Un texte de Lucien Wasselin :
"Odile Caradec a composé ce recueil en choisissant des poèmes dans ses livres (dont certains sont épuisés) jamais traduits en allemand alors qu’elle a publié quatre ouvrages à ce jour chez le même éditeur en version bilingue grâce aux traductions de Rüdiger Fischer. Poèmes auxquels elle a ajouté une série d’inédits regroupés sous le titre « Neige, peau lumineuse du silence » . La présente anthologie est donc doublement utile : d’abord parce qu’elle fait découvrir aux lecteurs allemands des poèmes jusqu’alors inconnus dans leur langue, ensuite parce qu’elle permet aux lecteurs français de découvrir la poésie d’Odile Caradec ou d’en parfaire la découverte...
C’est avec une certaine fantaisie qu’Odile Caradec considère son âge. Une fantaisie qui masque à peine l’issue inéluctable, « la pauvre odeur mortelle »... Mais c’est cette fantaisie qui prime grâce à une langue primesautière, à un style imagé et faussement naïf : « tout mon cœur ne sera plus / qu’une grande oreille bourdonnante » ou « l’âme enfin est très douce / il faut qu’on la caresse dans tout le sens du poil ». Il y a dans cette anthologie une fraîcheur de ton réjouissante, une vision du monde d’une étonnante qualité que vient à peine tempérer la conscience de la vieillesse et du temps qui passe. Mieux, même : cette conscience donne plus de profondeur et de vivacité à cette fraîcheur. Les sens sont en éveil pour goûter ce qu’offre la nature : « Quelque chose de musqué / bruit dans les forsythias / les amandiers, les prunus / les narcisses, les mains » ou « Alors ceux dont l’âge est encore tendre / et ceux dont les artères sont craquantes / se précipitent / et l’écrit court.... » Le goût pour la musique, l’empathie à l’égard des animaux les plus petits ou les plus méprisés participent de cet état d’esprit et font que souvent « Un poème glissé sous la terre / peut faire beaucoup de bruit ». Métaphoriquement, l’âme (dont Odile Caradec avoue ne pas connaître la nature et être incertaine quant à son existence) devient le symbole de ce qui ne se laisse pas saisir dans l’être humain...
Ce condensé de sensations, de souvenirs, d’expériences intimes et d’histoire personnelle est une leçon de vie et de sagesse. Et, curieusement, certains poèmes d’Odile Caradec font penser aux poèmes spatialistes récents de Pierre Garnier : dans les deux cas, c’est « le bruit léger du firmament » que le lecteur entend. "
Je freine des quatre fers pour ne plus écrire de poèmes
je les refoule dans le noir le plus noir
car les poèmes sont flammes, tourbillons, explosifs
sont si envahissants qu'on a peur de mourir
et tout cela fatigue les femmes un peu vieilles
c'est pourquoi je me barricade dans ce qui me reste de frontières
Nonobstant ces poèmes je les désire
de toutes mes fibres
je les jette sur le papier
ce sont dahlias, tournesols, arbres porteurs d'olives
orangers funambules
Les tombes, c'est du temps erré dans des griffes
du temps sculpté, du temps ramassé
une césure pacifique
et nous passons entre les stèles
dans la chair ombreuse du monde
enfouis dans nos grands manteaux sombres
-le vert foncé quasiment noir
le brun, le fauve ténébreux-
Mais toi, poète, pour cette fête
arbore une écharpe couleur de feu
afin que la terre s'envole
tandis que poursuivant son aérienne course
l'oxygène tanguant dans les poitrines
alimente les coeurs
astique les neurones
la mort devient invraisemblable
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INDÉLÉBILE
On écrit un poème à l'encre
dans ses paumes
entre les plus fines nervures
On serre, on emporte
Là où la pesanteur n'existe plus
ni faim, ni douleur
Un poème glissé sous la terre
peut faire beaucoup de bruit
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LE MOT-OEIL
Perdant les mots et surtout les noms propres
elle fouille dans les arcanes de sa mémoire
ne trouve rien
Alors venue des profondeurs de ses muscles
des battements de son cœur
de l'afflux d'oxygène dans ses poumons
une toute petite voix
lui souffle le précieux mot cherché
le mot-phénix
le mot-vent
le mot-oeil
HIVER NACRE
Des roses de pierre descendent dans les couloirs de
l'air
il y a des épées de froid dans le cœur
de belles sculptures conte le vent
Un paysage de brume et d'eau m'enserre tout entière
un amant minuscule dort sur mon cœur
TERRE DE BRUME
Les arbres de la nuit s'emparent des étoiles
puis les dispersent dans le vent
et moi, dans la tiédeur du lit
je pense au premier rouge-gorge
et au scarabée d'or
qui attend patiemment dans les arcanes de la terre
La brume pulvérise les végétaux
rondes sont les lumières de la ville
Les personnages qui ont le front
de marcher seuls
ne se rencontrent pas
ils sont noirs et tenaces
Ce livre peut être commandé auprès de l'artiste
Claudine Goux : lolagoux@yahoo.fr
C'est un bel ouvrage à offrir ou s'offrir ( 25 euros + 3 euros de frais d'envoi)
***LE SITE D'ODILE une adresse : mail@odile-verlag.de
La biographie d'ODILE CARADEC
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