dimanche 24 juin 2018

LE MUSEE-ESPACE JEPHAN DE VILLIERS













"Dans sa civilisation, il y a des guetteurs du bord du monde, des anges de mer et porteurs d’automne, des nomades du silence. Il a même inventé une écriture. Le bestiaire, lui, est à part, fruit d’une rencontre avec des enfants non-voyants et du hasard"


















(Photos Sophie et Apolline Lepetit )


Jean-Paul Gavard-Perret nous parle de Jephan de Villiers :

Jephan de Villiers sait que  la mort prend toujours sa source là où s'assèche la vie. C’est  pourquoi afin de  s'efforcer de mourir en dansant, sa forêt des songes humides offre  une nuit épiphanique pour l’ultime chorégraphie du septième sceau. On ne s'en tirera pas vivant mais l’œuvre permet d'aimer toujours la vie contre la mort que l'on se donne et qui nous est donné. Elle permet de s’empaler à la pointe des désirs. C’est pourquoi la sculpture du créateur en ses mises en scène lutte contre le pire comme si la vie n'était qu'un leurre et la mort un Shakespeare.Qu'est-ce en effet que cette oeuvre sinon la vie secrète ? La vie séparée et parfois faussée mais aussi sacrée. La vie à l'écart de la société mais dedans parce qu'elle rappelle parfois la vie avant le jour, avant le langage. La vie vivipare, dans l'ombre, avec des voix qui tentent de recouvrer leur naissance. Jephan de Villiers reste donc un des sculpteurs les plus paradoxaux de notre époque. C’est aussi une sorte de « naturaliste » poète. Né au Chesnay en 1940, il vécut  à Londres avant de s’installer dans la forêt de Soignes près de Bruxelles. Il y trouva le premier bout de bois auquel il associa une petite tête modelée en mie de pain. Le premier « Arbonautes » naquit. Ce fut à la fois l’Eve et l’Adam ou l’Androgyne absolu d’un  monde habité depuis son arrivée de lutins, de rois, d’anges. Ce fut l’ancêtre commun à tout le peuple d’Arbonie découvert pour la première fois en France en 1992. Ce peuple nous ramène à notre origine la plus primitive et obscure et plus profonde encore que celle de « La nuit sexuelle » où selon Quignard tout part. Avec ses personnages nous sommes soumis à une sorte d’inconscient tellurique, collectif et primal et en un temps pré humain. pourtant ses gnomes connaissaient déjà l’usage du masque et de l’outil ainsi qu’une sorte d’écriture  hiéroglyphique.  Mais afin de comprendre l’œuvre il faut partir d’un grand principe. Pour Jephan de Villiers, “ce n’est pas la pomme qui tombe, c’est  l’arbre qui s’envole”.  Et ce même si son œuvre est avant de notre terre primitive, primordiale. Elle vient se porter en faux contre la vie post-moderne de plus en plus virtuelle et urbanisée. L’artiste nous ramène à une sorte de culte païen pour des cérémonies en l’honneur d’une vérité sauvage. Elle se développe - et pour reprendre le titres d’expositions de l’artiste - en « Fragments de mémoire », en  « imprévisibles rencontres » avec des « âmes-oiseaux ». Elle reste le foyer  de  « Métamorphoses nocturnes »  et de « reliquaires du bord du monde ».

Plus miroirs que masques les personnages de l’artiste créent un fantastique particulier, une science fiction qui nie autant la science que la fiction afin de nous replonger vers le feu et la légende. Son cabinet de curiosité est donc celui d’un chaman ou d’un druide étrange. Celui qui cultive des œufs sauvages et soigne les ours gardiens de son peuple des bois. Avec Jephan de Villiers  nous ne nous situons plus dans le psychique mais dans le symbolique. Ce dernier est lui aussi révulsé dans un réalisme « impraticable » que constituent ses totems. Ils perdent toute leur valeur sacrée et deviennent les colifichets – et des colis fichés. A l’inverse ils retrouvent la puissance originaire d’une imagerie transgressive. Ne refusant pas l’ornemental qu’implique tout rite et même tout travail de la pensée,  l'artiste  les détourne comme s’il protestait contre leur triple leurre : celui de la commémoration, du sacré et de la pensée. Le créateur compose une sorte de défiguration symbolique. A la croyance et à la dévotion fait place un montage où le corps vénéré est remplacé par  son image en trois dimensions. Jephan de Villiers  crée ainsi un autre type de fascination-répulsion. L’opération est violente. Certes on pourrait gloser sur les sens combinés des formes utérines et phalliques et toujours convertibles de marques de mort en celles de la vie. Mais l’important demeure l’affolement que propose une telle imagerie. L’artiste propose une hérésie majeure qui renvoie la gloire céleste non à un en dessus mais à un en deçà. Exit l’Assomption. Nous sommes placés au sein de la réversion et du chantournement. Nous sommes portés vers le plus lointain et non dans l’au-delà.  Mais ce lointain est proche puisqu’il s’agit du lieu où nos monstres dorment mais comme le font les plus dangereux des espions : les taupes dormantes. Ses personnages semblent dialoguer et nous observer. Ils s’amusent de nous, de nos peurs qu’ils symbolisent plus qu’ils ne les alimentent. Jephan de Villiersrécuse toute perception administrative ou gouvernementale du monde à travers le sien et au sein de ses foyers épars et en suspens dans l'espace. Arrivant de nulle part et toujours en partance ses personnages procèdent d'eux-mêmes et de presque rien. 

Une telle œuvre reste le lieu par excellence de la mutation. Les questions qu'elle  pose sont les questions de la composante  humaine ouverte vers l'avenir mais bouclée aussi par son passé. Et la représentation qu'elle  offre est celle du jeu entre nos forces et nos faiblesses, entre le pouvoir et l'esclavage sous toutes ses formes. Force, gravité, ironie, dérision tout est là. Jephan de Villiers redonne envie à ceux qui en auraient perdu l'habitude d’aller en leurs forêts les plus obscures. Manière de nous rappeler au cœur d'une sorte de cérémonie ce qu'il en est de notre destin, ce qu'il en est de la vie (et de la mort), ce qu'il en est des autres, bref ce qu'il en est de nous-mêmes. L’artiste libère l'esprit de tout ce qui l'encombre et met en lumière le  royaume des ombres. Ainsi ses rois seront peut-être nus  mais ils ont encore beaucoup à nous apprendre dans leur poésie aussi étrange que familière. Ils nous rappellent que tout est à reprendre à partir de ce lieu étrange et familier, de cette avant-scène qui est aussi un arrière-pays dans lequel s'entassent parfois des vieilleries mais où parfois - à mesure que la scène se vide - tout arrive. Plus particulièrement lorsque se dévide la masse d'énigmes qui nous clouent à ce que nous n'avons jamais osé devenir. Ainsi, et dans le meilleur des cas, dans cette confrontation plus spectrale que spectaculaire, le corps sort de ses abris, l'identité se déploie. L’artiste nous rappelle que comme des bêtes nous poursuivons une proie imaginaire afin de savoir ce qu'il est en est du monde, des autres et de nous-mêmes. Le vide joue ainsi avec le plein. En résonances.  Le résultat est plénier. Et tout semble indiquer qu’on n’entrera pas dans ce monde sans être disparus. En conséquence face aux artistes désespérés qui sont  les plus sots (et il en connaît d'immortels qui le laissent sans mots…)De Villiersreste un des rares à mettre la poésie sous n'importe quoi - même sous le cul - et de prouver en conséquence qu'il n'y a aucun champ (ou buisson) qui puisse être interdit à la sculpture.  La sienne n’est pas faite pour monter aux cieux mais s'envoyer en l'air. On a toujours le temps ensuite de redescendre sur terre puis d'y être enseveli. Avec les cons bien sûr. Nos semblables. Nos frères (sans oublier nos sœurs et leurs mères aussi). Mais avant l’artiste propose ses grèves de la fin.


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ÉTÉ 2017

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