mercredi 20 janvier 2010

YEZEKAEL DE MARIE-CHRISTINE BOURVEN

Lors d'une soirée à l'Atelier Recto- Verso organisée par l'Association Résonances j'ai lu ce superbe texte de MARIE -CHRISTINE BOURVEN....

En fait seule Apolline devait participer à cette lecture mais j'ai eu un tel coup de coeur pour ce texte que j'ai été heureuse de le faire connaître.



Le voici :



Il y avait au Paradis un homme nommé Yezekaël.
Il habitait l’autre terre. Celle que l’on n’atteint jamais parce que pour vous, comme pour moi, il existe des sols inaccessibles, impénétrables et que nulle route ne peut rejoindre…

Sur la terre comme au ciel dérivent des hommes et des femmes. Ils suivent en fermant les yeux les traces fossiles de leur mémoire et décrivent la trajectoire désordonnée d’un point de fuite sur une ligne d’horizon.

A quelques pas de là, non loin du paradis, juste en dessous, se réunissent les femmes à chaque veillée, jeunes et vieilles, belles ou laides. Elles chantent et filent la laine. Elles chantent les gestes du foulage, assises sur des bancs, serrées les unes contre les autres en files parallèles, devant-elles une table de bois, étroite et longue . Elles tordent la laine puis la relâchent. Toutes générations confondues, solidaires, elles chantent les gestes de leurs mères. Elles enroulent et déroulent le linge puis le frappent et reprennent en chœur le chant de leurs aïeux.

E o urabho ohiu
E o hao ri ri
Eo hao risna bho hu o
E o urabho ohiu

De jours en jours, elles tissent, elles créent, elles sculptent la laine et les étoffes, les vêtements qui nous habillent et les mythes qui nous possèdent. Elles chantent, elles tissent, elles tordent le roman tracé de notre existence. Femmes d’hier et de langage. Existences d’aujourd’hui, fluides et vaines. Femmes précaires, touristes de la vie… Ensemble, aux rythmes de leurs gestes, nous pouvons nourrir des rêves épars, des croyances, des lueurs singulières, des colliers de perles gravées pour des chapelets de mystère. C'est le chant du rosaire que l'on croît entendre, un chant de joie et de plainte, de louange et de grâce.

Sur la terre comme au ciel l’être se joue entre masques et visages

Le Paradis, s'il existe, est plus vaste encore. Nul n'en mesure les limites.
Nous avons quitté le nombril du monde. Ici, un sol aride abrite un homme second. Une stature géante nommé Judicaël, le graveur vagabond. De tout côté et à perte de vue, des hautes falaises dominent une terre ingrate et riche qu'il arpente jour et nuit.
La roche est dure et friable et polie par l'érosion.
Lorsque midi sonne, il s'arrête et contemple le soleil à son zénith.
Il grave son NOM sur la pierre sèche et la roche se couvre de plaies. Chaque taille est une blessure. L’outil tranchant est son atout majeur. Il creuse les cicatrices profondes de son nom en lettres capitales. Ce n'est jamais ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. C'est Jéséquel, ou Jesekaël ou bien Jikel, Jikael, le saint Jikael. C'est Ezéquiel le prophète de la résurrection et de la rédemption.
Entendez-vous résonner le grincement du burin et la plainte de la pierre? Le geste du graveur entame un travail de deuil. Il grave pour des siècles et des siècles, retranché de la foule...
La roche est dure, le métal aussi et la peau est tendre. Graver est un art de la scarification. L’un résiste à l’outil, l’autre sensible et nue s’offre au scalpel, marquage à proximité des regards, voyeurs et voyants… La peau est le vêtement de la chair, sa parure et sa fragile protection.
J'ai gravé à mon insu, mes rides à fleur de peau et nul chant ne peut accompagner ce geste… Il est l’œuvre du temps.

Nous avons perdu le Paradis, mais sur la ligne d'horizon, le ciel dialogue encore avec la terre.






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