ARTHUR BORGNIS a eu la gentillesse de m'envoyer le texte du catalogue de sa dernière exposition "ART BRUT A LA FOLIE !".
Pour l'accompagner j'ai sélectionné quelques pépites de sa Galerie....
La galerie propose des grands classiques de l’art brut : Henry Darger, Adolf Wolfli, Augustin Lesage, Martin Ramirez, Bill Traylor…
Elle accorde une place de choix à l'art médiumnique tchèque avec des œuvres très rares de Josef Kotzian, Frantisek Jaroslav Pecka, Vlasta Kodrikova, Adamec...
La galerie souhaite également faire connaitre les œuvres des artistes qu’elle a découverts et qu’elle représente : Jerry Gretzinger (USA), Premysl Martinec (République Tchèque), Ota Prouza (République Tchèque), Tang Ziping (Chine), Valentin Simankov (Russie)...
La galerie Arthur Borgnis organise des expositions temporaires, participe à des salons internationaux.
ZBYNEK SEMERAK
« Surgissant l’un à l’autre en cette rencontre, nous existons : moi et cette œuvre, tous deux uniques. »
Henri Maldiney
MADGE GILL
“ Et pourquoi des yeux quand il faut inventer ce qu’il y aurait à regarder ” Antonin Artaud
Durant l’été 1945, Jean Dubuffet,accompagné de Le Corbusier et de Jean Paulhan,se rend en Suisse sur l’invitation de l’écrivain Paul Budry. Durant ce voyage culturel officiel il se lance dans des prospections « d’art immédiat et sans exercice – un art brut, (…) dont il pense trouver le rudiment chez les fous et les prisonniers » comme le raconte Jean Paulhan en 1946 dans son livre « Guide d’un petit voyage en Suisse ». Jean Dubuffet poursuit les découvertes entreprises par André Breton et ses complices intéressés par l’art des fous et par la psychographie spirite dont ils s’étaient inspirés pour l’écriture automatique.
L’exposition qui se tient en 1949 à la Galerie Drouin n’a retenu l’attention que de quelques initiés tels Francis Ponge, Henri Michaux, Tristan Tzara, Miro, Claude Lévi-Strauss, André Malraux et a déchaîné les foudres de la critique. Le manifeste de Jean Dubuffet « l’Art brut préféré aux arts culturels » publié alors dit de l’art brut qu’il « est un autre moyen de connaissance dont les voies sont tout autres : c’est celle de la voyance. La voyance n’a que faire de savants et d’intelligents, elle ne connaît pas ces zones-là ». En choisissant le terme « voyance » qui fait référence au spiritisme, Jean Dubuffet situe la création dans les sphères de l’irrationnel.
L’homme occidental est prisonnier, conditionné par des systèmes de représentation formels dépendant de sa culture et de sa vision. Afin d’accéder aux forces vives de la création l’artiste doit se libérer du carcan culturel et devenir un médium.
Autrement dit, il ne doit plus voir mais se dérober à ses sens afin de devenir ce « je est un autre » rimbaldien grâce à une déstructuration partielle du moi.
La découverte de ces « irréguliers » fait figure d’agent provocateur au sein de l’histoire de l’art. Contrairement aux avant-gardes et aux mouvements esthétiques qui ont jalonné le XXème siècle, les créateurs d’art brut ne sont pas motivés par des réflexions esthétiques, politiques, ni la volonté de révolutionner le monde de l’art.
Hétérogène, anhistorique, d’aucun « isme », l’art brut est transgressif. Il est un objet inclassable au regard des critères qui régissent l’histoire de l’art. Dès lors nous pouvons comprendre que les historiens d’art aient été et demeurent encore aujourd’hui réticents et désemparés face aux œuvres d’art brut qui n’obéissent pas aux continuités narratives, chronologiques et stylistiques qui régissent les classifications mises en place depuis la fin du XVIIIe siècle.L’art brut privilégie une expérience du sensible qui se substitue à une approche historique et intellectuelle.
La pensée de l’art du philosophe et phénoménologue Henry Maldine y est éclairante à propos des créations d’art brut. « Un artiste qui réussit a bien des chances de n’avoir jamais été un artiste, parce que cette autosatisfaction, ce décret de supériorité́ le met d’abord au-dessus de son œuvre. Or, l’œuvre est plus grande que l’artiste … Si celui qui est en train d’œuvrer se donne un but, si son œuvre est déjà̀ faite dans sa pensée avant d’exister, c’est qu’elle n’existe pas ; elle est une essence close ».
Créer nécessite un retrait partiel du moi, une absence de désir de faire œuvre afin de laisser libre cours à une pulsion. Elle est une façon d’être au monde, un accueil du vide afin que l’œuvre apparaissent « malgré soi». L’art doit surgir des gouffres et des profondeurs de l’être, d’une ouverture qui transforme une faille de l’existant en « événement- avènement ».
L’œuvre devient co-naissance, une révélation existentielle pour l’artiste et le regardeur d’où comme dit Maldiney : « Surgissant l’un à l’autre en cette rencontre, nous existons : moi et cette œuvre, tous deux uniques ».
Si ces œuvres nous interpellent, nous émeuvent, nous bouleversent parfois, c’est sans doute parce qu’échappant à tout discours théorique sur l’art de la part de leurs créateurs elles sont l’empreinte du destin tragique de leur existence. Elles s’offrent à nous dans leur essence, leur intensité vécue en remettant par là même en question la notion d’œuvre.
L’art brut est né d’un regard. Celui du peintre et collectionneur Jean Dubuffet qui en accueillant ces créations dans le champ de l’art brut leur donne implicitement le statut d’œuvre. Dès lors,« l’absence d’œuvre » n’est-elle pas l’une des particularités de l’art brut,comme le souligne Claire Margat ?
"L’art brut à la folie !" est le fruit d’une amitié et d’une passion commune.
Jean-Jacques Plaisance et moi-même avons décidé d’unir nos efforts afin de montrer un large corpus d’œuvres qui couvrent plus de cent vingt ans de création.
Cette exposition accorde une place de choix aux œuvres « classiques » de Carlo Zinelli, Augustin Lesage, Madge Gill… ainsi qu’aux œuvres d’August Walla, d’Oswald Tschirtner, de Josef Korec… de la collection du psychiatre Léo Navratil, fondateur de la Maison des artistes à Gugging. Elle est également l’occasion de découvrir des œuvres rarissimes d’Edmund Monsiel, Fernand Desmoulin,les œuvres américaines de Charles A. A. Dellschau, Josef Yoakum, Mary T. Smith - ainsi que les œuvres « contemporaines » de Jerry Gretzinger et George Widener.
La scénographie ne regroupe pas les œuvres en suivant des critères chronologiques, ni des catégories (asilaires, médiumniques ou autodidactes) ce qui nous paraît réducteur pour la monstration de l’art brut. Nous avons souhaité placer cette exposition sous le signe d’un dialogue, d’une correspondance entre des œuvres selon leur forme et leur intensité.
Soixante-quinze ans après les premières prospections helvétiques de Jean Dubuffet, ces créations qui ne cessent de nous surprendre demeurent une énigme.
Elles nous emmènent vers des contrées mystérieuses où règnent l’étrangeté, la bizarrerie, le merveilleux. Ce sont de lucioles qui éclairent le désenchantement du monde, une rencontre avec l’insondable âme humaine, une invitation à vagabonder dans des mondes insensés.
L'ART BRUT A LA FOLIE ! ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
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