mercredi 15 juillet 2015

LA CHASSE AU SNARK DE MARIE-CHRISTINE BOURVEN

« L’impossible voyage d’un improbable équipage à la recherche d’une inconcevable créature ».













Et une traduction de Jean-Charles Merten


La Chasse au Snark


« Un endroit rêvé pour un Snark » hurla l'Homme à la cloche,
Tandis qu'il faisait précautionneusement débarquer son équipage ;
Soutenant chaque homme au-dessus des vagues
D'un doigt mêlé aux cheveux

« Un endroit rêvé pour un Snark ! Je l'ai dit deux fois :
Ceci devrait suffire à encourager l'équipage
Un endroit rêvé pour un Snark ! Je l'ai dit trois fois :
Ce que je vous dis trois fois est vrai

L'équipage était au complet : il comprenait un Cireur
Un Fabricant de Bonnets et Capuches
Un Avocat incorporé pour régler leurs disputes
Et un Courtier pour évaluer leurs biens

Un fabricant de billards de très grand talent,
Qui aurait peut être pu gagner plus que son dû
Mais un Banquier, engagé à grand frais,
Gérait tout leur argent

Il y avait aussi un Castor, qui arpentait le pont,
Ou, assis à la proue, faisait de la dentelle :
Il les aurait maintes fois (selon l'Homme à la Cloche) sauvés du naufrage
Bien qu'aucun des matelots ne sache comment

L'un d'eux s'est illustré lorsqu'il embarqua
Par le nombre de choses qu'il a oublié
Son parapluie, sa montre, et tous ses bijoux et ses bagues,
Ainsi que les habits qu'il avait achetés pour le voyage.

Engagé comme Boulanger : mais il reconnut, alors qu'il était trop tard-
Ce qui a rendu l'Homme à la Cloche à moitié fou -
Qu'il ne savait pâtisser que la pièce montée – pour laquelle, je dois le dire,
Il n'est besoin d'aucun équipement.

Le dernier membre mérite une attention particulière,
Bien qu'il ait l'air d'un parfait imbécile :
Il n'avait qu'une idée en tête – mais celle-ci étant « le Snark »
L'Homme à la Cloche, dans sa bonté, l'engagea sur le champ.

Il fut engagé comme Boucher : mais déclara solennellement,
Après une semaine de navigation,
Qu'il ne pouvait tuer que des Castors. L'Homme à la Cloche parut saisi,
Et presque trop effrayé pour parler.

Puis il finit par expliquer, d'une voix chevrotante,
Qu'il n'y avait qu'un seul Castor à bord,
Qu'il était apprivoisé et qu'il lui appartenait en propre,
Et que sa mort causerait un grand chagrin

Le Castor,  ayant surpris cette remarque,
Protesta, des larmes dans les yeux,
Que même l'euphorie de la chasse au Snark
Ne saurait compenser cette sinistre surprise.

Il suggéra fermement de faire voyager le Boucher
Sur un autre navire
Mais l'Homme à la Cloche dit que cela ne pourrait aucunement
Rentrer dans ses plans pour le voyage

Naviguer a toujours été un art difficile,
Bien que n'ayant qu'un seul bateau et une seule cloche :
Il avait bien peur de devoir décliner, pour sa part,
La responsabilité d'une embarcation supplémentaire.

La harangue de l'Homme à la Cloche

Quant à l'Homme à la Cloche, tous le portaient aux nues -
Quel port, quelle aisance et quelle grâce !
Quelle solennité également ! Chacun pouvait percevoir sa sagacité
Dès qu'il le regardait dans les yeux !

Il avait acheté une grande carte représentant la mer
Où ne figurait pas la moindre terre :
L'équipage se réjouit alors quand ils se rendirent compte
Que c'était une carte que tous pouvaient comprendre.


« Car, si les Snarks communs sont inoffensifs,
Je me dois cependant de vous dire
Que certains sont des Boudjeums » L'Homme à la Cloche se tut, inquiet,
Car le Boulanger s'était évanoui

On le ranima avec des muffins – on le ranima avec de la glace -
On le ranima avec du cresson moutarde -
On le ranima avec de la confiture et de judicieux conseils -
On lui soumit des énigmes à résoudre.


« Cherchez-le avec des dés à coudre, cherchez-le avec soin ;
Pourchassez le avec des fourchettes et de l'espoir ;
Menacez sa vie avec une action ferroviaire ;
Charmez-le au sourire et au savon !

Car le Snark est une créature spéciale, qui ne saurait
Être capturée d'une manière ordinaire.
Faites tout ce que vous savez faire et tentez tout ce que vous ne savez pas :
Aujourd'hui, nous ne devons gâcher aucune occasion !

Ils frémirent à l'idée que la chasse puisse échouer
Et le Castor, enfin excité,
Se mit à sautiller sur la pointe de sa queue,
Car la lumière du jour faiblissait.

« Machin est en train de crier ! » fit l'Homme à la Cloche,
« Il crie comme un malade, chut, écoutez !
Il agite des mains, il secoue la tête,
Il a sans doute trouvé un Snark ! »


« C'est un Snark » tel fut l'écho qui d'abord leur parvint,
Et qui leur parut presque trop beau pour être vrai.
Puis ce furent un torrent de rires et d'acclamations :
Puis ces sinistres mots « C'est un Bou- »

Puis le silence. Quelques uns crurent entendre porté par le vent
Un soupir errant et las
Qui sonnait comme « -djeum » mais les autres dirent
Que ce n'était qu'une brise qui soufflait.

Ils ont chassé jusqu'à la nuit tombée, mais ils ne trouvèrent
Ni un bouton, ni une plume, ni un repère,
Leur indiquant qu'ils étaient à l'endroit
Où le Boulanger avait rencontré le Snark

Au milieu du mot qu'il essayait de prononcer,
Au milieu de ses rires et de sa jubilation,
Il avait d'un coup disparu sans bruit -
Car le Snark « était » bien un Boudjeum, voyez-vous.




MARIE-CHRISTINE BOURVEN ET LES GRIGRIS DE SOPHIE

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