ALEXANDRE DONNAT possède sans aucun doute la plus vaste collection de JABER de France et du monde entier .
Si vous habitez Reims vous aurez la chance d'en découvrir une petite partie à l'Hôtel Ponsardin jusqu'au 26 novembre ...
" L'univers de Jaber est unique, identifiable entre tous, par ses couleurs primaires et ses symboles répétés : des poissons, des souris, des arbres. L’œuvre comme l'homme est porteuse de joie.
Jaber est un personnage qui fait le saltimbanque sous vos yeux, chante, joue de la musique avec son corps. Je suis sensible à cette gaieté, à son sens du non sens. "
Et pour accompagner mes photos aujourd'hui un superbe entretien réalisé par FLORENCE ANDOKA en août 2015 ...
Il est rare d’être un jeune homme dans le monde des
collectionneurs, pourtant Alexandre Donnat a trente trois ans, et déjà
une immense collection d’art à son actif. A l’adolescence, il s’est pris
de passion pour l’art outsider, bien avant que n’advienne le retour en
grâce de l’Art Brut. Dans l’appartement où il vit, on est surpris par le
foisonnement baroque de couleurs et de matières, les œuvres ont envahi
tout l’espace.
Florence Andoka : Le
concept d’Art Brut, tel qu’il a été forgé par Dubuffet, fait-il sens
pour vous ? Cette idée vous semble-t-elle encore opérante dans le
contexte artistique contemporain ?
Alexandre Donnat : Je me reconnais dans cette
dénomination parce que je collectionne comme un artiste brut, je n’ai
pas appris l’histoire de l’art avant de collectionner des œuvres,
l’intuition est mon bagage. Même si par la suite j’ai fait mes classes,
ouvert quelques ouvrages, je sais tout de suite si un travail me
transcende ou non. Je suis aussi fasciné par l’artiste en tant
qu’individu, sa façon de procéder, son univers, sa manière de vivre.
C’est toujours dans l’instant que je décide d’acquérir une œuvre.
FA :Dans les expositions d’Art Brut, la
biographie des artistes est toujours mise en avant, comme si l’œuvre
était toujours le reflet d’une existence le plus souvent en marge. Dans
d’autres domaines de l’art le lien avec la vie du créateur n’est pas
affirmé avec autant de force. Qu’en pensez-vous ?
DA : On découvre aujourd’hui les tendances politiques du
Corbusier, mais dans le fond ça ne m’intéresse pas vraiment. On sait
bien que tous les hommes ont un côté sombre.
Les artistes ne me servent pas de guide. Cependant deux hommes ont
beaucoup compté dans mon adolescence et ce sont eux qui m’ont initié à
l’Art Brut.
FA :Comment a démarré votre collection ?
DA :J’avais quinze ans et j’ai rencontré deux prêtres,
Bernard Coutant et Pierre Callewaert. Le premier était très ami avec
Gaston Chaissac et le second a travaillé chez Utrillo. Ces deux prêtres
se sont rencontrés au séminaire où ils étaient un peu à part parce
qu’ils peignaient ce qui était mal vu à l’époque. L’Abbé Coutant est
mort en 2008, mais je vois encore Pierre Callewaert qui vit reclus et
avec qui j’ai des conversations passionnantes sur l’art, il est très au
prise avec l’actualité artistique parce qu’il est abonné à des revues
internationales.
Dans ma collection il y a des toiles de Callewaert et
c’est cet homme qui m’a offert ma première œuvre, une toile de lui qui
représentait une vue de Montmartre avec des nuances de bleu prussien.
C’est au cours d’un entretien croisé avec plusieurs collectionneurs dont
Antoine de Galbert réalisé par Françoise Monnin, rédactrice en chef
d’artension, que j’ai pris conscience que j’étais collectionneur. J’ai
toujours collectionné des choses, des cailloux lorsque j’étais enfant,
plus tard des timbres, des objets militaires, des images religieuses.
Ma collection d’art s’est constituée de différentes
manières. Par des achats mais pas seulement, il y a eu beaucoup de
transmission de la part des artistes. Parfois c’est aussi passé par des
échanges de services, notamment dans le quartier Beaubourg où de
nombreuses vieilles dames avaient récupéré des toiles de Jaber qui
aimait bien les femmes. L’homme est bien connu dans le quartier, il a
notamment donné de petits spectacles sur le parvis parce qu’il est aussi
saltimbanque, il aura bientôt quatre-vingt ans et fait partie des
maîtres de l’Art Brut. J’ai beaucoup accumulé de pièces, il m’en fallait
toujours plus. L’imagerie assez gaie des toiles de Jaber me fascine, on
retrouve toujours les mêmes symboles, des petites souris, des poissons,
des fleurs, des figures…
FA : Est-ce qu’il y a des thèmes qui structurent cette accumulation frénétique d’oeuvres ?
DA :L’accumulation est névrotique, cela m’échappe, comme
un manque à combler. Il n’y a pas de thèmes structurants mais c’est mon
intuition qui donne une cohérence à l’ensemble. Cependant, aucun médium
n’est privilégié.
FA : Vous avez également des photographies ?
Oui j’ai des photographies, mais pas forcément d’artistes bruts.
J’ai des clichés de TXO dont j’aime beaucoup l’univers, notamment une reprise du Syndic des drapiers
de Rembrandt. C’est un artiste savant mais très en marge du système.
J’ai également regroupé des photos anciennes d’anonymes, sur la corrida
notamment.
FA : On parle moins de la photographie brute, peut-être parce qu’elle se confond avec la pratique des amateurs.
DA :On a vu beaucoup Eugène Von Bruenchenhein ces derniers temps dans les foires d’Art Brut. Dans l’exposition, Mycelium génie savant, génie brut,
au Centre d’art contemporain de l’Abbaye d’Auberive, dont mon ami
Laurent Danchin était le commissaire, on a pu voir des photographies de
Jean-Paul Vidal, notamment sa série Jumeaux d’artistes.
FA : Vous m’avez dit collectionner également des œuvres expressionnistes.
DA : En effet j’aime aussi le travail d’artistes
expressionnistes, j’ai été amené à en rencontrer par le biais du
galeriste Tadeusz Koralewski. Leur production me ressemble assez.
« Expressionniste » ne signifie pas que ces artistes ne soient pas
méticuleux. Les artistes bruts sont aussi parfois très méticuleux, et
possèdent beaucoup de métier entre les mains. J’ai par exemple des
œuvres de Roger Decaux et Nicolas Alquin. Il y a aussi d’autres artistes
comme Ronan Barrot, qui est pour moi un très grand peintre, au trait
enlevé, puissant. Il y a toutes ces couches de peintures successives
pour atteindre le résultat et moi j’ai le sentiment au contraire que
cela enlève et creuse quelque chose au fond de moi. Cela me frappe en
plein corps.
FA : Vivez-vous parmi votre collection ?
DA : Parfois les gens me demandent comment je peux vivre
avec ces œuvres tout autour de moi. Il y a une différence entre
l’amateur et le collectionneur. Le premier se contente d’en avoir assez
pour animer ses murs, le second est envahi. L’accumulation peut aller
jusqu’à empêcher de pénétrer chez soi, pourtant aujourd’hui je ne tiens
pas à me séparer de ma collection, à la disloquer, je souhaite qu’elle
reste un ensemble. J’aimerais affiner les choix que j’ai faits.
FA : On assiste aujourd’hui à une
revalorisation de l’Art Brut au sein des circuits traditionnels de l’art
contemporain. Je pense en particulier à la revue Artpress qui a
consacré un numéro spécial à ce champ ou encore à la programmation de la
Maison rouge. Pourquoi ce changement ?
DA : Je crois que la société à besoin de cette
authenticité. Les artistes bruts ne sont pas à la recherche d’un
« truc », souvent ils se moquent que ce soit vu. L’expression est
brutale. J’ai été au fin fond des forêts du Vexin rencontrer des
créateurs qui sculptent des troncs. Ces artistes n’ont aucune
visibilité, parfois la presse locale fait état d’une exposition modeste
dans une salle d’aumônerie. Autrefois les collectionneurs fous allaient
chercher ces créateurs, maintenant ce sont des galeries spécialisées qui
le font. Il y a un marché considérable et l’on retombe dans les vices
du système. D’ailleurs l’équipe d’artpress était dans une niche
conceptuelle et maintenant s’intéresse à l’Art Brut parce que les gens
ont besoin de cette sincérité, de cette sensibilité humaine. Par
ailleurs, c’est vraiment l’histoire de la Maison Rouge et de la
collection d’Antoine de Galbert de donner une visibilité au travail des
artistes bruts. Je trouve que de Galbert effectue un travail
remarquable.
FA : Un artiste conceptuel serait-il forcément inauthentique, et dépourvu de sincérité ?
DA : En tous cas le concept, c’est autre chose. Il me
semble que l’artiste conceptuel ajoute quelque chose à la nature alors
que l’artiste d’Art Brut puise en lui, c’est inné, son geste correspond à
une nécessité vitale.
FA : En visitant
l’exposition de la collection ABCD Bruno Decharme à la Maison rouge, je
me suis demandée si finalement ce qu’on englobe dans l’Art Brut n’est
pas plutôt une recherche de la saturation et donc un renouvellement
formel, tant la dimension biographique me semble sans véritable
importance, ni cohérence. Les parcours des artistes concernés sont très
divers.
DA : Bien sûr, le terme d’Art Brut est polémique. Au
départ il s’agit de productions qui n’entrent pas dans le marché, qui
sont à la marge et aujourd’hui ce marché se développe.
FA : Et que dire d’artistes comme Yayoi
Kusama ou Louise Bourgeois qui ont un rapport avec la folie et donc une
certaine forme de marginalité et qui pourtant sont entièrement
reconnues par les plus grandes institutions ?
DA : En effet leur œuvre est intéressante, j’aime beaucoup les dessins
de Louise Bourgeois, mais combien de temps l’institution a-t-elle mis
pour reconnaître ces créatrices ? Bourgeois travaillait consciemment sur
la folie, être artiste était son métier.
FA : Suffit-il de ne pas connaître le succès, de ne pas être reconnu par l’institution, pour qu’un artiste soit sincère ?
AD :C’est vrai que les expositions de personnes
hospitalisées sont parfois complètement nulles. Mais je crois que dans
ces cas là, il ne s’agit pas d’Art Brut et que les organisateurs de ces
manifestations ne devraient pas employer ce terme.
FA : Vous exposez bientôt votre collection à Reims. Comment est né ce projet ?
AD : A priori l’exposition aura lieu en octobre 2015.
J’ai très envie de donner à voir ma collection, ça me plaît de faire
partager mon regard sur l’art, que l’on sorte émerveillé. Comme disait
Pierre Autin-Grenier, dans Analyser la situation : « Tout individu,
d’aussi basse extraction soit-il, a dans le cœur un amateur d’art qui
sommeille, un incommensurable besoin de s’élever l’âme qu’il ignore le
plus souvent, ainsi suffira-t-il d’une habileté sans scrupule pour le
faire entrer en deux coups de cuillère à pot dans le vaste monde des
collectionneurs de croûtes champêtres ou maritimes bien décidés à se
ruiner et leur descendance avec pour assouvir leur dévorante passion du
clinquant et du pompier. Pour l’aquarelliste c’est fortune assurée.
N’étant à moi seul aussi cruel que les sept péchés capitaux, toujours
empreint par ailleurs d’un vernis de bonne éducation, j’ai laissé
palettes et pinceaux à de plus inspirés qu’aucuns leur abandonnant les
honneurs de la cimaise et le soin d’en dégager les bénéfices qui les
tiendront à l’abri de la bohème toute une vie durant. »
Vendredi 13 novembre se tiendra une conférence sur la notion d’Art Brut et Singulier, avec la participation d’Anne-Marie Dubois Commissaire de l’exposition et Conservatrice de la Collection Sainte-Anne et de Françoise Monnin, Rédactrice en chef du magazine Artension. Elle sera animée par le collectionneur Alexandre Donnat.
Exposition gratuite et ouverte au public jusqu' au 26 novembre 2015
de 14h à 18h du lundi au samedi.
CCI Reims-Epernay
Hôtel Ponsardin 30 rue Cérès
51100 Reims
Hôtel Ponsardin 30 rue Cérès
51100 Reims
UN LIEN
L'ENTRETIEN RÉALISÉ PAR FLORENCE ANDOKA
CENTRE D’ÉTUDE ET DE L'EXPRESSION DE SAINTE ANNE
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