Voici un texte trouvé sur un blog que j'aime beaucoup, celui de GUENOLA " LA TISSEUSE PAR CHEMINS", elle nous raconte sa rencontre avec La BOHÈME :
..." Ma voiture, elle, enregistre les kilomètres comme autant de rides qui renseigneront de sa sénilité. Et m´informe que nous atteignons bientôt le village d´Yviers où je viens contempler la maison d´un autre, une maison où je ne déménage pas, où je ne déposerai pas mes cartons. Ce n´est pas une maison de passage, le nouveau défunt que je viens rencontrer y est né et y a vécu toute sa vie, peut-être y est-il mort aussi, « dans cette demeure il demeure »…
(Les 5 dernières photos ont été prises par Apolline Lepetit)
LE BLOG DE GUENOLA (pour lire le texte dans sa totalité)
D'AUTRES PHOTOS
LES GRIGRIS DE SOPHIE ET LUCIEN FAVREAU
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La Bohème,
Hameau de Lavaure,
16210 Yviers,
tél. 05 45 98 09 49
Visite sur rendez-vous.
..." Ma voiture, elle, enregistre les kilomètres comme autant de rides qui renseigneront de sa sénilité. Et m´informe que nous atteignons bientôt le village d´Yviers où je viens contempler la maison d´un autre, une maison où je ne déménage pas, où je ne déposerai pas mes cartons. Ce n´est pas une maison de passage, le nouveau défunt que je viens rencontrer y est né et y a vécu toute sa vie, peut-être y est-il mort aussi, « dans cette demeure il demeure »…
De l´autre côté de la petite route, en
face de la maison, il avait façonné sa sépulture sous l´augure de ces
trois maîtres : l´architecture, la maçonnerie et l´artisanat. C´est là
qu´ont été dispersées ses cendres, sous les amandiers. Les constructeurs
de rêve brut ne sont pas des nomades. Il est presque étonnant
finalement que je m´intéresse autant à ces sédentaires qui font de leur
maison l´alcôve de leurs fantasmes de grandeur, la remplissant jusqu´au
moindre recoin, ne laissant aucune parcelle respirer, moi qui n´aspire
pourtant qu´au nomadisme et au minimalisme. Peut-être que c´est
précisément leur différence qui me fascine, cette liberté qu´ils
prennent d´exhiber leur fantaisie et cette impulsion créatrice qui les
habite jusqu´à l´obsession. Le jardin de Lucien Favreau est peuplé de
sculptures de ciment : la tombe « originelle » de son chien Zappy, son
portrait, des hommages (à son père mort à Verdun, à Coluche), des
colonnes incrustées de morceaux de verre coloré, des déesses rurales,
des animaux, des personnages de différentes tailles…La maison, elle, est
colorée : sur la façade un relief de feuilles de vigne sculptées donne
un ton bleu-vert et accueille des fresques évocatrices : Adam et Eve
mettent en scène le message libertaire « Faites l´amour, pas la
guerre », Charlot apparaît dans le paysage tranquille du village
charentais et côtoie le facteur Cheval, une pécheresse nue qu´un serpent
maléfique enlace à un arbre, une fermière portant un panier, prête à
aller cueillir les haricots ou les cerises. Un portrait sur fond rouge
représente peut-être la mère de l´artiste, veuve de guerre. Les deux
guerres hantent la demeure, à l´intérieur une large fresque imite les
scènes bibliques du jugement dernier pour représenter les victimes de
Treblinka, un tableau sombre parle de la fin du monde, Thanatos flirte
constamment avec Eros, le drame avec l´humour et la poésie : Mireille
Mathieu triomphe d´Hitler, des femmes nues dans des poses lascives
s´apprêtent à se baigner tandis qu´en face, une meute de chiens
s´ensanglantent. Quelques photos familiales trônent sous le portrait
peint de ses parents dissociés, son père en soldat. L´univers de Lucien
Favreau mêle l´éternel à l´éphémère, les mythes (Cerbère, le dernier
voyage…) à l´air du temps, Marylin Monroe, Georges Brassens, Donald ou
la vache-qui-rit…et passe de la notoriété universelle à la notoriété
locale (son voisin coureur de jupons…). Sa fille, qui se trouvait dans
la maison ce jour-là, me fait faire le tour du propriétaire avec
volubilité et naturel, me parle de la difficulté d´entretenir toutes les
sculptures et attire mon attention vers la photo du chien Zappy qui fut
l´élément déclencheur de cet univers peuplé d´être imaginaires ou
défunts. Puis elle me montre une inscription sur fond rouge « De l´homme
on voulut en faire un loup et on n´en fit qu´un chien » en ajoutant en
riant « Il était un peu libertaire, mon père… ! ». N´ayant pas réussi à
la joindre avant ma visite, je craignais de trouver la porte close ou de
la déranger, mais elle nous fait passer d´une pièce à l´autre en
ouvrant grand les volets verts et n´est pas avare de récits. Ma fille,
qui s´était réveillée de mauvaise humeur de sa sieste et ne voulait pas
descendre de la voiture, s´est enfin calmée et se promène avec bonheur
entre toutes ces scènes colorées. Je respire enfin car lorsque je
découvrais les sculptures du bord de route et les photographiait, ses
protestations et ses cris de rage mêlés de pleurs ricochaient sur les
statues de pierre comme autant d´échos en crescendo. « Je veux pas
m´arrêter, je veux continuer ! » – « Mais enfin mon loup, on est à la
Bohème, regarde tous ces dessins et tous ces personnages ! » –
« Nan ! ». J´ai souvent constaté que l´imaginaire des enfants et celui
des adultes coïncidaient rarement. On se trompe en pensant que nos
représentations fantaisistes de la réalité ou de nos rêves les plus
saugrenus les séduiront et leur parleront. Je me souviens ainsi d´une
visite à La Fabuloserie où j´avais promis à mes neveux de « voir des
monstres » et, aux pieds des créatures terribles et farfelues d´Alain
Bourbonnais, de les entendre me dire « Bon mais alors ils sont où les
monstres ? ». Finalement, un petit médaillon représentant la petite
fille de Lucien Favreau baissant son pantalon et montrant ses fesses
attire le regard de ma fille et l´intrigue. Elle l´observe longtemps
puis se tourne vers moi en riant «Elle veut faire pipi ! ». Devant la
porte d´entrée, le joueur d´Hamelin lui plaît également car elle
reconnaît l´instrument : « Moi aussi j´ai une flûte à la maison ! ».
J´essaie d´imaginer Lucien avec sa
salopette bleue, quittant son rôle de plâtrier compagnon du devoir et
continuant pourtant de plonger ses mains dans des matériaux de
construction pour raconter cette fois ses rêves. Quand elle parle de
lui, sa fille est enjouée et ses mots sont plein de tendresse et
d´admiration. Je souris quand elle me dit « il a dû arrêter tout ça vers
la fin de sa vie à cause du bobo qu´il avait à la main » et je me
souviens avoir lu que son père était en effet atteint de la gale du
ciment, ce qui l´avait obligé à renoncer à la fresque familiale qu´il
voulait ajouter à la façade. Drôle de bobo pour un bâtisseur, une sorte
de punition condamnant cet amour sans borne pour les ciments qui sèment
des empreintes durables de notre passage sur terre. Cela me fait penser à
mon allergie au pollen, moi qui aime plus que tout être en pleine
nature. Je le prends aussi à chaque fois comme une forme de châtiment, m´interdisant de
respirer à plein poumons l´air du printemps, des arbres et des fleurs
en saison des amours. Avant de repartir, on voit repasser un homme à
casquette sur son tracteur et je plaisante avec la fille Favreau en lui
racontant que la première fois où il était passé, alors que ma fille
hurlait sa colère pendant que je photographiais les statues, il m´avait
lancé un « C´est ben beau tout ça, hein ! ». J´en profite pour lui
demander comment son père était perçu au village. « Très bien, il avait
beaucoup d´amis, sa maison était une curiosité simplement, les gens
aimaient bien venir la voir » – « Mais vous savez, ajoute t- elle
pendant que j´installais ma fille dans la voiture, si vous voulez voir
une autre maison insolite dans le village, ça serait bien la maison de
ce vieux garçon qui vient de passer sur son tracteur. Il vit encore avec
ses parents dans une ferme qui n´a ni eau courante ni électricité,
comme au XIXème siècle ! ».
Je repars en imaginant la vie de cette
famille et la vie de mes parents enfants dans ces fermes « du XIXème
siècle » avec les toilettes au fond du jardin et les prières à la bougie
le soir..."
(Les 5 dernières photos ont été prises par Apolline Lepetit)
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