Je cherchais des références pour illustrer les détails des tableaux de MARCEL DHIEVRE
... et c'est à Laurent Danchin et à son livre " Le dessin à l'ère des nouveaux médias" que j'emprunte aujourd'hui quelques lignes . Il est évident que ces phrases font partie d'un ouvrage et qu'il faut lire le texte dans sa totalité ....
" ... Le dessin élémentaire et primitif, dont l’archétype est une certaine forme de graffiti, est un dessin frontal, simplifié, schématique, qui, souvent décoratif et symbolique, fonctionne presque exclusivement en aplat, donc en 2D, sans maîtrise de la troisième dimension. Alors que le dessin savant, comme l’art du bon danseur ou le paraphe élaboré du calligraphe, donne une impression d’aisance et de fluidité faisant oublier les difficultés qu’il a dû surmonter pour y parvenir – le moindre raté dans un dessin savant est comme un faux pas dans un ballet ou une fausse note dans un concert –, le dessin primitif, lui, tire son charme de sa gaucherie, de ses rigidités et de sa maladresse, alliées à une forme d’intrépidité sauvage qui évoque l’audace involontaire des balbutiements du dessin d’enfant. Condamné, par incapacité technique, à un répertoire simplifié de formes, souvent les mêmes, il utilise volontiers aussi des subterfuges comme le décalque, l’interprétation des taches ou des accidents du support, l’usage de gabarits ou le recours systématique aux axes de symétrie et il tend à meubler l’espace dont il dispose en compensant souvent par la surcharge décorative ou par divers procédés de remplissage la pauvreté relative de ses moyens de base. Tandis que le dessin savant, même s’il invente, copie la complexité des apparences et paraît vrai, donc réaliste, le dessin naïf fonctionne au contraire comme une écriture symbolique obéissant à un alphabet cohérent, mais sommaire...."
Puis Laurent Danchin évoque Benoît Chieux illustrateur virtuose, professionnel du dessin animé : " Dans la représentation des personnages, on reconnaît si un dessin est savant ou pas à l’axe des épaules. Un personnage aux épaules en diagonale est fait par quelqu’un qui « sait dessiner » tandis que les amateurs dessinent toujours leurs personnages tout droits, redressant instinctivement les diagonales en horizontales ou en verticales. Le dessin savant commence en somme avec la conscience de la diagonale, c’est-à-dire du mouvement."
..." S’il est un domaine où le dessin sous sa forme savante est très clairement inexistant, c’est bien l’art brut, et il aurait même été assez légitime de faire de l’absence du dessin savant un des principaux critères formels servant à définir cette forme de création. Or, de façon curieuse, on s’aperçoit que cette caractéristique, pourtant évidente, n’est jamais soulignée franchement ni revendiquée comme spécifique par la critique spécialisée : pour la raison sans doute que, s’il la mentionne sans cesse dans ses écrits – les dessins d’art brut y sont « sommaires », voire « grossiers », « exécutés avec
maladresse », en faisant usage de « techniques rudimentaires » – Dubuffet lui-même, l’inventeur du concept d’art brut, adopte en priorité un point de vue sociologique ou culturel qui fait passer le critère esthétique et la question formelle au second plan. Et pourtant c’est bien contre l’académisme que cet artiste, en réalité très savant, positionnait cet art « anti-culturel » qu’est l’art brut, mais l’académisme défini uniquement par son contexte social, comme un ensemble de modèles et de références de la culture bourgeoise dominante, et non par ce qu’il révèle en soi sur le plan purement artistique, à savoir un certain niveau de maîtrise technique, développé à partir d’aptitudes innées ou acquis par un long apprentissage. Comme, dans sa volonté de sortir de l’ornière culturelle dont la pratique du dessin académique faisait encore partie dans sa jeunesse, Dubuffet avait lui-même pris dans ses propres travaux le parti du dessin primitif, et que par ailleurs, pour un auteur d’avant-garde de sa génération, assimiler dessin savant et académisme bourgeois semblait une évidence, c’est une double confusion sous-jacente qu’il lui aurait fallu démêler s’il avait voulu amorcer sur l’art brut une réflexion purement esthétique, et pouvoir définir ce qui distingue formellement cet art non seulement de l’art savant mais aussi du faux primitivisme qu’il pratiquait lui-même par choix volontaire ."
... " Schématique, fortement symbolique, souvent décoratif ou abusant des artifices de la symétrie comme dans un certain art médiumnique, le dessin d’art brut, presque toujours réalisé en 2D et n’ayant pour ainsi dire jamais recours ni au modelé ni à la perspective, tire toute sa force et toute son énergie d’un instinct d’expression irrépressible animé par une pulsion obsessionnelle hors du commun.
C’est le paradigme même du dessin à la fois primitif et inspiré tel qu’on en a donné la définition plus haut. Et si l’art brut, si souvent, préfère le coloriage, c’est-à-dire le simple remplissage coloré des surfaces, à la peinture, s’il semble mal supporter le vide et tend à noyer les formes – parfois jusqu’à l’étouffement – dans l’usage hypnotique de la répétition sérielle ou la surcharge décorative, si chez lui les encadrements sont parfois plus élaborés que la figure principale ou si, délaissant les moyens traditionnels, il pratique si souvent l’interprétation des formes naturelles ou tire parti de leur plastique spontanée dans l’assemblage, s’il tend aussi parfois à submerger l’image de commentaires, mêlant au dessin l’écriture, c’est parce qu’ayant quelque chose de très urgent à dire, il lui faut en quelque sorte masquer ou compléter la pauvreté des moyens dont il dispose, trouver des pratiques de substitution et compenser par la patience d’exécution et l’obstination laborieuse ce qui lui manque en virtuosité technique. Art non savant, au sens défini plus haut, l’art brut a le génie de prendre un autre chemin que celui de la mimesis, et il s’y tient. Et si l’œuvre au contraire devient vraiment savante, par définition ce n’est plus de l’art brut. Car c’est justement la grande originalité de cet art que de ne pas essayer de prendre la voie de l’académisme, où il risquerait de se condamner lui-même dès les premiers pas, et de lui en préférer une autre, totalement distincte, donc sans point de comparaison avec la première"...
* A lire donc " Le dessin à l'ère des nouveaux médias"
* Le blog de Laurent Danchin :
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