jeudi 19 avril 2018

LES DISQUES DE GILLES MANERO
























Photos Sophie et Apolline Lepetit

Pour accompagner nos photos un texte écrit par Anne Billon :


Gilles Manero

Gilles Manero est un homme discret. Perdu dans ses pensées, le regard sombre, la tête ailleurs peut-être. Il lui arrive de s’absenter, d’oublier votre présence et de couper court à une conversation sans même en être conscient. Parti, loin déjà, vers d’autres horizons, vers d’autres aventures, retournant dans sa tête des idées qui verront le jour dans son prochain dessin. Plus la peine pour vous d’essayer de franchir la porte de son esprit en ébullition. Ébullition calme, rêveuse. Il ne vous entend plus, ni même ne vous voit, les yeux tournés vers le spectacle intérieur qu’il se joue à lui-même, à l’abri des regards indiscrets. Idées qui fusent sans crier gare. Et l’entraînent vers tous les chemins susceptibles de rendre compte de ce foisonnement : la photographie tout d’abord. Parti dans la création, le regard photographique, le cadrage en bandoulière, à la recherche des lieux désertés par l’homme. Déserrance, vacance, solitude, désolation, déréliction, la place est toute entière laissée à la lumière, à l’espace de créer. Sentiment d’abandon. Les lieux étaient habités et ne le sont plus, si ce n’est par les souvenirs… Puis, la photo, le noir et blanc ne lui suffisent plus. L’artiste intervient sur l’image, tout d’abord discrètement et peu à peu de manière plus affirmée. Des personnages étranges peuplent son monde. Glissons-nous en coulisses : les dessins sont tout d’abord photographiés, développés, virés, repeints. Ce long mûrissement de l’image l’occupera durant tout le début des années 1990.
Puis, voici la pâte à sel qui cèdera bientôt la place à la pâte à modeler plus résistante. Intégrée dans des « boîtages » en cartons recouverts de papier, ou en liège. Des scènes improbables venues d’un monde onirique. Le matériau est important. S’il arrive à l’artiste de créer de manière plus traditionnelle, pinceau, peinture et toile se laissant amadouer par son monde si personnel, il aime tout particulièrement les supports plus inédits comme les disques vinyles trouvés en brocante ou donnés à lui par un sien ami. Des objets de brocante, oubliés par le temps, ressurgis sous son regard, retrouvent vie, une existence bien différente de celle qui les occupait en un passé plus ancien.
Habitué des brocantes, des vide greniers, le regard attentif au moindre appel du passé, à l’évocation possible d’un univers différent, le sien. Passionné par le mystère des objets dont, parfois, le sens et l’utilité nous échappe aujourd’hui, par la beauté de la rouille entamant le fer, en modifiant les contours, le transformant en métal autre, précieux peut-être. Le bois qui se devine sous des couches de peinture indélicates. La patine des années, le temps qui passe et jaunit les papiers anciens. Dernière trouvaille issue de ses pérégrinations : un livre du XVIIIè siècle consacré à l’anatomie. Sur les pages mouchetées par les ans, les corps, les muscles dévoilés, les ligaments et les nerfs à vif enchantent l’artiste. Le font pénétrer au fond des êtres. Les légendes, obscures pour le novice, l’entraînent à extrapoler d’autres membres encore, des affections étranges et singulières, entre malaise et drôlerie. Son monde prend possession de notre corps, ne se laissant jamais dérouter par le nouveau médium choisi par ce créateur itinérant, déclinant à l’infini les supports et les techniques pour laisser libre cours au peuple onirique, amical, vivant, fourmillant dans son imaginaire et dans la moindre de ses créations.
L’artiste au travail est consciencieux, patient et appliqué. Perfectionniste. Découpant, collant, dessinant, peignant jusqu’à ce que la vie apparaisse enfin là, sous ses yeux, dans ses mains. C’est après son travail « officiel » et rémunérateur, le soir venu, qu’il s’assoit à son bureau, pose sa pipe, se libère un petit espace dans le foisonnement des papiers, courriers en souffrance, photos, images d’artistes aimés, pots à pinceaux et à crayons qui envahissent son espace de création pour à nouveau se plonger dans son univers, nous offrant les couleurs du passé, un anachronisme décalé et merveilleux qui nous emporte loin sur les chemins d’un imaginaire absolu. Ne le dérangez plus.


GILLES MANERO ET LES GRIGRIS DE SOPHIE 

SUR LE SITE DE LA CRÉATION FRANCHE

UN ARTICLE DANS SUD OUEST



(cliquer)


Juillet  2017

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