Photos Sophie et Apolline Lepetit
Pour accompagner nos photos un texte écrit par Anne Billon :
Gilles
Manero
Gilles
Manero est un homme discret. Perdu dans ses pensées, le regard
sombre, la tête ailleurs peut-être. Il lui arrive de s’absenter,
d’oublier votre présence et de couper court à une conversation
sans même en être conscient. Parti, loin déjà, vers d’autres
horizons, vers d’autres aventures, retournant dans sa tête des
idées qui verront le jour dans son prochain dessin. Plus la peine
pour vous d’essayer de franchir la porte de son esprit en
ébullition. Ébullition calme, rêveuse. Il ne vous entend plus, ni
même ne vous voit, les yeux tournés vers le spectacle intérieur
qu’il se joue à lui-même, à l’abri des regards indiscrets.
Idées qui fusent sans crier gare. Et l’entraînent vers tous les
chemins susceptibles de rendre compte de ce foisonnement : la
photographie tout d’abord. Parti dans la création, le regard
photographique, le cadrage en bandoulière, à la recherche des lieux
désertés par l’homme. Déserrance, vacance, solitude, désolation,
déréliction, la place est toute entière laissée à la lumière, à
l’espace de créer. Sentiment d’abandon. Les lieux étaient
habités et ne le sont plus, si ce n’est par les souvenirs… Puis,
la photo, le noir et blanc ne lui suffisent plus. L’artiste
intervient sur l’image, tout d’abord discrètement et peu à peu
de manière plus affirmée. Des personnages étranges peuplent son
monde. Glissons-nous en coulisses : les dessins sont tout
d’abord photographiés, développés, virés, repeints. Ce long
mûrissement de l’image l’occupera durant tout le début des
années 1990.
Puis,
voici la pâte à sel qui cèdera bientôt la place à la pâte à
modeler plus résistante. Intégrée dans des « boîtages »
en cartons recouverts de papier, ou en liège. Des scènes
improbables venues d’un monde onirique. Le matériau est important.
S’il arrive à l’artiste de créer de manière plus
traditionnelle, pinceau, peinture et toile se laissant amadouer par
son monde si personnel, il aime tout particulièrement les supports
plus inédits comme les disques vinyles trouvés en brocante ou
donnés à lui par un sien ami. Des objets de brocante, oubliés par
le temps, ressurgis sous son regard, retrouvent vie, une existence
bien différente de celle qui les occupait en un passé plus ancien.
Habitué
des brocantes, des vide greniers, le regard attentif au moindre appel
du passé, à l’évocation possible d’un univers différent, le
sien. Passionné par le mystère des objets dont, parfois, le sens et
l’utilité nous échappe aujourd’hui, par la beauté de la
rouille entamant le fer, en modifiant les contours, le transformant
en métal autre, précieux peut-être. Le bois qui se devine sous des
couches de peinture indélicates. La patine des années, le temps qui
passe et jaunit les papiers anciens. Dernière trouvaille issue
de ses pérégrinations : un livre du XVIIIè siècle consacré à
l’anatomie. Sur les pages mouchetées par les ans, les corps, les
muscles dévoilés, les ligaments et les nerfs à vif enchantent
l’artiste. Le font pénétrer au fond des êtres. Les légendes,
obscures pour le novice, l’entraînent à extrapoler d’autres
membres encore, des affections étranges et singulières, entre
malaise et drôlerie. Son monde prend possession de notre corps, ne
se laissant jamais dérouter par le nouveau médium choisi par ce
créateur itinérant, déclinant à l’infini les supports et les
techniques pour laisser libre cours au peuple onirique, amical,
vivant, fourmillant dans son imaginaire et dans la moindre de ses
créations.
L’artiste
au travail est consciencieux, patient et appliqué. Perfectionniste.
Découpant, collant, dessinant, peignant jusqu’à ce que la vie
apparaisse enfin là, sous ses yeux, dans ses mains. C’est après
son travail « officiel » et rémunérateur, le soir venu,
qu’il s’assoit à son bureau, pose sa pipe, se libère un petit
espace dans le foisonnement des papiers, courriers en souffrance,
photos, images d’artistes aimés, pots à pinceaux et à crayons
qui envahissent son espace de création pour à nouveau se plonger
dans son univers, nous offrant les couleurs du passé, un
anachronisme décalé et merveilleux qui nous emporte loin sur les
chemins d’un imaginaire absolu. Ne le dérangez plus.
GILLES MANERO ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
SUR LE SITE DE LA CRÉATION FRANCHE
UN ARTICLE DANS SUD OUEST
(cliquer)
Juillet 2017
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