dimanche 13 mars 2016

GEHA : SOUVENIRS TIMBRÉS

 Le remarquable travail de GEHA tient une place importante dans l'exposition de Carquefou
" L'ART POSTÉ ".
J'ai eu la chance de recevoir quelques enveloppes de sa composition et je sais le bonheur que procure leur arrivée.
L'artiste a répondu positivement à ma demande d'écriture et j'ai la joie de vous présenter aujourd'hui un texte écrit spécialement pour les Grigris.
Voici donc les souvenirs timbrés de GEHA !














De mes souvenirs timbrés

"Le virus de l’art postal m’a été inoculé, en 1983, par un inconnu du Var qui m’a invitée, via une lettre de chaîne, à envoyer une création personnelle. Je lui ai retourné une minuscule eau-forte sous enveloppe sage et ai reçu, en réponse, une étonnante carte postale de sa fabrication. Il m’ouvrait alors une porte sur un monde insoupçonné où les créateurs de tous genres, artistes confirmés ou inspirés du dimanche, se rencontraient par l’intermédiaire de La Poste. Pierre Marquer m’a recommandé les premières personnes intéressantes à contacter dont un Allemand qui, à son tour, m’a fourni une liste d’une quarantaine d’adresses de son réseau. Je les ai toutes abordées !
Commençait alors un échange frénétique avec ces adeptes des créations hors les normes postales qui me faisait surveiller notre boîte à lettres le cœur battant. Je découvrais la France du courrier exotique. Mais je recevais aussi des surprises du monde entier, par exemple les cassettes d’un trompettiste californien et les cartes en papier mâché d’un autre Américain. Un Japonais, collecteur de tampons d’artiste, envoyait de grandes feuilles composées tandis qu’un Australien me révélait ses poèmes. Les artistes des pays de l’Est proposaient des œuvres graphiques contre des nouvelles du monde libre et un Néerlandais était fort généreux de ses aquarelles. Tous avaient leur façon de faire et d’exploiter voir contourner le formatage de la Poste.
Je me laissais stimuler par tant de liberté mise en circuit et trouvais plein de matériaux à récupérer, des pages de magazines pour commencer, puis des gravures ou photos jusqu’aux collages ou pochoirs. Pendant cette période j’ai développé la technique des petits papiers déchirés qui rendait mes enveloppes décorées presque inimitables.
Si dans cette foule certains correspondants lassaient vite, d’autres se révélaient de véritables âmes sœurs. Je pense avec nostalgie à cet étudiant anglais avec lequel je me mettais d’accord sur un sujet appétissant, c’est-à-dire « eat art ». Afin de communiquer plus aisément avec lui, je prenais des leçons d’anglais. Durant presque dix ans se croisaient nos petits plats fantaisistes, salades de collages, tartes aux pastels, boissons chaudes ou froides aquarellées, etc. Quand David John Bell a fondé une famille, notre connexion s’est arrêtée en douceur.
Un autre complice a su conjuguer folie douce et paternité, Georges Bellocchi dit Giorgio continue à coudre et à ficeler des créations étranges complétées par des messages phonétiques toutes aussi mystérieuses. Sa fille Lilas va avoir quinze ans.
Mais la palme de la fidélité revient à Michel Julliard avec lequel je corresponds depuis bientôt vingt-cinq ans. Nous nous sommes déjà rencontrés plusieurs fois et c’est grâce à lui que le binôme Albasser a découvert les beautés de l’Aveyron. Prix de beauté également aux merveilleuses enveloppes peintes de Michel ! C’est lui, je crois me souvenir, qui m’a mise en contact avec Marielle Conte, grande militante de l’art postal qu’elle fait aussi pratiquer par ses élèves en arts plastiques. D’ailleurs, j’ai été plusieurs fois mise à contribution pour « artpostaler » avec ses classes.
Car on s’entraide volontiers entre timbrés. Quand j’ai monté des expositions à La Rochelle, je faisais appel aux fidèles de mon réseau pour m’envoyer des sujets précis afin de pouvoir présenter des tableaux à thèmes. Dans ce but, je postais également des objets à moi-même qui devenaient du matériel de démonstration.
En retour, je ne comptais pas mes envois, par exemple quand Fabienne Ruaut Lichet préparait son exposition Cabinet de curiosités. Des choses improbables devaient affronter le parcours postal. A des occasions pareilles, j’aimais (et j’aime toujours) me présenter au guichet d’un bureau de Poste pour observer les réactions des employés. Certains restent impassibles ou lèvent juste un sourcil désapprobateur puisque l’objet n’est pas réglementaire. Mais le plus souvent, le guichetier est amusé ou il fait même des compliments, et c’est une petite victoire sur la normalisation galopante.
Pour en revenir à Fabienne qui est maîtresse en école maternelle, elle a eu l’idée géniale de m’engager à correspondre avec sa classe. Les petits découvrent ainsi le dialogue à distance, l’utilité de l’écriture et le grand plaisir que fait une lettre, lorsqu’on la prépare et lorsqu’on reçoit la réponse.
Créer pour quelqu’un et transmettre son plaisir de faire donne une grande joie intérieure. Revoir mes envois pris en photos qui sont rangées dans des classeurs (six après allègement) m’amuse à chaque fois. Souvent, ces idées mises en conserve se métamorphosent en gravures qui, à leur tour, peuvent se laisser transformer en enveloppes très personnalisées. Il me paraît important et de plus en plus difficile de trouver les timbres-poste (couleur et thème) assortis à mes créations . Les petites valeurs faciales viennent d’être supprimées, elles me servaient à construire des montages ou des cadres pour mes sujets.
Eni Looka n’a pas ce genre de problèmes car il crée ses propres timbres-poste, avec maestria et une paire de gros ciseaux pour découper les dents. Je garde ses miniatures oblitérées précieusement. Parmi d’autres CD-Rom, il a également édité un sur l’art postal en France (L’Insoutenable légèreté des lettres, YMNA n°1, 1999) auquel j’ai eu la chance de participer grâce à la présentation par Philippe Charron. Ce dernier était un correspondant de proximité et grand amateur d’envois drolatiques. Cette relation aussi s’est endormie laissant la place à d’autres contacts plus ou moins éphémères, pour le moment une vingtaine.
Humoristique, esthétique, sociocritique ou poétique, l’art postal sous toutes les formes repose dans mes boîtes rouges qui s’ouvrent trop rarement pour montrer ces trésors, comme actuellement au Manoir des Renaudières à Carquefou."





















1 commentaire:

  1. Merci Sophie, je suis très heureuse de cette publication que tu m'as suggérée à mettre sur pied. Au pied de la lettre! Ainsi, les Grigris stimuleront peut-être d'autres anticonformistes à poster librement et artistiquement.
    Vive les timbrés et leurs supporters!
    Amitiés de G. alias GEHA

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