Voici une belle découverte ( à la fois coup de coeur et coup de poing dans la gueule) que je dois à François Chauvet et que j'ai faite au HANG ART de Saffré : les Héros de JEAN-LUC TINTORRI
Au sujet de la série « Les Héros »
J’avais commencé une série de portraits d’après des photographies de réfugiés dont les regards me hantaient lorsque les médias firent leurs gros titres sur l’action d’éclat de Mamadou Gassama. Ce jeune malien avait escaladé un immeuble pour sauver un enfant et tout le monde le qualifiait de « héros ». En ouvrant mon dictionnaire Hachette, j’avais trouvé plusieurs définitions dont « celui qui se distingue par sa grandeur d’âme exceptionnelle » ou bien « celui qui s’est rendu célèbre par son courage ». Je connaissais déjà nombre de ces Jeunes (les MMI –Mineurs Migrants Isolés- ou MNA –Mineurs Non-Accompagnés) et j’avais leurs récits en tête. Eux n’étaient pas considérés comme des héros.
Pourtant, du courage et de la grandeur d’âme, ils en ont. Ils ont survécu à la famine ou à la disette, aux tortures de leurs proches parfois, au travail forcé, à la prostitution, à la répression politique, à la guerre et ont fui par le Sahel, puis le Sahara, puis la Méditerranée ou l’Atlantique, puis l’Espagne ou l’Italie ; traversé les montagnes et les plaines à pied, en voiture, en bus, en train. Ils ont vu, parfois, leur mère ou leur père, ou les deux, abattus sous leurs yeux. Ils ont échappé aux marchands d’esclaves en Libye (parfois en y laissant quelqu’un.e) ou aux flics au Maroc, en Tunisie ou en Algérie. Ils sont passés entre les mains de passeurs qui les ont forcés à embarquer dans des Zodiacs entassés à cinquante, en les menaçant de les tuer là, maintenant, s’ils refusaient de monter.
Et ils sont là, devant moi, pleurant, souriant, riant, chantant, blaguant. Comment ne pas voir que ce sont les héros/les héroïnes de nos temps ?
(photos site de l'artiste et site du Hang Art deSaffré)
Né en 1962, vit et travaille en Touraine.
J’écris depuis longtemps ; coller est venu tard ; peindre, plus tard encore ; et le dessin est entre mes doigts tel un nouveau -né. Il m'a fallu auparavant REconnaître mes origines Arméniennes. Réaliser que je venais d’ailleurs, que mes grands–parents n’étaient pas de France. Que ma famille était éparpillée et diasporique…
Alors, j’ai commencé à reconstituer le puzzle et à découper des images. Je les assemblais, et ce faisant, des tantes, des oncles, des cousins, des grands–parents… se rencontraient enfin. Je réunissais ainsi cette famille, éparpillée en France, en Turquie, en Italie, en Suisse, aux USA, en Australie… Et me racontais des histoires : autant de morceaux de vie. Du passé de ma vie.
Dans ces collages, la mort est souvent présente. J'y mets aussi parfois de l’humour. Parfois. L’un, sans doute, me permet d’envisager l’autre, et d’y faire la nique.
Un auteur arménien, pour expliquer nos origines communes, a parlé de «charnier natal». Au fur et à mesure que j’ai creusé ce charnier, j’y ai trouvé des réponses et autant de questions, que je continue de découper, coller, que je plaque sur une surface plane et simple, loin de moi. Je les colle pour les éloigner. Ce n'est pas forcément que je comprends mieux, mais j'en sais un peu plus. Je sais certaines choses et je peux expliquer certains faits. Mais pour autant, je ne comprends pas encore. Peut -être que je ne veux pas comprendre. Un génocide, comment comprendre ça ?...
Parfois, le titre et les images en tête, je pars résolu, empli de certitudes, mais je n'arrive nulle part. D’autres fois, je musarde, sans réfléchir, un peu comme ceux qui pratiquent l'« écriture automatique ». Et c’est après seulement que je vois où, dès le début sans doute, mon inconscient voulait amener ma main.
Je peins ce qui me passe en tête. Je ne fais pas de décoratif. Enfin, pas forcément ; ça, c'est de surcroît. Et puis, c'est une affaire d'opinion. Je veux peindre ce monde tel qu'il m'apparaît souvent. Pas de place, ni plus assez de temps, pour les fleurs jaunes et les petits oiseaux. Je veux que ça bouge, que ça chamboule. Que ça attire ou que ça révulse, pourvu que ça meure et que ça vive. C'est ça que je peins. Pas autre chose…
Peut–être qu’être Arménien, c’est aussi transmettre.
Puis–je alors considérer que j’ai fait ma part de travail et payé ma dette (ma dette de sang ?) à mes origines, en essayant de laisser une trace qui comblera un bout du néant ?
Puis–je alors considérer que j’ai retrouvé mon arménité, que je l’ai re–connue, que j’ai achevé de « fixer sur le papier l’incandescence de la mémoire », que j’ai réussi à « juguler, tenir à distance, exorciser la terreur "endurée" » ?
Puis–je considérer que je suis un Arménien, un Arménien de mémoire (seulement de mémoire ?), et pas un Arménien au rabais ?
Finalement, ce doit être ça, être arménien : transmettre. Quand tant d’autres ne l’ont pas pu, ou pas voulu, et en sont morts.
Transmettre pour être en paix.
Et me convaincre que désormais, je suis en paix.
Et vivre, et sourire.
(cliquer)
10 le Moulin Roty 44390 Saffré
JUSQU'AU 9 MAI 2019
Au sujet de la série « Les Héros »
J’avais commencé une série de portraits d’après des photographies de réfugiés dont les regards me hantaient lorsque les médias firent leurs gros titres sur l’action d’éclat de Mamadou Gassama. Ce jeune malien avait escaladé un immeuble pour sauver un enfant et tout le monde le qualifiait de « héros ». En ouvrant mon dictionnaire Hachette, j’avais trouvé plusieurs définitions dont « celui qui se distingue par sa grandeur d’âme exceptionnelle » ou bien « celui qui s’est rendu célèbre par son courage ». Je connaissais déjà nombre de ces Jeunes (les MMI –Mineurs Migrants Isolés- ou MNA –Mineurs Non-Accompagnés) et j’avais leurs récits en tête. Eux n’étaient pas considérés comme des héros.
Pourtant, du courage et de la grandeur d’âme, ils en ont. Ils ont survécu à la famine ou à la disette, aux tortures de leurs proches parfois, au travail forcé, à la prostitution, à la répression politique, à la guerre et ont fui par le Sahel, puis le Sahara, puis la Méditerranée ou l’Atlantique, puis l’Espagne ou l’Italie ; traversé les montagnes et les plaines à pied, en voiture, en bus, en train. Ils ont vu, parfois, leur mère ou leur père, ou les deux, abattus sous leurs yeux. Ils ont échappé aux marchands d’esclaves en Libye (parfois en y laissant quelqu’un.e) ou aux flics au Maroc, en Tunisie ou en Algérie. Ils sont passés entre les mains de passeurs qui les ont forcés à embarquer dans des Zodiacs entassés à cinquante, en les menaçant de les tuer là, maintenant, s’ils refusaient de monter.
Et ils sont là, devant moi, pleurant, souriant, riant, chantant, blaguant. Comment ne pas voir que ce sont les héros/les héroïnes de nos temps ?
(photos site de l'artiste et site du Hang Art deSaffré)
J’écris depuis longtemps ; coller est venu tard ; peindre, plus tard encore ; et le dessin est entre mes doigts tel un nouveau -né. Il m'a fallu auparavant REconnaître mes origines Arméniennes. Réaliser que je venais d’ailleurs, que mes grands–parents n’étaient pas de France. Que ma famille était éparpillée et diasporique…
Alors, j’ai commencé à reconstituer le puzzle et à découper des images. Je les assemblais, et ce faisant, des tantes, des oncles, des cousins, des grands–parents… se rencontraient enfin. Je réunissais ainsi cette famille, éparpillée en France, en Turquie, en Italie, en Suisse, aux USA, en Australie… Et me racontais des histoires : autant de morceaux de vie. Du passé de ma vie.
Dans ces collages, la mort est souvent présente. J'y mets aussi parfois de l’humour. Parfois. L’un, sans doute, me permet d’envisager l’autre, et d’y faire la nique.
Un auteur arménien, pour expliquer nos origines communes, a parlé de «charnier natal». Au fur et à mesure que j’ai creusé ce charnier, j’y ai trouvé des réponses et autant de questions, que je continue de découper, coller, que je plaque sur une surface plane et simple, loin de moi. Je les colle pour les éloigner. Ce n'est pas forcément que je comprends mieux, mais j'en sais un peu plus. Je sais certaines choses et je peux expliquer certains faits. Mais pour autant, je ne comprends pas encore. Peut -être que je ne veux pas comprendre. Un génocide, comment comprendre ça ?...
Parfois, le titre et les images en tête, je pars résolu, empli de certitudes, mais je n'arrive nulle part. D’autres fois, je musarde, sans réfléchir, un peu comme ceux qui pratiquent l'« écriture automatique ». Et c’est après seulement que je vois où, dès le début sans doute, mon inconscient voulait amener ma main.
Je peins ce qui me passe en tête. Je ne fais pas de décoratif. Enfin, pas forcément ; ça, c'est de surcroît. Et puis, c'est une affaire d'opinion. Je veux peindre ce monde tel qu'il m'apparaît souvent. Pas de place, ni plus assez de temps, pour les fleurs jaunes et les petits oiseaux. Je veux que ça bouge, que ça chamboule. Que ça attire ou que ça révulse, pourvu que ça meure et que ça vive. C'est ça que je peins. Pas autre chose…
Peut–être qu’être Arménien, c’est aussi transmettre.
Puis–je alors considérer que j’ai fait ma part de travail et payé ma dette (ma dette de sang ?) à mes origines, en essayant de laisser une trace qui comblera un bout du néant ?
Puis–je alors considérer que j’ai retrouvé mon arménité, que je l’ai re–connue, que j’ai achevé de « fixer sur le papier l’incandescence de la mémoire », que j’ai réussi à « juguler, tenir à distance, exorciser la terreur "endurée" » ?
Puis–je considérer que je suis un Arménien, un Arménien de mémoire (seulement de mémoire ?), et pas un Arménien au rabais ?
Finalement, ce doit être ça, être arménien : transmettre. Quand tant d’autres ne l’ont pas pu, ou pas voulu, et en sont morts.
Transmettre pour être en paix.
Et me convaincre que désormais, je suis en paix.
Et vivre, et sourire.
(cliquer)
10 le Moulin Roty 44390 Saffré
JUSQU'AU 9 MAI 2019
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