Je viens de terminer un livre indispensable " LA LÉGENDE DE LA MORT " d'ANATOLE LE BRAZ
HUIT INTERSIGNES POUR LA MÊME MORT
Toutes les fois où il est mort quelqu'un des miens, j'en ai été averti par un intersigne. Mais les intersignes qui m'ont le plus frappée, ce sont ceux qui précédèrent la mort de mon mari. J'en eus de toutes sortes durant les sept mois que dura sa maladie.
Un soir que j'avais veillé un peu plus tard, je m'étais endormie de lassitude, sur le banc, auprès du lit. Je fus réveillée par un bruit semblable à une fenêtre qui s'ouvre. Il venait de me passer sur la figure un souffle humide et frais, comme s'il sortait d'une cave. Je me levai précipitamment. A ma grande surprise, la fenêtre était hermétiquement close. J'allai à la porte et je l'ouvris. Il faisait une nuit claire, pleine d'étoiles. Mon lin était toujours sur la haie et les arbres du courtil se tenaient immobiles. Pas une ombre de vent. Je ne m'inquiétais pas trop de ce premier fait, si mystérieux qu'il me parut. A quelques jours de là, à la tombée du jour, je filais, sur le pas de la porte, en compagnie d'une voisine. Tout à coup, j'entendis appeler mon mari qui étais couché à l'autre bout de la maison, dans un lit près de l'âtre.
-Que te faut-il ? lui demandais-je.
Il ne me répondit point, et je vis qu'il dormait profondément, la tête tournée du coté de la muraille.
Je revins vers la voisine :
-Est ce que vous n'avez pas entendu Lucas m'appeler tout de suite ?
-Si bien.
-Comment expliquer cela ? il dort maintenant d'un sommeil de blaireau...
Un mois ou deux s'écoulèrent. Mon homme n'allait ni mieux ni pis. Cette nuit là, je commençais à prendre mon repos, quand j'entendis dans le grenier quelqu'un qui marchait avec précautions. Puis ce furent comme des chuchotements entre plusieurs personnes. Puis un fracas de planches qu'on remue. Enfin des coups répétés d'un marteau enfonçant des pointes.
Tout cela était bien extraordinaire car il n'y avait dans ce grenier que quelques balles d'avoine, des menus fagots, mais pas une seule planche.
Je criai à haute voix :
-Qui est-ce donc qui fait tant de bruit là-haut, pour empêcher des chrétiens de dormir ?
Je fis ensuite le signe de la croix et j'attendis...Mais dès que j'eus parlé, le bruit cessa.
Le lendemain, j'allai à la rivière laver les draps en empruntant un étroit sentier bordé d'aulnes quand j'entendis un pas derrière moi, et aussi une respiration haletante. Je reconnu distinctement le pas de mon mari, le pas qu'il avait du temps qu'il était bien portant, quand il rentrait de sa journée dans une des fermes d'alentour.
Je me retournai: Personne!
Je passai ma journée au lavoir. Au retour, je n'entendis plus rien, mais le faix de linge que je portais se mit à peser sur mes épaules d'un tel poids qu'on aurait juré que la toile s'était changée en plomb. J'ai compris ce que cela signifiait. Parmi ces draps, se trouvait celui qui devait servir trois jours après à ensevelir mon pauvre homme. Car trois jours durant, les signes se succédèrent de façon presque ininterrompue. Une nuit c'était la porte qui battait avec violence, une rumeur de foule pénétrant dans la maison, des pas nombreux montant l'escalier et le redescendant. La nuit suivante, c'étaient des sonneries lointaines de cloches, une lumière brûlant d'une flamme pâle au chevet du lit puis des chants de prêtre qui s'en venaient par les champs de la direction du bourg.
Mais ce fut la dernière nuit qui fut la plus terrible. Mon mari, ne paraissant pas plus mal, m'avait défendu de veiller. Quand j'eus constaté qu'il reposait, j'essayais de m'assoupir à mon tour. Mais à ce moment-là, les cahots d'une charrette se firent entendre. C'était d'autant plus surprenant qu'aucune voie charretière ne venait jusqu’à la maison. Le cri de l'essieu mal graissé se faisait de plus en plus distinct. Je l'entendis bientôt tout contre le pignon. Je me levai sur les genoux. Dans le mur auquel s'appuyait le bois du lit, il y avait une lucarne. Je regardai par cette lucarne mais je ne vis rien que l'aire toute blanche au clair de lune et les formes noires des arbres dans les fossés des champs. L'essieu continuait pourtant de grincer et la charrette de cahoter. Elle fit le tour de la maison une fois puis une deuxième puis une troisième. Au troisième tour, un coup formidable s'abattit sur la porte. Mon mari se réveilla en sursaut :
-Qu'y-a t-il ?
Je ne sais pas.
Mais je grelottais d'épouvante. Il faut croire qu'on ne meurt pas de frayeur, puisque j'ai survécu à cette nuit là.
Mon homme trépassa le lendemain, qui était un samedi, sur le coup de dix heures.
(photo Google)
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