vendredi 3 octobre 2014

CHEZ GERARD SENDREY A BEGLES

Un jour on ose, un jour on téléphone pour prendre rendez-vous et on regrette tout simplement de ne pas avoir osé plus tôt ....

Été 2014 ... rencontre avec GÉRARD SENDREY, rencontre avec celui qui est à l'origine de ce musée que j'aime tant, celui de la Création Franche à Bègles ...

" Rien n'est plus important pour moi que la relation humaine" dit Gérard dans le film que lui a consacré Christophe Gatineau en 2006 .
Ce ne sont pas là de vaines paroles car nous fûmes accueillies avec enthousiasme et générosité .
Écouter Gérard parler de ses créations, des artistes qu'il a côtoyés, mais aussi de la vie en général, de la vieillesse en particulier, sans fard,  est quelque chose de réjouissant .
Gérard fait partie de ces personnes qui donnent envie de vieillir ou plus exactement qui calment la peur de vieillir .
Il dit " j'ai choisi d'être heureux et je m'acharne à être heureux" .
 Lorsqu'en lui écrivant je lui ai dit, avoir pensé à lui avec cette phrase de Jacques Prévert :
"Et si on essayait d'être heureux, ne serait-ce que  pour donner l'exemple ?" Voici ce que répondit Gérard :
 " Je veux seulement apporter une modification importante à la formule de Prévert.   Être heureux n'est pas pour moi un essai mais un état résultant d'un choix bien déterminé. Comme je vous l'ai dit, je considère la vie, avec tous les avatars inévitablement liés à la condition humaine, comme une aventure passionnante que je suis heureux d'avoir le privilège de pouvoir mener aussi longtemps qu'elle le voudra bien.  Au-delà les difficultés que j'ai à surmonter, comme tout un chacun et les grandes peines que je garde présentes en moi, je reste heureux d'exister et curieux de savoir ce que la vie va sortir de son grand sac plein de surprises dont il convient de bien examiner toutes les potentialités."
"La vie est cependant un extraordinaire privilège à déguster dans toute la mesure du possible comme un inexplicable cadeau dont le caractère, a priori temporaire, mérite la plus bienveillante attention. Aimer la vie et s'appliquer à lui rendre honneur, à se comporter de telle sorte à être en harmonie en soi avec elle, essayer de ne pas constamment "cherche midi à quatorze heures" , je crois qu'elle aime bien qu'on l'aime, la vie..."
Et face à une autre citation :   " Il n'y a pas de hasard il n'y a que des rendez vous" . La réponse de Gérard :
" Non, je ne connaissais pas la phrase d'Eluard. Je n'en trouve pas la conclusion assez péremptoire en tant qu'affirmation. Je dirai pour ce qui me concerne : il n'y a pas de hasard. Il n'y a que la vie qui en fait à sa guise...  Je ne prétends évidemment pas aller ainsi au delà-la pensée d'Eluard mais je ressens seulement le besoin de l'exprimer plus précisément" .

" Le grand témoin et l'acteur principal de la Création Franche" est en retraite et se consacre, plus encore qu'avant,  aux dessins, à la peinture et à ses amis .Il ne se considère pas comme un artiste " je préférerais me dire créateur mais je me situe plutôt comme un chercheur. Contrairement à Picasso qui disait : " je ne cherche pas, je trouve", je déclare pour ce qui me concerne : "je ne trouve pas, je cherche" répond il à Joe Ryczko dans le N° 43 des Friches de l'Art .
" Moi je suis un explorateur, je vais à la recherche de choses qui existent déjà ".
Cet été je n'ai pas vu Gérard au travail, en cela le film de Christophe Gatineau est passionnant puisqu'il montre différentes "périodes" de l’œuvre de Gérard Sendrey :  "La Ré-création"du monde , une exposition où les dessins n'étaient pas encadrés mais punaisés pour être en contact direct avec le visiteur ,
une autre  série, celle des petits bonshommes réalisés avec la main droite et la main gauche " très chiant mais très excitant " à faire , les dessins à l'aveugle parfois aquarellés ....

Gérard Sendrey aborde aussi sa relation aux artistes. " L'individu est pour moi primordial par rapport à l’œuvre. J'ai toujours considéré que l'être humain est devant l’œuvre et que c'est la relation entretenue avec lui qui ouvre la porte pour la meilleure appréciation de son travail " c'est un sentiment que je partage totalement et qui guide mes périples d'Art Brut ....
Gérard insiste aussi sur son besoin d'être dérangé, surpris par un artiste " si ce n'est pas dérangeant, ce n'est pas de la création" .

Cet homme qui a quitté l'école à 13 ans, qui souffre d'agoraphobie, " cet explorateur en chambre" comme il aime se définir a  été capable de rencontrer des centaines d'artistes, d'organiser des dizaines d'expositions, d'être à l'origine d'une collection de 13 000 œuvres ( presque entièrement des dons), cet homme qui se considère avec une étonnante modestie  comme "un outil" a réussi à atteindre l'impossible !













 Et ce texte de Gérard pour expliquer ses dernières créations  :

"Je suis en train de me doucher et alors que je pensais à tout autre chose, mon regard voit dans la mousse savonneuse au bord de l’eau, la forme très explicite d’un cygne assigné à la fonction de drakkar. Un cygne viking très évidemment voué au transport maritime. Sa tête et son cou forme l’étrave du navire, sa queue la proue. Je regarde attentivement. Je note mentalement et je décide sans attendre de mettre Léda à la rame. Mais après quelques dessins, elle sort de cette condition  de servitude pour devenir l’étrave du bateau dont le cygne devient alors la proue. Et s’y embarquent des passagers.  La série est lancée. La danse a fait place à la navigation. Une aventure au départ suggérée par la douche et dont les diverses approches surviennent au fil des dessins, dans ce contexte qu’Anton Ehrenzweig appelle le scanning et la disruption. Quand l’erreur peut-être une proposition créative. J’en aurai loupé des trucs si je ne me douchais pas tous les jours.  Encore que je ne soies pas systématiquement, loin de là, à l’étude des fantaisies de l’eau savonneuse.  Ce sont des images qui s’imposent sans que je les attende. La fulgurance d’une proposition aperçue par un bref regard."








 *** A LIRE ET REGARDER POUR MIEUX CONNAITRE GÉRARD SENDREY ....

 Tout d'abord deux textes écrits par Gérard :

 " Je fus, tout au long de ma vie, jusqu'à une période relativement récente, d'abord tracassé puis de plus en plus terrorisé, longtemps par la peur de la mort précoce, à l'instar de mon père dont j'assistais seul, moi déjà en adolescence difficile, à la mort soudaine. Après l'apaisement de cette crainte obsessionnelle, devenue injustifiée par l'atteinte en moi d'un âge bien mûr, la crainte d'un vieillissement naturellement sénile s'installa en remplacement de la peur de la mort. C'est dans mes années cinquante personnelles que se manifesta cette anxiété au sujet de la perte de capacités inévitablement liées à l'évolution de l'être. Comment exister sans l'espoir, plus ou moins justifié, de pouvoir réaliser des désirs me semblant alors l'essence de la vie ? Que deviendrais-je quand je ne serai plus habité par des hypothèses de rencontres propres à satisfaire des pulsions  originelles quelque part en nous présentes comme l'essence de la vie ? Je pense que je n'étais pas alors une exception à la règle concernant cette appréhension d'un manque fondamental mettant certainement en cause l'envie de vivre. Comment dépasser l'absence de désir de relations physiques répondant objectivement de façon pragmatique à la raison d'être initiale de l'incarnation de la vie, dont nous sommes une manifestation parmi tant d'autres concrétisées au milieu d'un nombre indéchiffrable de possibilités inaccomplies. En fait, quelles qu'en soient les inévitables et même douloureuses vicissitudes, elle est un extraordinaire et passionnant privilège. A mon âge bien avancé, je découvre, chaque jour plus étonnamment, qu'elle est un perpétuel enrichissement au prix d'un constant apprentissage. Je m'autorise à dire que je déguste aujourd'hui cette alliance d'un apaisement de mes besoins et la constance de mon attachement à la vie comme le résultat inattendu et fabuleux d'une sorte de libération qui a transformé les désirs d'antan en attirance d'aujourd'hui.  Mais je découvre le grand plaisir d'être passé du rôle d'acteur à la condition plus tranquille de spectateur. Je reste aussi curieux  que dans ma plus jeune enfance de ce qui peut se passer en moi et tout autour, de près ou de loin. Je suis de plus en plus friand de chaleur humaine, ma nourriture maintenant prioritaire. Toujours aussi intéressé par les rencontres de personnes dont j'apprécie fort la présence, souvent l'émouvante beauté que je déguste sans extrapolations d'ordre physique, sans autre projet que le partage de cette relation que l'on pourrait dire platonique mais qui me comble de plaisir. Oui, décidément, chaque âge à ses particularités, ses atouts dont il convient de les apprécier comme de nouveaux cadeaux de la vie. Ainsi, ce grand âge dont je redoutais tellement les déficiences,  s'avère le meilleur de ma vie. Quand un ami me demande si je souhaite encore quelque chose dans ce prolongement de mon existence, je réponds très vivement : Oh oui !!! Et comme il me demande quoi, je précise avec un grand sourire : "que ça dure !!!" Je me plais à donner connaissance de cet état d'âme parce que je sais que la peur en moi durant la période de passage de la fin de la jeunesse aux débuts de la vieillesse, est très généralement ressentie par le plus grand nombre d'autres lors de cette assez longue transition. Je souhaite leur dire, en pensant qu'ils peuvent croire à ma sincérité, qu'il ne faut pas confondre le grand âge avec une obligatoire déchéance et que l'amour de la vie,  en s'affirmant comme une position personnelle, est indépendant des discours ambiants. J'ai dit durant un certain temps : je suis heureux. C'était un choix, un refus d'être malheureux. Aujourd'hui j'ai amélioré la formule et, quelles que soient les circonstances, je l'affirme honnêtement : je suis heureux d'être en vie. Sur le plan spirituel, je suis profondément croyant mais sans savoir à quoi.  Je ressens en moi et tout alentour dans l'infini, une dimension de la vie  bien au-delà le conditionnement nécessaire pour l'existence en société. Alors, j'ai adopté la formule de Socrate : "Tout ce que je sais c'est que je ne sais rien." Mais je me permets d'ajouter que je trouve cette position d'esprit confortable et que je ne souhaite pas en changer. J'aurais tendance à penser  que cela va de pair avec mon envie de rester "un imbécile heureux". 

Et une autre réflexion :

"...ma conviction de ne rien savoir  ainsi que la croyance en moi à je ne sais quelle force supérieure que j’appelle Dieu, comme on me l’a appris quand j’étais tout petit et que je tends résolument  à assimiler à la vie. Cette force créatrice en tout et possiblement  de tous faits et gestes en tous instants manifestés par ses diverses incarnations, tous les humains compris ,  tout pareil  chez celles et ceux qui se croient, qui se veulent, créateurs alors qu’ils sont en permanence eux-mêmes créés par la vie qui procède à sa guise à leur évolution. Quand je parle créateurs  il s’agit évidemment de ce vaste ensemble réunissant auteurs et amateurs de ces concrétisations de l’inconnu que la vie décide de donner à voir.  Je disais, il y a peu de temps encore, que j’étais un outil au service de la vie. Mais un outil est une forme statique alors que nous sommes voués à une perpétuelle transformation.  Même si nous avons le sentiment de rester nous-mêmes  dans notre parcours vital, il est indéniable que des changements profonds se produisent en nous au fil du temps, ne serait-ce que dans notre façon de considérer la vie au quotidien.
Je ne prétends pas aborder ainsi une vision de l’existence non encore établie. Je n’ai eu aucune éducation philosophiques et mes découvertes à titre personnel font déjà partie des connaissances avérées de nombreux prédécesseurs les ayant déjà révélées il y a des siècles et des siècles. Il ne s’agit que de mon propre parcours . J’ai récemment réalisé, en fonction de circonstances particulières qu’il n’y a qu’un seul créateur au monde : la vie. Nous ne sommes que les produits des exercices qu’elle nous amène à faire sans que nous en connaissions les raisons, dans la mesure où cette considération est en usage ailleurs que dans la société humaine. La raison a t’elle quelque chose à voir avec la création ?  Personne ne m’a posé aussi abruptement la question mais je réponds quand même : non.
Picasso aurait dit quelque chose comme : « l‘art, en la déguisant, permet de supporter la vérité. »  D’abord, quelle vérité ?  Mais surtout l’art, pas la création.  La création, au sens essentiel du terme, ne déguise rien. Elle donne à voir l’inconnu."


Le N° 43 des Friches de l'Art


Le film de Christophe Gatineau





GÉRARD SENDREY ET LES GRIGRIS DE SOPHIE 

(cliquer sur le lien)



1 commentaire:

  1. Très intéressant ce portrait de Gérard Sendrey. Je connaissais, bien sur, de réputation le Musée de la Création Franche, mais pas son créateur.
    Merci sophie
    Jean-louis Bigou

    RépondreSupprimer