jeudi 20 juin 2013

LA BOHEME DE LUCIEN FAVREAU : L' INTERIEUR DE LA MAISON

Voici un texte trouvé sur un blog que j'aime beaucoup, celui de GUENOLA " LA TISSEUSE PAR CHEMINS", elle  nous raconte sa rencontre avec La BOHÈME :


..." Ma voiture, elle, enregistre les kilomètres comme autant de rides qui renseigneront de sa sénilité. Et m´informe que nous atteignons bientôt le village d´Yviers où je viens contempler la maison d´un autre, une maison où je ne déménage pas, où je ne déposerai pas mes cartons. Ce n´est pas une maison de passage, le nouveau défunt que je viens rencontrer y est né et y a vécu toute sa vie, peut-être y est-il mort aussi, « dans cette demeure il demeure »
De l´autre côté de la petite route, en face de la maison, il avait façonné sa sépulture sous l´augure de ces trois maîtres : l´architecture, la maçonnerie et l´artisanat. C´est là qu´ont été dispersées ses cendres, sous les amandiers. Les constructeurs de rêve brut ne sont pas des nomades. Il est presque étonnant finalement que je m´intéresse autant à ces sédentaires qui font de leur maison l´alcôve de leurs fantasmes de grandeur, la remplissant jusqu´au moindre recoin, ne laissant aucune parcelle respirer, moi qui n´aspire pourtant qu´au nomadisme et au minimalisme. Peut-être que c´est précisément leur différence qui me fascine, cette liberté qu´ils prennent d´exhiber leur fantaisie et cette impulsion créatrice qui les habite jusqu´à l´obsession. Le jardin de Lucien Favreau est peuplé de sculptures de ciment : la tombe « originelle » de son chien Zappy, son portrait, des hommages (à son père mort à Verdun, à Coluche), des colonnes incrustées de morceaux de verre coloré, des déesses rurales, des animaux, des personnages de différentes tailles…La maison, elle, est colorée : sur la façade un relief de feuilles de vigne sculptées donne un ton bleu-vert et accueille des fresques évocatrices : Adam et Eve mettent en scène le message libertaire « Faites l´amour, pas la guerre », Charlot apparaît dans le paysage tranquille du village charentais et côtoie le facteur Cheval, une pécheresse nue qu´un serpent maléfique enlace à un arbre, une fermière portant un panier, prête à aller cueillir les haricots ou les cerises. Un portrait sur fond rouge représente peut-être la mère de l´artiste, veuve de guerre. Les deux guerres hantent la demeure, à l´intérieur une large fresque imite les scènes bibliques du jugement dernier pour représenter les victimes de Treblinka, un tableau sombre parle de la fin du monde, Thanatos flirte constamment avec Eros, le drame avec l´humour et la poésie : Mireille Mathieu triomphe d´Hitler, des femmes nues dans des poses lascives s´apprêtent à se baigner tandis qu´en face, une meute de chiens s´ensanglantent. Quelques photos familiales trônent sous le portrait peint de ses parents dissociés, son père en soldat. L´univers de Lucien Favreau mêle l´éternel à l´éphémère, les mythes (Cerbère, le dernier voyage…) à l´air du temps, Marylin Monroe, Georges Brassens, Donald ou la vache-qui-rit…et passe de la notoriété universelle à la notoriété locale (son voisin coureur de jupons…).  Sa fille, qui se trouvait dans la maison ce jour-là, me fait faire le tour du propriétaire avec volubilité et naturel, me parle de la difficulté d´entretenir toutes les sculptures et attire mon attention vers la photo du chien Zappy qui fut l´élément déclencheur de cet univers peuplé d´être imaginaires ou défunts. Puis elle me montre une inscription sur fond rouge « De l´homme on voulut en faire un loup et on n´en fit qu´un chien » en ajoutant en riant « Il était un peu libertaire, mon père… ! ». N´ayant pas réussi à la joindre avant ma visite, je craignais de trouver la porte close ou de la déranger, mais elle nous fait passer d´une pièce à l´autre en ouvrant grand les volets verts et n´est pas avare de récits. Ma fille, qui s´était réveillée de mauvaise humeur de sa sieste et ne voulait pas descendre de la voiture, s´est enfin calmée et se promène avec bonheur entre toutes ces scènes colorées. Je respire enfin car lorsque je découvrais les sculptures du bord de route et les photographiait, ses protestations et ses cris de rage mêlés de pleurs ricochaient sur les statues de pierre comme autant d´échos en crescendo. « Je veux pas m´arrêter, je veux continuer ! » – « Mais enfin mon loup, on est à la Bohème, regarde tous ces dessins et tous ces personnages ! » – « Nan ! ». J´ai souvent constaté que l´imaginaire des enfants et celui des adultes coïncidaient rarement. On se trompe en pensant que nos représentations fantaisistes de la réalité ou de nos rêves les plus saugrenus les séduiront et leur parleront. Je me souviens ainsi d´une visite à La Fabuloserie où j´avais promis à mes neveux de « voir des monstres » et, aux pieds des créatures terribles et farfelues d´Alain Bourbonnais, de les entendre me dire « Bon mais alors ils sont où les monstres ? ». Finalement, un petit médaillon représentant la petite fille de Lucien Favreau baissant son pantalon et montrant ses fesses attire le regard de ma fille et l´intrigue. Elle l´observe longtemps puis se tourne vers moi en riant «Elle veut faire pipi ! ». Devant la porte d´entrée, le joueur d´Hamelin lui plaît également car elle reconnaît l´instrument : « Moi aussi j´ai une flûte à la maison ! ».
J´essaie d´imaginer Lucien avec sa salopette bleue, quittant son rôle de plâtrier compagnon du devoir et continuant pourtant de plonger ses mains dans des matériaux de construction pour raconter cette fois ses rêves. Quand elle parle de lui, sa fille est enjouée et ses mots sont plein de tendresse et d´admiration. Je souris quand elle me dit « il a dû arrêter tout ça vers la fin de sa vie à cause du bobo qu´il avait à la main » et je me souviens avoir lu que son père était en effet  atteint de la gale du ciment, ce qui l´avait obligé à renoncer à la fresque familiale qu´il voulait ajouter à la façade. Drôle de bobo pour un bâtisseur, une sorte de punition condamnant cet amour sans borne pour les ciments qui sèment des empreintes durables de notre passage sur terre. Cela me fait penser à mon allergie au pollen, moi qui aime plus que tout être en pleine nature. Je le prends aussi à chaque fois comme une forme de châtiment, m´interdisant de respirer à plein poumons l´air du printemps, des arbres et des fleurs en saison des amours. Avant de repartir, on voit repasser un homme à casquette sur son tracteur et je plaisante avec la fille Favreau en lui racontant que la première fois où il était passé, alors que ma fille hurlait sa colère pendant que je photographiais les statues, il m´avait lancé un « C´est ben beau tout ça, hein ! ». J´en profite pour lui demander comment son père était perçu au village. « Très bien, il avait beaucoup d´amis, sa maison était une curiosité simplement, les gens aimaient bien venir la voir » – « Mais vous savez, ajoute t- elle pendant que j´installais ma fille dans la voiture, si vous voulez voir une autre maison insolite dans le village, ça serait bien la maison de ce vieux garçon qui vient de passer sur son tracteur. Il vit encore avec ses parents dans une ferme qui n´a ni eau courante ni électricité, comme au XIXème siècle ! ».
Je repars en imaginant la vie de cette famille et la vie de mes parents enfants dans ces fermes « du XIXème siècle » avec les toilettes au fond du jardin et les prières à la bougie le soir..." 



















(Les 5 dernières photos ont été prises par Apolline Lepetit)


LE BLOG DE GUENOLA  (pour lire le texte dans sa totalité)

D'AUTRES PHOTOS

LES GRIGRIS DE SOPHIE ET LUCIEN FAVREAU

(cliquer sur les liens)

La Bohème,
Hameau de Lavaure, 
16210 Yviers, 
tél. 05 45 98 09 49
Visite sur rendez-vous.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire