lundi 14 mai 2018

LE PARADIS DE LÉOPOLD TRUC

On a eu la grande belle chance cet été de visiter LE PARADIS DE LÉOPOLD TRUC.

C'est Alain Kieffer qui, le premier, m'a parlé du Paradis.
Après des années de tentatives auprès de Jacky et de Gérard Truc, rendez vous est pris avec Gérard, son petit-fils, concepteur de Jardin en Lubéron, qui non seulement nous consacrera du temps mais nous offrira le bel ouvrage réalisé sur LÉOPOLD par Catherine Gardone et François Dominique  ...

Il s'agit d'un jardin et d'une maison un peu à l'écart du monde.
Les murs des bâtiments sont entièrement recouverts de coquillages, de cailloux et de petits morceaux de tuiles, à la manière d'une mosaïque aux tons rougeâtres.
Le tout au milieu d'une végétation du sud de la France et du bruit des cigales.
Monsieur Truc a pensé à tout et au beau milieu de son jardin d'Eden, dans cet endroit où il a investi tant de temps et d'énergie, il a même pris le temps de fabriquer sa propre tombe, en accord avec le reste de ses constructions, une tombe qu'il a ornée d'une croix et de l'inscription " in memoriam "mais où finalement il n'a pas été enterré.

Léopold Truc (1912-19991) était agriculteur à Cabrières.
Il avait des aptitudes pour les arts et jouait du banjo, du violon et aussi du saxophone.
Il a commencé sa vaste entreprise dés 1955, il a tout d'abord restauré sa borie puis très vite il se mit à peupler son terrain de colonnettes, de dallages, d'escaliers, de murets, de fresques ...
Il commença par un puits et alla jusqu'à une tour de guet qui, aujourd'hui encore, a fière allure.
"L'ensemble forme cet étrange décor mosaïqué où domine l'ocre orangé, couleur complémentaire du vert, comme dans les carrières de Rustrel et de Roussillon" écrit François Dominique dans l'introduction de l'ouvrage consacré au créateur. 
Dans ce lieu privilégiè Léopold recevait ses amis. 
"Le champ, c'était sa vie. Et quand il n'était pas aux vignes, il était au Paradis. Il ne jouait pas aux cartes et n'allait jamais au bistrot. Ce qu'il aimait, c'était être entouré de ses amis, dans son pays à lui, le Paradis" a dit un de ses amis Emile Armand.






" Le restaurant des Cèdres tenu par son fils René puis sa petite-fille Christiane gardait les assiettes cassées, les coquilles Saint-Jacques, les escargots, pour Léopold. Ils avaient aussi conçu un petit train de voiturettes, tiré par un tracteur, pour emmener avec bonheur leurs nombreux clients "au Paradis"."









" Je savais pas ce que je voulais faire au fond. Je voyais pas la fin. Une chose amenait l'autre".







" J'ai creusé un puits et construit la tour au dessus. J'avais pas l'outillage , je l'ai fait de dedans sans échafaudage avec juste le fil à plomb. Je regrette d ne pas avoir fait un étage de plus, on aurait pu voir Cabrières."








 Et voilà le long texte que Guénola Moreau a écrit sur cette "rencontre" sur son blog "LA TISSEUSE PAR CHEMINS" :

"J´arpente des lieux, des maisons et des jardins, des écluses et des bords de route, des potagers où poussent des végétaux de pierre et je parcoure des routes et encore des routes en quête de ce que construisent véritablement les « bâtisseurs de l´imaginaire » : leur rêve.
Mais peut-on pénétrer le rêve des autres quand bien même les nôtres nous échappent ?
Ce matin-là je quitte Avignon assez tôt pour me dévier plus à l´est de la Provence, direction Cavaillon. J´y suis presque poussée par le mistral et la conduite nerveuse des gens du coin. C´est un matin frais et ensoleillé, encourageant. Pourtant, je me sens envahie par un certain vague à l´âme que je ne m´explique pas. Ce vent fouetté de courants d´air peut-être ? ou, plus probablement, le manque de café… Car, avouons-le : deux à trois tasses de ce breuvage constituent un minimum pour me rendre fréquentable, fusse à moi-même. D´humeur encore brumeuse, ce n´est cependant pas à cette heure matinale que je compte réfléchir  à l´équation nécessaire entre la présence de la caféine dans mes veines et ma présence au monde, à la réalité. Je navigue encore dans l´atmosphère ouaté du rêve, même s´il s´agit d´un rêve déjà ridé par les frontières de l´éveil.
Je règle mon GPS sur la destination à atteindre aujourd’hui : « le paradis de Monsieur Truc ».
« Aucun résultat trouvé ». Je souris. Évidemment…plus prosaïque donc, je tape « Cabrières d´Avignon ». Ok. Comment préciser « quartier de La plantade », indice que m´a livré sans le savoir un artiste belge parlant du site de Monsieur Truc sur son blog ? J´essaie : « Aucun résultat ». Soit. Le paradis ne peut pas être localisé si facilement, même avec un semblant d´adresse. Mais, revenant sur ses réticences, ma boussole moderne identifie le lieu comme nom de rue. Je démarre et me laisse guider par la voix mécanique sans m´inquiéter du temps record que l´appareil me fixe pour atteindre la bourgade provençale. 45 kilomètres en à peine 17 minutes ? Je ne suis décidément pas réveillée et réagis comme un automate : tournez à gauche – je tourne à gauche, prenez la première sortie à droite – je prends la sortie, continuez 500 mètres – je continue, faites demi-tour – je fais demi…tour ? Soit. Je pense aux Avignonnais qui se rendent à leur travail, j´ai envie de baisser la vitre et de leur faire un signe, un doigt sous le menton « moi je vais au paradis, tralalalalère ! » mais non. Mon esprit, même au ralenti, reste d´humeur moqueuse mais je ne vais pas jusqu´à exécuter ses farces. À  la énième indication « Restez sur votre gauche », je sursaute soudain ; ce même « esprit », bien qu´englué dans les affres décaféinées, a fini par traduire : « Restez sur vos gardes », « votre GPS vous mène en bateau »… Je relève la tête et observe le quartier sans charme autour de moi : petits HLM proprets, courtes avenues bordées de marronniers et ponctuées de ronds-points annoncés par de multiples dos d´âne. Cela ne ressemble en rien à une sortie de ville pour s´engager sur la fameuse N7 introuvable. « Arrivée à destination à droite » : quoi ? Je ne suis pas du tout au paradis là…Je soupire et râle, puis je comprends : Avignon a lui aussi son quartier ou sa rue de la Plantade. Rien de pire qu´une machine qui essaie d´interpréter vos intentions…Rien de pire qu´un réveil sans café. Alors, j´en cherche un du regard, de café : en vain. Les quartiers résidentiels en France ont oublié de planter ces lieux de convivialité. Il y a des fleurs placées au millimètre près, des pelouses tondues, des poubelles pour les crottes des chiens, tout pour simuler l´harmonie. On pense aux chiens mais pas aux hommes : il n´y a pas un seul café. D´ailleurs à bien y regarder il n´y a pas âme qui vive. Je m´empresse d´embrayer pour quitter au plus vite ce cul-de-sac. Je programme cette fois avec un peu plus d´attention mon guide fantaisiste en ne lui donnant pas de détail, juste le nom de Cabrières et une route qui y arrive.
Sur la route, j´écoute la radio dans l´espoir que cela me réveille et dissipe cette sorte de nébuleuse dans laquelle j´évolue mais rien n´y fait. Une chanteuse française à la mode y débite des chansons au goût de miel, le fiel de ses paroles, l´égo médiatique à  bloc et moi, entre les tôles bousculées par des sursauts de rafales, je pense à mes morts au paradis, menant une sorte de dialogue interne se superposant aux mots creux de la vedette : « Monsieur Truc. TRUC, oui vous avez bien entendu. Non, je ne plaisante pas, il s´appelle Truc je vous assure, Léopold Truc. Arrête de parler Machine. Tous les spots sont sur toi alors que y´a des trucs plus importants qu´on laisse de côté, des Mr Truc qu´on ignore. Et ce Léopold Truc n´est pas n´importe qui : le paradis, c´est lui. » En boucle, un refrain cette fois, de la voix maniérée de Machine-la-chanteuse, « le plus beau bébé, la plus belle maman », et voilà il ne manquait plus que le faire-part public de naissance de l´enfant sorti de la cuisse de Jupiterine et ses considérations sur la création, artistique ou maternelle. Cette fois je change d´ondes. Je me concentre sur la création du jardin d´Adam et Eve selon Léopold Truc, j´ai hâte d´arriver, de sortir de mon habitacle, de la soupape de mauvaise humeur qui me rend infréquentable.
Le panneau « Cabrières d´Avignon » enfin. Je tourne un peu, me retrouve régulièrement auprès du petit cimetière (le paradis pourrait fort bien être à côté mais je ne vois rien) et tente au passage de repérer un café. « Aucun résultat ». C´est désespérant. Un souvenir en éclair vient à ma rescousse : une photo sur le blog de l’artiste belge, « rue des fileuses ». Je file. Ma boussole accepte de m´y mener. Ma voiture grimpe sur un chemin caillouteux bordé de petits murs en pierre sèche, d´oliviers, de pins, de vent. Ambiance provençale qui rappelle à la fois Pagnol et des faits divers sordides, de bourgeoises cruciverbistes qui se font assassiner par leur jardinier. Non loin d´ici le mur de la peste trace une frontière à l´orée du village rappelant des faits d´histoire absurdes : le mur ne protégea pas de la maladie, enrayée avant la fin de la construction de ce drôle de rempart.  Je gare finalement mon véhicule et emprunte la rue – ou plutôt le chemin – des fileuses que je viens de repérer et qui est perpendiculaire à la voie dans laquelle je m´étais engagée. Mes cheveux s´éparpillent au rythme du vent, m´aveuglent par moments. Je comprends que le vent peut rendre fou. J´observe les maisons et m´invente des histoires sur leur habitants. Une balançoire : une paire d´enfants en bas âge, des parents bobo qui font les vide-greniers le dimanche. Un haut mur austère encerclant une demeure cachée aux regards, des talus taillés de façon maniaque : richesse éclatante, un billard dans le salon, une piscine remplie d´eau à chaque saison même si on s´y baigne rarement. Une voiture criarde devant une maison aux rideaux coquets : une femme adultère blonde platine se vernissant les ongles rouge carmin (pieds et mains), prenant rendez-vous pour sa séance d´UV. Sur ma droite, soudain, un terrain ouvert et une petite chaîne dissuadant mollement de passer. Un panneau pourtant : « propriéte privée, défense d´entrer ». Je lève la tête et souris :  « ARADI ». Je jette un œil derrière moi vers la maison des nouveaux riches dissimulée derrière ses remparts. Sa caméra de surveillance ne s´occupe certainement pas du paradis d´en face. J´ignore donc le panneau et entre très naturellement dans ce lieu qui s´offre à moi comme un péché inéluctable. Mon humeur sombre commence à se dissiper même si je sais que j´entre dans le jardin d´Eden d´un défunt. Une brouette abandonnée là pourrait laisser penser que les travaux vont reprendre d´un moment à l´autre. Mais plus loin, un van n´ayant pas roulé depuis des lustres arrête le temps de l´éternité à l´âge de la rouille. C´est un jardin de pierres et de coquillages dans les tons ocre, pourpre, anthracite, brun, brique que son auteur a signé sur un pan de mur : « Truc 1955 ». Ailleurs une fleur aux pétales ouverts, des chiffres mystérieux et de petits visages à l´air tribal. Il y a nombre de pots de fleurs recouverts de galets et de pierres, certains empilés de façon inversée pour former des colonnes qui s´alignent comme autant de stèles rieuses et fantaisistes. Un anneau au cercle aussi parfait que la roue sans fin chez les Bouddhistes offre une perspective nouvelle au jardin qui plante çà et là divers éléments qui se dressent vers le ciel. Une tour à la rambarde molletonnée de mousse rappelle ces tourelles médiévales qui renfermaient de belles princesses condamnées. On les imagine se pencher à la fenêtre la nuit venue, offrir leurs figures d´opale à la lune et dérouler leurs longues chevelures interminables pour que leurs prétendants grimpent les délivrer. Des escaliers, des abris, un banc, une table, des éléments dispersés témoignent d´une vie passée dont on essaie de reconstruire la forme comme un puzzle. Il nous manque plusieurs pièces et l´auteur se dissimule partout sous ces vestiges qui posent une énigme. Le vent brasse l´absence et tout semble dédier à un temps perdu : l´élément le plus explicite est un mémorial sur lequel on peut se recueillir à la mémoire de Léopold Truc et de tous ces artistes qui ont façonné leur paradis terrestre en rêvant d´éternité. Mais tous les palais n´atteignent pas l´idéal du facteur de Hauterives et ce morceau de paradis est en train de périmer, dans l´indifférence des chercheurs d´or brut, dans le mépris des spéculateurs de paradis. Dans quelques années peut-être, à la récolte des olives qui entourent le site ou lors d´une promenade chahuteuse, des enfants passeront devant ces ruines mystérieuses et souffleront, curieux, « C´est quoi ce truc ? ». Puis ils passeront leur chemin, poussés par le vent et leur maître qui leur dira « Venez voir là-bas le mur de la peste, vestige inutile mais qu´il faut connaître, ça fait partie de l´Histoire et on lui consacre trois lignes dans ce guide touristique…». Les totems de pierre de Truc, eux, se seront peut-être envolés vers leur maître, paradis perdu."


SUR LE BLOG DE LA TISSEUSE PAR CHEMINS

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Léopold Truc
Mon Paradis
Chemin des Frileuses
84220 Cabrières d'Avignon


Le livre de Catherine Gardone

"Dans les années 1990 elle découvre le "Paradis" de Léopold Truc, jardin extraordinaire à Cabrières d'Avignon. Elle ressent un sentiment d'évasion, de grande poésie, également celui aussi d'un "exotisme proche". Elle ne cesse d'y retourner pour tenter d'en exprimer toute la poésie.

Le livre "Le Paradis de Léopold Truc" imprimé en autoédition tente d'immortaliser ce Paradis, l'œuvre de L. Truc qui n'est plus."





Juillet 2017 





 (photo Google)



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