" Déserté, le Palais El Glaoui part à vau-l'eau, alors que ce pourrait être la plus belle des maisons d'hôtes. Ce n'est pas la plus grande ni la plus fastueuse, mais la plus attachante de ces demeures à l'abandon. Avec des chambres à salles de bains autour des patios, des balcons, une terrasse couverte à l'est comme promenoir d'altitude. Et de lourdes et hautes portes, des stalactites de stucs suspendus sur le tournoiement des rosaces. En attendant sa résurrection, les herbes sauvages des terrasses fissurent les plafonds peints, des crevasses trouent les balcons, et cette beauté fragile et éphémère, hymne à la douceur de vivre, retourne à la poussière."
" Abdelkhalek Boukhars (Abdou) , petit-fils du représentant du pacha Glaoui, est désormais le gardien du palais où il est né. Il s'est fait la mémoire des demeures abandonnées de la médina.
Abdelkhalek est amoureux fou de son palais : 13 000 m2, 17 corps de logis avec patios, 1 000 pièces, deux jardins, 30 fontaines, une école coranique, un bain maure pour les hommes, un pour les femmes, un four, un moulin à huile, un à grain, des écuries. La cuisine, au centre, communique avec les 17 édifices. Avec, pour seul rival, le palais Mokri, la grande maison est le plus beau palais de Fès."
J'ai aimé lire " Un conte de Fès " de Christophe Ayad paru dans libération en 2002 :
" Je m'appelle Abdelkhalek Boukhars mais on me surnomme Abdou. Je suis le gardien du palais al-Glaoui et le descendant d'une famille berbère de Telanat, près de Ouarzazate. Mon grand-père est arrivé il y a cent ans à Fès. Il était le représentant du pacha Glaoui dans la ville. Il s'occupait de ses affaires, c'est lui qui dirigeait le palais quand le pacha n'était pas là. Il avait même procuration écrite. Mon grand-père, comme le Glaoui, appartenait aux tribus ghaouas qui existent depuis le XVIIIe siècle. Ces tribus sont dirigées par sept grandes familles et la septième était celle du Glaoui, qui était un chef militaire, politique et spirituel.
Je suis né en 1951 dans le palais du Glaoui. C'était avant l'indépendance. Sous le protectorat, c'était le pacha et les gens de tribus qui gouvernaient. Le Glaoui Thami était l'allié des Français. Il avait quatre femmes et le palais avait un harem : chaque femme avait droit à un certain nombre de concubines pour la servir. Il y avait même une école coranique dans le palais. Ma mère n'a jamais quitté le palais entre le jour de son mariage, dans les années 40, et l'indépendance en 1956. Elle était heureuse, elle ne manquait de rien. Elle a même fait le pèlerinage à La Mecque avec la grand-mère de l'actuel roi. C'était la belle époque.
Chance. Après la mort du pacha, ça a été la mort du palais. Les biens du Glaoui ont été confisqués un certain temps. Nous, on vivait là comme chez nous, alors on est restés. Pendant les quatre premières années après l'indépendance, on a vécu de nos biens. On a vendu nos meubles, les diamants des femmes. Puis il a bien fallu vivre. Ma mère a trouvé du travail chez le secrétaire particulier de Hassan II puis chez la petite-fille du Glaoui. Elle a dû déménager à Rabat. Mais j'avais 10 ans, je suis resté dans le palais avec mon grand-père. Mon père a travaillé comme artisan dans la mosaïque puis comme jardinier. C'est la vie. Mais on a eu de la chance, on a été bien éduqués, on a vécu dans le luxe un certain temps. Aujourd'hui, on gagne notre vie, on n'a pas peur de l'avenir, parce qu'il est entre nos mains. Mon père est mort en 1970, ma mère en 1980. Maintenant, je suis l'aîné des descendants de cette famille. Et ce que j'espère le plus au monde, c'est que quelqu'un restaure ce palais où je suis né. Trois de mes oncles sont enterrés sous ce figuier. Il y a deux ans, on a fêté ici le mariage de mon frère.
J'y vis avec ma famille et j'ai fait le nécessaire pour le garder dans le meilleur état. Je ferme toutes les portes avec un cadenas pour que les voleurs ne les emportent pas. Les fontaines en marbre, je les ai cachées dans une pièce à l'abri. J'arrose les céramiques pour éviter qu'elles n'éclatent. Mais je ne peux pas tout faire tout seul : le palais couvre 13 000 m2 répartis en 17 maisons. Il y a plus de mille pièces, 4 000 portes et fenêtres, deux grands jardins, un cimetière, des bains maures, un four, un garage. Pas une pièce n'est semblable à une autre. C'est là qu'est garée la première voiture anglaise qui est entrée au Maroc, une Bristol blindée offerte par Churchill au Glaoui. En échange, le Glaoui lui avait offert deux chevaux. Tout le mobilier était en double, marocain et européen. La cuisine fonctionnait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et, quand le Glaoui était là, les cuisiniers préparaient pour chaque repas sept tagines différents et lui en choisissait un au dernier moment. Même les pains au chocolat étaient faits maison. Aujourd'hui, ce palais est en train de mourir et ça me fait mal au coeur. Dans le jardin, j'élève des chiens, des chats et des oiseaux... Dans le harem, j'ai dû consolider le balcon avec du plâtre. L'année dernière, un morceau du toit est tombé, j'ai mis les boiseries peintes à l'abri, mais, tout seul, je ne peux rien faire. Cet été, le préfet de Fès m'a contacté et il est venu visiter le palais. Il m'a promis une aide. Il n'y aurait pas besoin de grand-chose. Même l'indigo est encore tout frais, comme s'il avait été posé hier. Ma pièce préférée, c'est celle qui a été aménagée pour Lyautey avec une salle de bain moderne. C'est là que je peins et que j'entrepose mes tableaux. J'y dors l'hiver. Je suis en train de compter le nombre de motifs décoratifs différents : dans cette seule pièce, il y en a 250 à 300. J'ai accroché au mur le portrait de mon grand-père peint par Marguerite Delorme en 1922. Il porte une boucle d'oreille en or, une kharsa. C'est de là que vient notre nom de famille : Boukhars.
Deux heurtoirs. A Fès, il y a des centaines de palais plus petits. Surtout ici, dans le quartier d'al-Douh, ça veut dire le peuplier. C'est le quartier noble. Chaque fois qu'on voit des arbres ou des tuiles vertes sur un toit, il y avait un palais. Mais après l'indépendance, les descendants des gran des familles se sont installés dans la ville nouvelle, hors des remparts. Certains sont allés travailler dans un ministère à Rabat ou une banque à Casa. D'autres ont vendu leur maison ou l'ont partagée en appartements à louer. Deux-cinquièmes du palais Mokri (Premier ministre de 1917 à 1956, ndlr) ont été vendus et sont maintenant habités par des dizaines de familles. Un atelier de cordonnerie et des tailleurs se sont installés dans l'écurie. Les maisons nobles, on les repère au deuxième heurtoir en haut de la porte d'entrée : c'était pour permettre aux cavaliers de frapper à la porte. Les Fassis sont très jaloux de leurs secrets. Il n'y a pas longtemps encore, on n'avait pas le droit de percer une porte face à celle de son voisin. Tout le monde vivait caché et il n'y avait pas de fenêtre pour que les femmes ne regardent pas dans la rue. Le soir, après la dernière prière, on fermait les portes qui séparaient chaque quartier. C'était une vie très raffinée. Quand le roi venait à Fès, il annonçait sa venue la veille en jetant des petits poissons multicolores dans l'oued Fès. Les habitants les découvraient dans les fontaines de la ville. Mais maintenant, la rivière Fès est un égout.
Maisons d'hôtes. La famille du Glaoui n'a plus d'argent pour entretenir son palais, mais tous les héritiers ne sont pas d'accord pour vendre. La municipalité a proposé de le racheter pour 4,2 millions de dirhams (400 200 euros). Une somme de rien du tout. Même chose au palais Ababou. Les zelliges (carrelage de cérami que, ndlr) s'abîment, la peinture des plafonds s'écaille, les voleurs viennent piller les portes et les fontaines. Pour s'occuper de tout ça, il n'y a que la veuve du gardien. Mais, peu à peu, je vois que ça change. La nouvelle génération s'intéresse au patrimoine. Le banquier Omar Benjelloun restaure le palais Tazi. Ben Souda, le conseiller du roi Hassan II, a donné son riad (maison avec jardin) pour qu'il soit transformé en bibliothèque de quartier. Les enfants du pays ouvrent des maisons d'hôtes. Même les étrangers s'installent. C'est un bon signe et j'espère que ma ville va renaître."
http://www.liberation.fr/guide/0101430284-un-conte-de-fes
" Abdelkhalek Boukhars (Abdou) , petit-fils du représentant du pacha Glaoui, est désormais le gardien du palais où il est né. Il s'est fait la mémoire des demeures abandonnées de la médina.
Abdelkhalek est amoureux fou de son palais : 13 000 m2, 17 corps de logis avec patios, 1 000 pièces, deux jardins, 30 fontaines, une école coranique, un bain maure pour les hommes, un pour les femmes, un four, un moulin à huile, un à grain, des écuries. La cuisine, au centre, communique avec les 17 édifices. Avec, pour seul rival, le palais Mokri, la grande maison est le plus beau palais de Fès."
J'ai aimé lire " Un conte de Fès " de Christophe Ayad paru dans libération en 2002 :
" Je m'appelle Abdelkhalek Boukhars mais on me surnomme Abdou. Je suis le gardien du palais al-Glaoui et le descendant d'une famille berbère de Telanat, près de Ouarzazate. Mon grand-père est arrivé il y a cent ans à Fès. Il était le représentant du pacha Glaoui dans la ville. Il s'occupait de ses affaires, c'est lui qui dirigeait le palais quand le pacha n'était pas là. Il avait même procuration écrite. Mon grand-père, comme le Glaoui, appartenait aux tribus ghaouas qui existent depuis le XVIIIe siècle. Ces tribus sont dirigées par sept grandes familles et la septième était celle du Glaoui, qui était un chef militaire, politique et spirituel.
Je suis né en 1951 dans le palais du Glaoui. C'était avant l'indépendance. Sous le protectorat, c'était le pacha et les gens de tribus qui gouvernaient. Le Glaoui Thami était l'allié des Français. Il avait quatre femmes et le palais avait un harem : chaque femme avait droit à un certain nombre de concubines pour la servir. Il y avait même une école coranique dans le palais. Ma mère n'a jamais quitté le palais entre le jour de son mariage, dans les années 40, et l'indépendance en 1956. Elle était heureuse, elle ne manquait de rien. Elle a même fait le pèlerinage à La Mecque avec la grand-mère de l'actuel roi. C'était la belle époque.
Chance. Après la mort du pacha, ça a été la mort du palais. Les biens du Glaoui ont été confisqués un certain temps. Nous, on vivait là comme chez nous, alors on est restés. Pendant les quatre premières années après l'indépendance, on a vécu de nos biens. On a vendu nos meubles, les diamants des femmes. Puis il a bien fallu vivre. Ma mère a trouvé du travail chez le secrétaire particulier de Hassan II puis chez la petite-fille du Glaoui. Elle a dû déménager à Rabat. Mais j'avais 10 ans, je suis resté dans le palais avec mon grand-père. Mon père a travaillé comme artisan dans la mosaïque puis comme jardinier. C'est la vie. Mais on a eu de la chance, on a été bien éduqués, on a vécu dans le luxe un certain temps. Aujourd'hui, on gagne notre vie, on n'a pas peur de l'avenir, parce qu'il est entre nos mains. Mon père est mort en 1970, ma mère en 1980. Maintenant, je suis l'aîné des descendants de cette famille. Et ce que j'espère le plus au monde, c'est que quelqu'un restaure ce palais où je suis né. Trois de mes oncles sont enterrés sous ce figuier. Il y a deux ans, on a fêté ici le mariage de mon frère.
J'y vis avec ma famille et j'ai fait le nécessaire pour le garder dans le meilleur état. Je ferme toutes les portes avec un cadenas pour que les voleurs ne les emportent pas. Les fontaines en marbre, je les ai cachées dans une pièce à l'abri. J'arrose les céramiques pour éviter qu'elles n'éclatent. Mais je ne peux pas tout faire tout seul : le palais couvre 13 000 m2 répartis en 17 maisons. Il y a plus de mille pièces, 4 000 portes et fenêtres, deux grands jardins, un cimetière, des bains maures, un four, un garage. Pas une pièce n'est semblable à une autre. C'est là qu'est garée la première voiture anglaise qui est entrée au Maroc, une Bristol blindée offerte par Churchill au Glaoui. En échange, le Glaoui lui avait offert deux chevaux. Tout le mobilier était en double, marocain et européen. La cuisine fonctionnait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et, quand le Glaoui était là, les cuisiniers préparaient pour chaque repas sept tagines différents et lui en choisissait un au dernier moment. Même les pains au chocolat étaient faits maison. Aujourd'hui, ce palais est en train de mourir et ça me fait mal au coeur. Dans le jardin, j'élève des chiens, des chats et des oiseaux... Dans le harem, j'ai dû consolider le balcon avec du plâtre. L'année dernière, un morceau du toit est tombé, j'ai mis les boiseries peintes à l'abri, mais, tout seul, je ne peux rien faire. Cet été, le préfet de Fès m'a contacté et il est venu visiter le palais. Il m'a promis une aide. Il n'y aurait pas besoin de grand-chose. Même l'indigo est encore tout frais, comme s'il avait été posé hier. Ma pièce préférée, c'est celle qui a été aménagée pour Lyautey avec une salle de bain moderne. C'est là que je peins et que j'entrepose mes tableaux. J'y dors l'hiver. Je suis en train de compter le nombre de motifs décoratifs différents : dans cette seule pièce, il y en a 250 à 300. J'ai accroché au mur le portrait de mon grand-père peint par Marguerite Delorme en 1922. Il porte une boucle d'oreille en or, une kharsa. C'est de là que vient notre nom de famille : Boukhars.
Deux heurtoirs. A Fès, il y a des centaines de palais plus petits. Surtout ici, dans le quartier d'al-Douh, ça veut dire le peuplier. C'est le quartier noble. Chaque fois qu'on voit des arbres ou des tuiles vertes sur un toit, il y avait un palais. Mais après l'indépendance, les descendants des gran des familles se sont installés dans la ville nouvelle, hors des remparts. Certains sont allés travailler dans un ministère à Rabat ou une banque à Casa. D'autres ont vendu leur maison ou l'ont partagée en appartements à louer. Deux-cinquièmes du palais Mokri (Premier ministre de 1917 à 1956, ndlr) ont été vendus et sont maintenant habités par des dizaines de familles. Un atelier de cordonnerie et des tailleurs se sont installés dans l'écurie. Les maisons nobles, on les repère au deuxième heurtoir en haut de la porte d'entrée : c'était pour permettre aux cavaliers de frapper à la porte. Les Fassis sont très jaloux de leurs secrets. Il n'y a pas longtemps encore, on n'avait pas le droit de percer une porte face à celle de son voisin. Tout le monde vivait caché et il n'y avait pas de fenêtre pour que les femmes ne regardent pas dans la rue. Le soir, après la dernière prière, on fermait les portes qui séparaient chaque quartier. C'était une vie très raffinée. Quand le roi venait à Fès, il annonçait sa venue la veille en jetant des petits poissons multicolores dans l'oued Fès. Les habitants les découvraient dans les fontaines de la ville. Mais maintenant, la rivière Fès est un égout.
Maisons d'hôtes. La famille du Glaoui n'a plus d'argent pour entretenir son palais, mais tous les héritiers ne sont pas d'accord pour vendre. La municipalité a proposé de le racheter pour 4,2 millions de dirhams (400 200 euros). Une somme de rien du tout. Même chose au palais Ababou. Les zelliges (carrelage de cérami que, ndlr) s'abîment, la peinture des plafonds s'écaille, les voleurs viennent piller les portes et les fontaines. Pour s'occuper de tout ça, il n'y a que la veuve du gardien. Mais, peu à peu, je vois que ça change. La nouvelle génération s'intéresse au patrimoine. Le banquier Omar Benjelloun restaure le palais Tazi. Ben Souda, le conseiller du roi Hassan II, a donné son riad (maison avec jardin) pour qu'il soit transformé en bibliothèque de quartier. Les enfants du pays ouvrent des maisons d'hôtes. Même les étrangers s'installent. C'est un bon signe et j'espère que ma ville va renaître."
http://www.liberation.fr/guide/0101430284-un-conte-de-fes
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