" Pour que les choses existent, il faut les nommer. Pour qu'une vie existe, il faut l'habiller de mots. Avec une délicatesse infinie, Kim Thuy choisit les siens. Elle avance dans son récit à pas de loup - on pourrait dire à sautillements d'hirondelle, tant sa prose est légère, sensuelle, marquée d'innocence, tant elle ignore la haine, la rancoeur. Kim Thuy a 10 ans lorsqu'elle est ballottée, avec deux cents autres boat people, au fond d'une cale nauséabonde. L'unique ampoule qui se balance, nuit et jour, la petite l'imagine « étoile polaire » au-dessus du golfe de Siam. Perdus pour perdus, la peur des communistes au ventre, tous fuient le Vietnam. Echouent dans un camp de réfugiés en Malaisie. Certains, dont Kim Thuy et sa famille, père et mère aisés, s'enracinent au Québec. Abandonnent leur langue maternelle pour le français et l'anglais, apprennent à manger le riz avec une fourchette, découvrent la complicité silencieuse entre individus misérables, acceptent des boulots médiocres - livreur ou femme de ménage -, eux qui vivaient dans un univers de privilégiés.
La romancière, qui signe ici son premier texte, se dévoile, mais avec grâce, pudeur. Elle opère surtout une mise à nu de ses souvenirs éparpillés dans le temps et l'espace. Dans un va-et-vient entre le Vietnam et le Québec, entre les gens de là-bas et les gens d'ici, elle fouille sa mémoire, touche les empreintes d'une histoire commune comme on effleure tendrement des cicatrices sur une peau, couche des images, des sensations, se contente d'une courte page, puis d'une autre, pour dire l'essentiel - éclats de vie ou de diamant. Elle dit l'héritage : «Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues. » Elle dit l'ancrage en terre inconnue, « la force de l'émerveillement », le don de rêver, de saisir le présent, de forger le futur. Elle mêle dans le désordre la puissance de l'amour maternel, ses désirs de tendre la main pour rattraper ses rêves, et l'absolue beauté de ces «femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos pendant que leur mari et leurs fils portaient les armes sur le leur ». Kim Thuy, qui se voyait «vaincue, dénudée, vaine », qui se sentait ombre parmi les fantômes, à peine une femme, devient amoureuse, et invente, comme apaisée, une littérature de « sillage ». Comme un ruisseau - un ru - qui va son chemin selon les caprices de la folie des hommes, son écriture trace dans une même phrase la guerre et la paix, le paradis et l'enfer, le bonheur et les larmes. « Sans l'écriture, comment entendre la neige fondre, les feuilles pousser, et les nuages se promener ? » Trente ans après avoir quitté le Vietnam, Kim Thuy a franchi l'impensable. Elle s'est habillée de mots. A fait sienne la langue française. S'est mise au centre d'un récit et nous raconte mille vies."
Martine Laval (pour Télérama)
" Mes parents nous rappellent souvent , à mes frères et à moi, qu'ils n'auront pas d'argent à nous laisser en héritage, mais je crois qu'ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, qui nous permet de saisir la beauté d'une grappe de glycine, la fragilité d'un mot, la force de l'émerveillement . Plus encore, ils nous ont offert des pieds pour marcher jusqu'à nos rêves, jusqu'à l'infini. C'est peut être suffisant comme bagage pour continuer notre voyage par nous-mêmes ."
" ... Le dernier paquet qu'il m'a envoyé contenait un billet d'avion pour Paris . Il m'y attendait pour un rendez-vous chez un parfumeur . Il voulait que je sente la feuille de violette, l'iris, le cyprès bleu, la vanilline, la livèche ... et surtout l'immortelle, une odeur à propos de laquelle Napoléon disait qu'il pouvait sentir son pays avant même d'y avoir posé le pied. Guillaume voulait que je trouve une odeur qui me donnerait mon pays, mon univers."
" ... Moi, je n'ai jamais eu d'autres questions que celle du moment où je pourrais mourir .J'aurais dû choisir ce moment avant l'arrivée de mes enfants, car j'ai depuis perdu l'option de mourir. L'odeur surette de leurs cheveux cuits sous le soleil, l'odeur de la sueur dans leur dos la nuit au réveil d'un cauchemar, l'odeur poussiéreuse de leurs mains à la sortie des classes m'ont obligée et m'obligent à vivre , à être éblouie par l'ombre de leurs cils, à être émue par un flocon de neige, à être renversée par une larme sur leur joue. Mes enfants m'ont donné le pouvoir exclusif de souffler sur une plaie pour faire disparaître la douleur, de comprendre des mots non prononcés, de détenir la vérité universelle, d'être une fée . Une fée éprise de leurs odeurs".
Pour Simon et Françoise ....
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