Tandis qu’il parle, Jephan de Villiers insiste sur tout ce qui précède la réalisation. Il manifeste un véritable élan tandis qu’il raconte la forêt de Soignes, les chemins interdits qu’il est le seul à connaître, tandis qu’il parle des arbres comme autant d’amis. Il manifeste charnellement son accord avec une nature qui n’est plus aussi fière que celle des romantiques, à travers lui nous la devinons menacée, ses balades sont comme la rencontre de deux grands blessés.
Il faut bien dire artefact tandis que nous parlons de ce que “fabrique” Jephan de Villiers, car il s’agit bien de rencontres absolument fortuites qui conduisent chaque fois le créateur à nous proposer la même expérience.
Sous la figure d’une identique interrogation, il évoque un monde – d’abord à lui seul – maintenant bien commun par le fait de son œuvre.
Ainsi dans le travail de Jephan de Villiers, deux espaces mentaux se côtoient, celui qui conduit à l’errance solitaire de l’artiste en quête de nature, d’arbre et de vie ; et celui de ses objets. L’attitude du flâneur ressemble à celle de l’homme en prière, que peut-il dire à ce qui ne l’écoute ni ne l’entend, mais à qui s’adresse-t-il, à Dieu, à la Nature, à quel Autre Esprit ? Comme pour celui qui croit, et comme pour celui qui ne croit pas, il ne soliloque pas tandis qu’il s’adresse à ces forces immuables et hors de lui. Il sait qu’il n’a aucun pouvoir, que celui d’être là, témoin vulnérable.
Peut-être est-ce cette fragilité, comme une jouissance supérieure, qui lui permet de se mesurer aux forces du monde. A moins que ce soit le spectacle mêlé du vivant et de la mort qu’offre la nature qui, en le fascinant, le laisse humble. L’humus vindicatif sur les branches foudroyées. Le vert de la vie sur le gris des os du bois. Les animaux secrets, les élytres d’un insecte perdu où se joue la lumière. Les grandes orgues des rais de celle-ci qui rythment ses pas. Chaque promenade, comme un concert élégiaque invite l’homme à se soumettre à la force du mystère et du vivant.
Mais tout cela a-t-il quelque chose à voir avec l’art ? Oui, avec l’absolu de l’art.
Depuis de nombreuses années l’art ne se définit pas seulement par les formes plastiques qu’il propose, il est devenu hybride et a élargi son champ, ce qui, en conséquence, redonne à la critique un rôle d’éclaireur.
L’art, s’ouvrant au registre des attitudes et des comportements, a renvoyé l’objet plastique – celui qui
demeure in fine – à l’état de vestige, témoin de la saga de l’artiste. Au-delà de ce qui est vu, le spectateur doit remonter le cours d’une démarche. Ici, devant les artefacts de Jephan de Villiers, imaginer ses parcours et ses glanes ; les clairières éclairées, veillées par les grands arbres qui le connaissent bien maintenant, et qui lui délivrent leurs fières feuilles. Il va les ramassant, leur parler comme on le fait à des enfants incongrus que l’on croise où on ne les attend pas. Et les feuilles vont lui répondre en cette langue qu’il transcrit quand, les jours où il fait trop froid, où la pluie est trop forte, il reste dans l’atelier, avec cette plume qui, seule, connaît leurs mots.
Les objets – les œuvres – de Jephan de Villiers se caractérisent par leur humble fragilité, par leur non-valeur.
Mais quelle valeur a le geste d’une prière ?
Que vaut l’acte symbolique d’un don ? Jephan de Villiers interroge le seul moment présent et le dépasse.
Ses prières de feuilles et de mie de pain sont ainsi plus solides que le plus fort des monuments. Elles n’ont pas à affronter le temps, elles ne lui sont pas rivales. Elles ne sont pas de ce monde. Elles sont d’un ailleurs où tout flotte en liberté. Elles témoignent d’un lieu d’avant l’angoisse, celui des questions premières, celui où l’homme est pur et innocent pour n’avoir pas encore porté la main sur la nature.
Jephan de Villiers est toujours surpris par l’intérêt, l’étonnement que son travail suscite. Mais l’artiste est bien celui qui a vu pour nous ce que nous ne verrons jamais. Son œuvre nous dit cela : au-delà de son seuil se tient l’énigme. Celui-ci n’a qu’un initié, un créateur : “l’artiste”. Ce qu’il nous révèle, c’est une fable : “son œuvre”. Et celle-ci s’éprouve dans la force de son silence, elle ne nous rend pas initiés à notre tour, non, elle nous maintient sur ce seuil où naît justement l’émerveillement. Mais d’une rive à l’autre, du regard de l’artiste qui choisit les branches et les cailloux, les combine et les assemble, à celui qui ne voit qu’un bonhomme, où sont les passages ?
Alin Avila, Paris juin 2004
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JEPHAN DE VILLIERS ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
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ÉTÉ 2017 ....
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