les restes, tous les restes, y compris ceux de leurs illusions, faire durer en transfigurant, voire, en magiciennes avisées, rendre vie à ce qui n’en avait plus guère.
C’est ce que fait Sophie, pour sa part, avec ses grigris.
Rien d’africain, ici, et s’il s’agit de magie, elle n’a rien à voir avec les fétiches ou les sorts, puisqu’il est simplement question, je l’ai déjà dit, d’apparat.
De lambeaux d’étoffe butinés çà et là, dans la diversité de leurs textures, pastilles de feutre, velours ou fanfreluches anonymes, de boutons et de perles multicolores, de dentelles et de plumes, de médailles plus ou moins pieuses, de sacs à main neufs ou sauvés des fonds de placard, elle fait son miel, affairée, oserais-je dire le soir au coin du feu, quand Philippe daigne l’allumer, à tisser une pacotille de rêve que viennent parfois rehausser des fragments de gravures de Marie-Christine, des petites photographies de Véronique ou des dessins de Victor ou Apolline – voire, en contrebande, de tel artiste slovaque… Affairée, ai-je dit, mais sans que vienne s’y greffer l’idée qu’il s’agirait là de quelque chose de laborieux : il y a dans ce travail une dimension ludique, si l’on veut bien admettre que le jeu est aussi un pied de nez à l’angoisse et à l’attrition des jours de grisaille, quand fourmis et champignons viennent semer le trouble jusqu’au cœur du quotidien.
Mais pas uniquement ludique, car Sophie aussi rêve l’aiguille à la main. Elle rêve de jouer dans cette cour des miracles où les bergères se changent en reines et les couturières en fées, de descendre, par le truchement de ses créations, broches, gants, sacs ou ceintures, les grandes avenues au revers du col d’un bel apollon se hâtant vers quelque rendez-vous galant ou de monter les marches de Cannes au bras d’une gente dame dûment honorée ou en passe de l’être.
En attendant cet heureux dénouement, elle taille et coud, colle et ajuste les pièces de son puzzle intime dont chaque fragment clinquant ou coloré, et c’est en cela qu’elle rejoint un peu l’artiste, est un petit morceau de son âme.
Patrick Lepetit
Pour reprendre en substance le début de la chanson de Julien Clerc, chaque matin "comme je me fais bouillir de l'eau pour me faire un café, sur ma table est tombée une petite fée" avec son univers à la diable fait de bric et de broc, « de lambeaux d’étoffe butinés » « pastilles de feutre, velours ou fanfreluches » dont je pousse la tenture pour me glisser dans son sac à main géant où jamais il ne pleut.
RépondreSupprimerTrès beau texte. Karavan Papou