IL Y A UN AN MOURAIT VINCENT CORDEBARD, un mari, un papa, un ami et un artiste de grand talent.
Heureusement en 2018 une magnifique rétrospective à Chaumont avait rendu hommage à son travail. J'ai eu la chance de visiter son atelier, de rencontrer sa famille.
Un an après j'aimerais lui rendre hommage ...
* Le bouleversant message de sa fille Alice :
Les hommages à l'homme public affluent..
Moi je tenais à dire merci à mon papa.
À un papa exceptionnel....
Merci pour tout ton amour.
Merci d'avoir toujours été là malgré la distance, la fatigue, la maladie.
Merci pour tout ce que tu m'as transmis qui m'a permis de devenir celle que je suis.
Mon amour de la vie, des autres, ma liberté de penser, ma liberté tout court, et ma force, je te les dois.
Maintenant il va falloir avancer sans ta présence si réconfortante, sans entendre ta voix, avec ce vide incommensurable....
Au revoir Papa....
*** Benoit Duchet, son gendre et ami
Aujourd'hui le soleil chaumontais est là, au rendez-vous, magnifique, une lumière d'octobre idéale pour la peinture. Je livre ce dernier témoignage de Vincent Cordebard un dernier souffle puissant, poignant, lumineux. Les derniers dessins, remplis de sens, d'émotions et de résilience... jusqu'au bout.
Plus qu'un dernier souffle, l'œuvre aboutie de toute une vie, une œuvre colossale par ce qu'elle dégage, à l'image, à la hauteur de la personne.
Je suis dans son atelier, j'encadre. Les dessins, les traits, le choix des couleurs forcent le respect.
Triste mais infiniment heureux et reconnaissant d'avoir croisé sa route. Nos derniers échanges que je ne peux malheureusement pas livrer sont saisissants et peuvent assurément changer la vie d'un homme, d'un artiste.
Je pense à vous tous, ses amis, compagnons de route, pour qui il avait une grande estime et une profonde amitié, vous qui avez su apprécier et considérer son travail et son œuvre avec bienveillance. Il manquera à n'en pas douter. Force et courage.
* Sylvie Meilley
Mon Vincent,
Te voici donc arrivé au séjour des peintres.
Tu me dis que là-bas il n'y a pas d'histoire de l'art.
Rien qu'une grande géographie nostalgique et colorée aux accents d'oxyde de chrome et de bleu de Prusse, où chacun vient se servir à loisir.
La pensée y est magie et le parole cézannienne.
Tu me dis qu'ici personne n'a peur ni du rouge, ni du jaune, ni du bleu, pas plus que de ces couleurs aux noms étranges :
sang de bœuf
pied de momie.
Sens-tu cette atmosphère parfumée que l'on nomme en tahitien Noanoa ?
Ecoutes-tu le bruissement des feuilles venu d'Hokusai ?
Et si le vent se lève, n'hésite pas à demander à Gasio un de ces chapeaux Kiga.
Je t'imagine, partageant un repas frugal avec cet autre Vincent que l'on dit aux tournesols.
Tu me dis qu'ici tu as enfin laissé notre région de la dissemblance pour des paysages qui ressemblent à la palette de Delacroix, d'où à partir du sale et de l'impur, l'on sait faire surgir la couleur pure, pure comme la pureté de ton cœur.
Tu me dis que nous, pauvres frères humains, devrions trouver refuge sous le manteau de la Madone des ombres et y chercher, ce que toi tu y as trouvé.
Que le secret réside dans cette petite vibration de la perle de Vermeer ou dans la fugacité de l'éclair de Giorgione.
Tu me dis qu'ici Acteon a enfin trouvé le calme intérieur.
Et si jamais l'envie t'en prenait d'aller espionner cette Suzanne que tu aimais tant, sois prudent et discret comme le zozo.
O dédi
A dada orzoura
O dou zoura
O kaya
A dada skizi
O kaya ponoura
O ponaoura
A pana
Poni
Voilà ce que t'aurait dit le Momo en voyant certaines de tes peintures.
C'est vrai que cette invocation décrypte si bien le mystère de ta musicalité, de ton rythme, de ta mesure et de ta démesure.
C'est cela.
Toutes ces images imaginées qui restent ici-bas ne sont ni des rêves, ni des illusions juste des scènes de la vie ordinaire.
Moi je dis que, mieux que d'autres, tu as su mettre le couchant en valeur.
Je sais que tu comprendras
(Pour
les non initiés, le Momo et le langage qui s’y rapporte, c’est Antonin
Artaud auquel Vincent avait subtilisé quelques phrases et bouts de texte
pour sa très belle série “Chair-mère“).
* Thierry Girard
Je ne sais que dire tant mon chagrin est immense. Vincent
mon ami, mon Phrère, n'est plus. 37 ans d'amitié, de fraternité, de
complicité intellectuelle et artistique. Il reste son œuvre, difficile,
riche et rude, diverse et cohérente à la fois, trop peu et trop mal
comprise. Nous nous en occuperons. Nous essaierons de ne pas le trahir
et d'être à la hauteur de sa propre exigence.
* Son très cher ami et complice Pierre Bongiovanni a écrit ce texte
Il a eu la gentillesse de me le confier pour les Grigris :
VINCENT CORDEBARD
LES PARADOXES A L’ŒUVRE
Vincent Cordebard était une personnalité connue et respectée à Chaumont et dans la région. Beaucoup plus comme professeur et pédagogue que comme auteur d’une œuvre majeure, complexe et atypique. Il lui arrivait souvent d’être apostrophé par un ou une passant.e au motif que celui-ci ou celle-là fut son élève à telle époque et dans telles circonstances.
LES PARADOXES A L’ŒUVRE
Vincent Cordebard était une personnalité connue et respectée à Chaumont et dans la région. Beaucoup plus comme professeur et pédagogue que comme auteur d’une œuvre majeure, complexe et atypique. Il lui arrivait souvent d’être apostrophé par un ou une passant.e au motif que celui-ci ou celle-là fut son élève à telle époque et dans telles circonstances.
Il faut savoir que Vincent Cordebard grand érudit des questions artistiques, scientifiques et littéraires adorait discuter, s’engager dans des conversations, des controverses, donner son point de vue, voire « faire la leçon ».
Nous avons souvent évoqué ensemble ce paradoxe d’une notoriété importante et « citoyenne » alors même que la puissance de sa création personnelle restait souvent une totale énigme pour sa communauté de vie sociale comme culturelle.
Nos conversations personnelles étaient fréquentes, ouvertes et sans interdits. Nous parlions évidemment beaucoup de la place de l’art contemporain à Chaumont, dans la région comme dans le monde. Place plus que problématique à ses yeux comme aux miens. Nos échanges furent toujours toniques, sincères, polémiques et sans aucun tabou.
La mort, la sienne à venir en particulier était, évidemment un des grands sujets. Il en parlait naturellement avec moi, comme il parlait régulièrement de création artistique avec les personnels soignants du CHU de Dijon.
Il était, ce qui reste extrêmement rare, à l’écoute d'autres artistes qu’il n’hésitait jamais à rencontrer, voire à soutenir moralement et même économiquement en achetant leurs œuvres, car Vincent ne se contentait pas de « penser », ou de converser, il savait s’engager concrètement.
Nous avions, récemment, par exemple, lors d’un séjour au CHU, engagé une conversation centrée sur l’œuvre d’une artiste totalement atypique de Chaumont, Jacqueline Lenoel, dont La Maison Laurentine suit et expose le travail. Il avait pris le temps, entre deux hospitalisations de photographier méthodiquement 300 œuvres de cette artiste. De là nous devions développer ensemble une réflexion sur la question de l’art dans une société contemporaine globalement inquiète, sur son devenir et sur la manière dont une approche décomplexée de l’art permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives. Nous partagions tous deux cette quête de recherche d’appropriation, par le plus grand nombre de personnes, des enjeux de la création contemporaine. Le calendrier imposé par la maladie en a décidé autrement.
Pour illustrer la nature des échanges que Vincent et moi entretenions, de qui et de quoi il s'agit, voici un extrait de cette conversation récente :
VC : pourquoi écrire ?
PB : Je me suis longtemps posé la même question. Je ne me la pose plus. Écrire est un acte qui se confond avec sa propre nécessité.
VC : Il nous faut en effet nous interroger sur cela qui nous conduit, toi à exposer, moi à documenter et écrire.
PB : Oui à condition d’expliquer que pour moi « exposer » veut dire « partager ». Et à condition d’ajouter que « en partageant, en fait, « j’écris ».
VC : Jacqueline Lenoel est parfaitement étrangère à mon monde.
PB : Mais pas au mien. Je m’explique. Lorsque mon voisin me rapporte une souche trouvée en forêt en disant « regarde ce que je viens de trouver ». Il ne me dit rien d’autre que « je suis de ton monde » et « tu es de mon monde ». Ensuite autour d’un café nous pouvons parler des mystères de la beauté. Avec Jacqueline, il en est de même, mais sur la base d’un protocole radicalement différent : sa vérité est dans ses silences et non pas dans ses mots dits. Je l’écoute parler dans ses mots écrits. Les titres de ses peintures sont parfaitement éloquents.
VC : Elle développe ce qu’avec les mots de ce monde on appellerait une œuvre.
PB : Oui
VC : Depuis quarante ans, je suis vu, commenté, collectionné par les acteurs d’institutions auxquelles elle est parfaitement étrangère.
PB : Oui
VC : De même j’ai montré, collectionné, commenté des œuvres visant peu ou prou à s’inscrire dans cette galaxie qu’on appelle la création contemporaine. Dans les deux cas cela nécessite une connivence préalable.
PB : Oui
VC : Jacqueline Le Noël n’est pas une artiste en ce sens que sa vie est totalement disjointe de cette galaxie.
PB : Certes mais cette galaxie ne représente qu’un part infime du réel de ce qui est art, et ce réel-là est infini.
VC : Certes, elle peint, produit des artéfacts comparables à ces productions reconnues. Sans doute aspire-t-elle quand même à une certaine extraction du commun.
PB : Je n’en crois rien. Elle ne cherche pas à s’extraire du commun. Elle affirme pouvoir légitimement exister à l’endroit d’elle-même, ce qui n’a rien à voir.
VC : Mais de quoi parlons-nous alors ? et j’y reviens pourquoi parlons-nous ? Plus exactement pourquoi nous autorisons-nous à parler ?
PB : La réponse est toute entière contenue dans la remarque en début de ce courrier.
Pour moi ces questions ne se posent pas. Pas plus que cette question inutile que je me pose tous les jours : « pourquoi continuer à vivre ? ».
On voit dans ce petit extrait comment, au comble même de la souffrance et de la maladie, Vincent Cordebard a su mobiliser son esprit, pour ne pas faiblir et ne pas renoncer à faire de l’acte de penser, un acte de résistance et de partage.
Jusqu’à ce qu’il décide lui-même de cesser le combat, ce qui devant être fait l’eût été et ce qui devant être dit le fût, ce qu’il me confia une semaine avant son départ.
Malgré les expositions auxquelles nous avons intimement contribué, comme la rétrospective présentée aux entrepôts Tisza à Chaumont produite par la Ville à l'initiative de Christine Guillemy, l’œuvre de Vincent Cordebard reste pourtant à découvrir.
Car l’âpreté de ses œuvres fait toujours aussi peur. Son indépendance d’esprit et le fait qu’il ne dépendait de personne pour réaliser dans l’ombre son parcours artistique lui ont permis de résister vaillamment, au mieux à l’indifférence, au pire, à l’hostilité de ses contemporains. René Char put dire que « le monde de l’art n’est pas le monde du pardon ». Vincent Cordebard en savait quelque chose, lui qui ne cessa de traquer les méandres du mal à l’encontre des enfances, des femmes, des vulnérables.
Reste à espérer que l’unanimité qui se manifeste aujourd’hui autour de l’homme disparu se prolonge au moins en partie autour de son œuvre photographique, picturale et poétique.
Comme le raconte si bien l’épopée de Gilgamesh, nos œuvres sont les seuls garants de notre immortalité.
Marie Morel, que Vincent aimait tant, de passage à Chaumont pour installer sa peinture (La Shoah) dans l’exposition " Scènes de la vie Ordinaire"
"MON" VINCENT CORDEBARD
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