J'ai vu des photos, lu le dossier de presse, vu bien sûr tout ce que les journaux ( du Monde à Télérama !) avaient écrit sur l'exposition " MARCEL STORR, BÂTISSEUR VISIONNAIRE ", et pourtant je ne pensais pas éprouver une telle joie, une telle émotion samedi !
Les visiteurs sont incroyablement nombreux,des adultes bien sûr mais aussi beaucoup de couples avec des enfants, voilà pourquoi aujourd'hui je ne mettrai pas en ligne les tableaux dans leur totalité mais des détails, de fabuleux et émouvants détails .
Comme autrefois avec les aventures de Charlie (ceux qui ont aujourd'hui de grands enfants se rappellent sans aucun doute les heures passionnantes à chercher ce petit personnage )
" Hé, fans de Charlie, êtes-vous prêts à relever de nouveaux défis ? Charlie vous entraîne dans de folles aventures! Traversez la jungle marécageuse, explorez les couloirs du temps, aidez des marins à combattre des monstres... Que d'émotions La Charlie mania va encore faire des victimes! Soyez vigilants, lecteurs intrépides, et gardez vos sens en éveil écoutez une joute musicale, sentez des fleurs enivrantes, goûtez des gâteaux appétissants, caresser des centaines de chiens... Et surtout, faites bon usage de votre cinquième sens : la vue! Ouvrez l'oeil pour trouver Charlie, Ouaf, Félicie, Pouah, Blanchebarbe et une foule d'autres personnages et objets cachés dans toutes les pages. C'est incroyable! Plus de trente millions de lecteurs ont trouvé Charlie dans plus de trente pays différents. Et vous, l'avez-vous déjà repéré ?"
Partons à la recherche des voitures, des bateaux, des girafes et des éléphants, des cavaliers, des personnages minuscules mais si expressifs, il y a un Dieu tutélaire caché dans un buisson et tout un incroyable statuaire, des bancs et des lampadaires ... bref des petits trésors horizontaux ajoutés à la délirante verticalité !
Et un mystère reste entier, MARCEL STORR, à côté de sa signature a ajouté l'année de création et un chiffre dont on ignore tout ... N'hésitez pas à émettre des hypothèses et à partir dans les idées les plus folles !
*** Autour de MARCEL STORR existent des ouvrages ....
* Il y a le texte de Laurent Danchin , écrivain, conférencier ,critique d’art et commissaire de l’exposition
" Les basiliques et cités paranoïaques de Marcel Storr (1911-1976)" dont j'ai parlé sur ce blog.
* En octobre 2010, Françoise Cloarec, avec le récit " Marcel Storr, architecte de l’ailleurs" (Phébus), nous faisait pénétrer dans l’univers onirique du peintre autodidacte, Marcel Storr, fils de l’Assistance publique et cantonnier à la ville de Paris.
Françoise Cloarec est psychanalyste et peintre, diplômée des Beaux-Arts de Paris. Elle a consacré une thèse de psychologie clinique au peintre autodidacte Séraphine de Senlis avant de lui dédier un essai, Séraphine, sorti chez Phébus en 2008.
L’exposition au pavillon Carré de Baudouin, réunissant pour la première fois du 15 décembre 2011 au 31 mars 2012 l’intégralité de l’oeuvre de cet artiste totalement hors-norme, est l’occasion pour les éditions Phébus de proposer un catalogue exhaustif de cette oeuvre magistrale ( hélas momentanément épuisé )comportant aussi des textes de Liliane et de Bertrand kempf.
Laurent Danchin a eu la gentillesse de me confier le texte qu'il a écrit pour ce catalogue.
Surtout ne passez pas votre chemin, ce texte, un peu long peut être pour un blog ,évoque avec une rare finesse la vie , l'oeuvre et les mystères de Marcel Storr :
Le génie à l’état brut
" Découvrir une œuvre exceptionnelle, tout entière et d’un seul coup, trente-cinq ans après la mort de son auteur, est en soi un événement. L’univers clandestin de Marcel Storr, cantonnier du Bois de Boulogne, n’a en effet jamais été montré encore dans sa totalité, et si l’on excepte une présentation très partielle à la Halle Saint Pierre il y a dix ans, puis une apparition éphémère, en 2005, à la mairie du 9ème arrondissement, avec ensuite quelques dessins figurant dans diverses manifestations à Bratislava et en Allemagne, ou encore à Sète, au Musée International d’Art Modeste, il n’a jamais fait l’objet d’une exposition exhaustive, comme celle dont le pavillon Carré de Baudouin aura eu le privilège pour la première fois.
Dans le petit monde de la création autodidacte, dont un réseau d’amateurs assure depuis longtemps la promotion, peu d’auteurs ont, comme Marcel Storr, maintenu leur activité artistique à l’abri de tout regard pratiquement jusqu’à la fin de leur existence, et sans la curiosité fortuite de Liliane Kempf il y a quarante ans, les cathédrales fantastiques et villes futuristes du balayeur auraient sans doute, dans le meilleur des cas, fini leur carrière sur e-bay ou dans les vieux cartons d’une échoppe de brocanteur. Le cas n’est pourtant pas unique d’œuvres extraordinaires découvertes in extremis, soit à la veille du décès de leur auteur, soit à titre posthume quelque temps après. On pense ici à la révélation spectaculaire de deux ‘outsiders’ américains : Henry Darger (1892-1973), le reclus de Chicago, père imaginaire des Vivian Girls dont la narration immense et les illustrations géantes qui l’accompagnent n’ont été exhumées du désordre de son appartement qu’au moment où il venait de déménager pour une maison de retraite. Ou alors, moins connu en France, Achilles G. Rizzoli (1886-1981), dessinateur industriel californien dont les fantaisies architecturales, d’un symbolisme très sophistiqué, ne furent découvertes par la galeriste Bonnie Grossman que neuf ans après sa mort, en 1990, à San Francisco. Car c’est bien en cette prestigieuse compagnie, et nulle autre, qu’il faut envisager l’univers stupéfiant de l’inconnu du Bois de Boulogne.
Sur l’auteur de ces œuvres étonnantes, né et mort à Paris, on ne sait pas grand-chose, mis à part le témoignage tardif de ses découvreurs, et ce qu’a pu trouver sa biographe, Françoise Cloarec, au cours de recherches plus récentes. De ce qu’il pensait, surtout, on ne sait rien, ce qui redouble encore le mystère de la découverte, et livre à notre pure fantaisie les clefs de l’interprétation. Enfant abandonné, sans doute de père inconnu et portant le nom d’un autre, Storr, né en 1911, a commencé sa vie de misère tout en bas de l’échelle sociale, et il ne s’était guère élevé d’un cran quand il mourut, cancéreux, à l’hôpital Tenon, en 1976. De constitution rachitique, « difficile à élever », souvent admis au sanatorium ou hospitalisé, il était pupille de l’Assistance Publique et, comme Adolf Wölfli, le grand génie de l’art brut, passa une enfance terrible placé dans des fermes, où il devint sourd, affirmait-il plus tard, pour avoir été souvent battu. Pratiquement illettré – il savait tout juste signer son nom, que l’on trouve même souvent deux fois sur ses dessins ! –, il exerça par la suite divers petits métiers, plongeur dans un lycée, débardeur aux Halles ou employé d’une société de nettoyage (il aurait même été un temps mineur de fond), avant de trouver, en 1964 seulement, un emploi plus stable auprès de la Ville de Paris comme « cantonnier d’empierrement saisonnier ». Traduire : balayeur au Bois de Boulogne, affecté près du « Polo de Bagatelle », expression mystérieuse que, nous dit Liliane Kempf, dans sa culture purement orale il interprétait comme le nom d’un voisin protecteur !
Aujourd’hui, grâce à Françoise Cloarec, qui a pu avoir accès à son dossier médical, on sait que Storr, vers la fin de sa vie, ébranlé entre autres par le décès de sa femme et l’obligation de déménager à Saint-Denis, dans un lieu sinistre et insalubre, fut hospitalisé d’urgence à Sainte-Anne puis à Ville-Evrard, après un accès de délire qui avait dû affoler les voisins. C’était en septembre 1974, après quoi il fut suivi en post-cure, presque jusqu’à la fin, ce qui nous donne sur lui quelques renseignements supplémentaires. Souvent moqué par ses collègues, Storr vouait alors à l’humanité une haine définitive et, convaincu de la malveillance de son entourage, vivait dans la hantise d’être volé. Mais cette tendance à la paranoïa, ce côté borderline venaient de plus loin. Bertrand et Liliane Kempf qui, à l’époque où il vint solennellement leur confier ses dessins pour qu’ils les mettent en lieu sûr, l’ont vu souvent arriver chez eux, un papier administratif à la main, décrivent un homme taciturne, aigri, de surcroît difficile à comprendre quand il grommelait quelque chose. Déclarant détester les paysans, mais aussi les Juifs et les communistes, c’était un homme de la ville qui n’aimait ni les enfants ni les animaux. Allergique aux concierges, il avait épousé pourtant une gardienne d’école – une femme haute en couleurs que les élèves appelaient Belphégor –, et il tenta désespérément de se remarier par petites annonces après sa disparition.
En fait, Storr, comme bien des créateurs, était un hypersensible abritant sa fragilité sous une carapace rébarbative, et c’est cet homme seul, ce misanthrope, triplement isolé par sa surdité et son illettrisme mais aussi par le don qu’il portait en lui, qui devait, tout au long de son existence misérable, construire en cachette un monde parallèle, évasion vers les hauteurs représentant à la fois son oxygène quotidien et sa revanche secrète contre l’humiliation permanente. En tout, ne subsistent aujourd’hui qu’une soixantaine de dessins de Marcel Storr, ce qui est en somme assez peu. Les autres ont-ils été perdus, donnés ou détruits au cours de ses déménagements ? On ne sait. Mais il s’agit de dessins habités, d’une extraordinaire densité et force de fascination. Toute une vie s’y est inscrite, y a mis ses souffrances, ses rêves et ses pensées. La plupart sont d’assez grand format, les plus anciens coloriés aux crayons de couleur, les plus récents – les meilleurs – à l’encre, et tous ne représentent que deux sujets : d’abord des églises, basiliques ou cathédrales, gigantesques et proliférantes, puis, dans une deuxième période, des mégapoles futuristes, contemporaines des Tours de La Défense.
Encore un peu naïves et laborieuses, mais manifestant déjà un souci obsessionnel du détail, les œuvres les plus anciennes datent des années 1930, tandis qu’après l’interruption de la guerre, où il fut brièvement mobilisé puis réformé, on ne trouve que quelques dessins disparates, sans doute des années 1950, dont un très beau diptyque aux allures de gratte-ciel un peu stalinien et le triptyque d’une église géante où, selon Bertrand Kempf, le motif de la crosse gothique serait répété plus de 600 000 fois. Mais c’est l’année où il obtient enfin un emploi régulier, 1964, l’année aussi de son mariage, que l’art de Storr trouve son épanouissement. D’abord avec la série des églises : 25 variations sur le thème de la cathédrale, dessinées en un temps record, de plus en plus éloignées du réalisme, voire délirantes à partir de la treizième, le végétal et le minéral étant confondus et l’humanité réduite à la taille de fourmis. Puis sur un format plus grand, de 1965 à 1975, au rythme d’environ deux à trois dessins par an, la série des mégapoles : seize villes de science-fiction, toutes d’un mode d’organisation différent. A quoi s’ajoutent encore, après la mort de sa femme, quatre dessins très colorés. D’une série à l’autre, entre la reconstruction imaginaire du passé symbolique, en souvenir peut-être de ces bonnes soeurs auprès desquelles il aurait, nous dit-on, trouvé refuge à l’adolescence et, volte-face complète, l’ouverture à l’avenir et l’exploration d’un futur sans limites, le présent, détestable, se trouve heureusement escamoté. Parallèlement – est-ce un hasard ? –, à l’extérieur une révolution culturelle tentait de balayer le vieux monde : Mai 68.
C’est le soir, dans sa cuisine, enfin libéré des tâches alimentaires, que Storr dessinait, sur de grands cahiers à spirale de papier Canson, avec une batterie de crayons très affûtés et de petits pots d’encre Colorex. Il procédait en deux temps : la construction d’abord, extrêmement fouillée et minutieuse, de ses bâtiments, avec tous les accessoires : arbres, personnages, animaux et, dans ses villes, des véhicules extraordinaires mêlant tous les styles et tous les temps, de la caravelle à l’hélicoptère ou à la soucoupe volante. Cette première phase devait lui prendre des nuits et des nuits, pendant lesquelles il s’identifiait totalement à son univers, comme un romancier mythomane dialogue avec ses personnages. Ensuite il coloriait son dessin et, pour finir, sauf sur le ciel, y passait un vernis de sa composition qu’il égalisait au fer chaud, donnant à sa feuille, presque gravée, cet aspect si caractéristique de cuir de Cordoue. C’est ce travail très soigné, en deux étapes, qui explique peut-être la double signature, confirmant, s’il en était besoin, à quel point Storr avait conscience de faire œuvre extraordinaire : une signature pour authentifier l’inventeur et l’architecte, une autre pour le patient exécutant. Car il n’était pas question qu’on lui vole, non pas tellement ses dessins – matériellement il ne s’en préoccupait guère – mais ses inventions, tout ce qu’il avait mis dedans.
Stylistiquement comment qualifier ce type d’univers, à quelle famille artistique le rattacher ? Que l’on aime ou pas la notion, c’est à coup sûr un exemple fascinant d’« art brut » au sens de Jean Dubuffet. Il s’agit de la création clandestine, tardive à cause des contraintes du métier quotidien, d’un autodidacte obsessionnellement possédé par une inspiration qui, littéralement, le dépasse et n’a rien à voir avec le souci de faire œuvre d’art. D’ailleurs, « homme du commun » s’il en est, de surcroît illettré, il n’est passé par aucune école, n’a visité aucun musée et doit tout réinventer pour son propre compte, son dessin, ses techniques, afin de pouvoir, à sa façon – dans son style propre –, donner une idée du monde qui l’habite. Storr, au sens académique, ne sait pas dessiner, ses perspectives sont bancales, d’un cubisme involontaire ? Là n’est pas l’essentiel : créer pour lui est un besoin vital et tous les moyens sont bons pour le satisfaire. Car ce n’est pas être appelé artiste qui lui importe, mais échapper à ce monde pour en inventer un autre, plus beau. L’argent d’ailleurs ne l’intéresse pas, la gloire, il n’en est pas question, à la rigueur ce serait une vague idée de la postérité qui pourrait le tourmenter, une idée abstraite du futur où son œuvre se montrerait utile et où seraient enfin reconnus ses dons.
Aujourd’hui il est de bon ton de pratiquer la déconstruction du concept d’art brut et, au nom de l’Art, de ne plus faire de différences entre les genres ou les catégories. Il est vrai que les critères esthétiques de l’art brut n’ont jamais été clairement définis et que, purement intuitifs chez Dubuffet, ils sont restés trop longtemps noyés dans des considérations psychologiques ou sociales mettant en valeur la biographie ou les intentions des auteurs au détriment des caractéristiques formelles. Pourtant certaines distinctions, évidentes autrefois, mériteraient d’être remises au goût du jour, en particulier l’opposition entre la culture savante et la culture populaire et, ce qui importe surtout ici, entre deux approches du dessin et de la création plastique : l’une très sophistiquée, plus ou moins liée à la mimésis photographique et reposant en général sur un long apprentissage, et l’autre, qu’on l’appelle ‘brute’ ou ‘naïve’, plus spontanée, isolée, élémentaire, obéissant à des canons différents. C’est évidemment à cette approche non savante que correspond la manière de Storr, avec ses perspectives approximatives, ses plans rabattus comme dans le dessin d’enfant, et sa complexité générale mais par accumulation d’éléments simples, sans compter sa forme de maladresse qui, lorsqu’elle apparaît, n’a rien de voulu à la différence de tant de ténors de l’art professionnel.
Savante ou non, toute œuvre géniale au premier abord nous paraît unique, inclassable, et nous éprouvons un choc à la voir pour la première fois. Comme les grands inspirés, réformateurs ou inventeurs de mondes, Storr, le balayeur du Bois de Boulogne, était un génie visionnaire, et il le savait. Et c’est cette conscience de ne pas être comme tout le monde qui l’aidait sans doute à supporter sa condition matérielle. Etait-il normal ? Certainement pas. Fou ? Pas davantage, mais condamné à l’autisme social du créateur qui se réfugie dans son monde. Quant à cette obsession des tours qui prit, au fil du temps, deux formes différentes, en connaissait-il lui-même la raison ? Eut-elle d’abord une intention religieuse, puis une visée plus politique dans le contexte de l’imaginaire apocalyptique ou anti-nucléaire de son temps ? Nul ne le saura jamais. Métaphore même de l’esprit d’invention, fruit d’un pur élan vital et d’un instinct obscur de transcendance, comme les Tours de Watts de Simon Rodia à Los Angeles, les constructions secrètes de Marcel Storr resteront une énigme, un cas spectaculaire de résilience du génie créateur et un singulier exemple de ce qu’il peut y avoir de plus remarquable dans l’art populaire contemporain."
IL NE FAUT, SOUS AUCUN PRÉTEXTE, MANQUER CETTE EXPOSITION !
Soyez vigilants,visiteurs intrépides, et gardez vos sens en éveil !
* LES GRIGRIS DE SOPHIE ET MARCEL STORR
( cliquer sur le lien )
Bonjour
RépondreSupprimerJ'ai vu aussi cette exposition et il faut absolument aller la voir !! La scénographie est très bien faite et nous permet d'apprécier l'évolution dans les dessins de Storr.
voir aussi sur le blog de http://photograff.blogspot.com/
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