vendredi 9 août 2013

CAMILLE RENAULT VU PAR FRANZ BARTELT




















CAMILLE RENAULT

" Pourquoi aller admirer ailleurs les merveilles qu’on est capable de construire soi-même ? On cite aujourd’hui encore en exemple « Le jardin des surprises » que Camille Renault, un natif d’Omont, cultivait à Attigny au cours de la première moitié du siècle le plus récemment passé, et dont il subsiste des éléments au musée de Lausanne, dans la Collection d’Art Brut.

C’était un pâtissier qui avait pratiqué presque tous les métiers, d’éleveur de porcs à marchand de peaux de lapin. Il fut gardien de moulin et hôtelier, épicier, conducteur de camion. Il chantait avec une voix de baryton. Jouait les comédiens. Projetait les films du cinématographe. Organisait des banquets, des cavalcades, des pèlerinages. Et construisait des maisons étranges et compliquées, qu’ils peuplaient de personnages, curés ou garde champêtres, faits de bric et de broc, de plâtre et de casseroles, de grillage et de bouts de bois, de bidons et d’instruments divers dont les formes guidaient son inspiration. Ses fêtes passaient pour les plus somptueuses du département. Dans sa jeunesse, il avait voulu s’embarquer pour l’Amérique, à l’instar de bien des Ardennais. Il finit par se voir élevé à la dignité de transcendant Satrape du Collège de Pataphysique.

Ce sont des personnages comme celui-là, avec les poètes et les artistes, qui produisent les souvenirs de ceux qui, par la suite et dans l’écoulement des générations, n’auront rien vécu qui mériterait d’être retenu. L’homme n’est bien souvent grand que des grandeurs qui l’ont précédé sur la terre. La chance, l’héroïsme et le génie sont donc des objets qui servent plusieurs fois. Les gens du midi sont fiers, à titre personnel, d’un soleil qui n’appartient à personne. Comme les habitants de Charleville, à titre non moins personnel, relèvent le front à l’évocation d’Arthur Rimbaud qui appartient à tout le monde. On est un peu ce qu’on aime, même si dans le cas de Rimbaud et de Charleville les sentiments ont évolué longtemps avant de s’épanouir.

Tandis qu’il ne subsiste de son « Jardin des surprises » qu’une poignée de cartes postales et quelques témoignages dans les revues d’histoire, Camille Renault représente plus que le nom d’un passé un tant soit peu original. C’est au présent qu’on en parle, comme l’incarnation d’une qualité locale, composée de fantaisie, de gentillesse et de détermination. Sa légende s’inscrit dans la chronique quotidienne, comme la preuve que tout peut arriver.

Le monde a toujours intérêt à laisser les rêveries prendre corps. Les constructions insolites, les embellissements arbitraires, les architectures à scandale, les pelouses documentaires et les façades à thèmes fondent les étapes d’une promenade qui sans cela se dissiperait dans l’ennui et dans le conformisme".



Franz Bartelt

(Aux pays d’André Dhôtel, Édition Traverses, 2000)




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire