Nouvelle découverte d'OUTSIDER ART FAIR PARIS 2015, BERNADETTE TOUILLEUX présentée avec passion par JEAN GRESET .
LOUIS UCCIANI a eu la gentillesse de me donner ce texte, écrit en aout 2015, pour l'ouvrage
" BERNADETTE TOUILLEUX, LA CONSTRUCTIN DU REVE" :
Cet ouvrage est en vente à la Galerie et à la Halle Saint Pierre au prix de 8 euros.
LOUIS UCCIANI a eu la gentillesse de me donner ce texte, écrit en aout 2015, pour l'ouvrage
" BERNADETTE TOUILLEUX, LA CONSTRUCTIN DU REVE" :
La construction du rêve.
Quand
émerge, comme issu de nulle part, un ensemble d’objets référables à l’art, mais
en même temps dans une sorte d’étrangeté à lui, c’est la catégorie de l’art
brut qui semble le réceptacle le plus adapté. Quand Dubuffet introduit la
notion, il l’oppose à l’art culturel qu’il associe au mimétisme, face auquel il
agit « à partir seulement de ses propres impulsions ». L’invention,
dira-t-il, contre l’art du caméléon et du singe.
Michel
Thévoz nous fait d’autre part remarquer que c’est le destin de l’art que
d’évoluer en se décentrant par rapport au système de règles : « Les
artistes qui aspiraient à s’en libérer ont été tout naturellement amenés à
prendre appui sur d’autres systèmes. » L’art brut est un de ces systèmes
de substitution pour l’art de l’époque. Aussi quand, au détour de successions
diverses, apparaît un corpus d’œuvres de ce type, il peut être intéressant de
repérer le type de dialogue entretenu entre ces deux instances. Thévoz rappelle
que, si la production d’œuvres relevant de l’expression brute n’est prise en
charge qu’à partir de Dubuffet, auparavant, elle était détruite. D’autre part,
la traque et l’institutionnalisation de l’art brut sont en passe de lui retirer
son statut de système de substitution. Mais malgré cette dynamique, des œuvres
échappent et évoluent à l’ombre de tout spectateur. C’est le cas du travail de Bernadette
Touilleux (1924-2010) qui, alors
qu’il vient d’être découvert, nous livre une trajectoire du xxe
siècle, à l’ombre des strasses.
D’elle,
la seule trace actuelle sur le web, un avis de décès du 30 juillet 2010,
consulté 26 fois. L’intitulé est des plus sommaire : « Avis de décès,
Rive-de-Gier (42800) obsèques de Bernadette Touilleux, décédée à l’âge de 86
ans. » D’elle, encore deux memoranda
écrits l’un par sa sœur Madeleine, l’autre par sa nièce Martine Vigan. De ceux-ci se dégagent un
portrait, une trame de vie, sur laquelle elle semble n’avoir que peu de
contrôle. Benjamine d’une fratrie décimée, elle se retrouve ballotée par les
contraintes d’une vie familiale issue du siècle 19. On la dit nourrisson
difficile à nourrir, elle semble néanmoins avoir une enfance banale et sa
scolarité la conduit au brevet. Désireuse d’étudier elle devra abandonner le
projet et intégrer le commerce familial. Voulant prendre le large, confinée dans une mercerie, les clients voient
son état se détériorer. Elle est hospitalisée en psychiatrie. Stabilisée grâce
à une médication adéquate, elle fréquente assidûment la maison de la culture
locale, avec laquelle elle fera des voyages lointains : Chine, Russie… Au
détour d’une conférence, elle entend parler des dangers des médicaments. Elle
cesse toute prise. C’est alors que sa famille la voit se replier sur elle,
refuser tout contact et se mettre à bricoler papiers et bouts de bois, jusqu’à
produire un ensemble conséquent. Sa maladie peut être comprise comme une
bouffée délirante ayant conduit à une psychose grave, dont l’élément
déclencheur pourrait être la mort du père, en 1952 ; elle a alors 28 ans.
C’est, dans une même logique, à la mort de sa mère (1976), qu’elle refusera
définitivement toute médication ; elle est alors âgée de 52 ans. Son
contact avec la psychiatrie se ramène à une hospitalisation, relayée par une
chimiothérapie, expérimentale à l’époque, qu’elle arrêtera dans les années 60,
puis un traitement plus adapté ensuite, jusqu’à l’arrêt de 1976. Sa vie de
l’époque la montre sociable, soumise à sa famille, sans doute
« trop » protectrice, en « binôme » perpétuel avec sa sœur
de deux ans plus âgée. En même temps, une conjonction remarquable lie
l’institution psychiatrique et la famille, quand elle retrouve son frère
aumônier à l’hôpital, et quand c’est sa propre mère qui gère méticuleusement sa
prise de médicaments.
En 1986, elle a 62 ans ; alors
que la mercerie familiale est vendue et qu’elle vit avec son frère et sa sœur,
elle entre dans une phase compulsive d’achats par correspondance et s’inscrit à
des cours à distance, notamment français et histoire de l’art, qu’elle abandonne
cependant assez vite. C’est dans les années 1990 que s’achève cette phase
maniaque et qu’elle commence à peindre. Elle demeure alors dans la maison
familiale où elle cohabite avec sa sœur et son frère. Sa phase créatrice
s’achève en 2008 : « Ça y est, j’ai fini, j’ai assez
travaillé ; je prends ma retraite. J’ai le droit de m’arrêter.» En
fait, elle prolongera son travail jusqu’en juillet 2010.
Ce qui nous advient de sa
production, bien que parcellaire, de nombreuses pièces ayant été détruites,
délimite une œuvre assez complexe de par sa diversité. Nous ne sommes pas
confrontés à l’utilisation d’une médiation unique, déclinée de façon
systématique, mais à une force créatrice qui se développe à travers une
pluralité de supports et d’expressions. La tentation est de classer le travail
selon le support adopté, qui nous conduit à une lecture diachronique qui voit
se succéder les arrangements bricolés de bois, de carton et de plastique
récupérés, les dessins et peintures, les maquettes de scénographie, et les
photographies. Dans cette perspective, c’est la couleur qui domine, notamment
le bleu associé à l’ocre jaune. On y lirait la tension entre une terre comme
désertifiée, cependant apaisée et un bleu du ciel vu comme un accueil possible.
C’est dans cette conjonction que l’on trouvera une série de peintures sur bois
représentant en relief des personnages en costumes exotiques, comme croisés
dans des voyages lointains. Et c’est dans le bleu soutenu qu’elle trace une
étonnante carte de l’évasion. Un ciel habité d’objets volants, avions
représentés très fidèlement, qu’ils soient de guerre ou de ligne, des ballons,
des parachutes, un hélicoptère et bien sûr des oiseaux, l’ensemble sous des
lettres éparses qui écrivent comme un titre énigmatique : Les enfants de la science ou, sous un
autre angle, La science des enfants. Des
étoiles noires et, en bas à droite, le socle et la statue de la Liberté. En
apparence donc, un dessin du monde du ciel, où l’on lirait le savoir des
enfants comme une référence à leur capacité à meubler par accumulation. Mais
cette lecture entérine une dysorthographie : le mot SCIENCE y est écrit
SCYENCE. Mais est-ce si simple ? En effet, Scyence est une vieille orthographie anglaise, tombée en désuétude,
du mot scion, qui signifie quelque
chose qui a trait à la descendance et qu’on retrouve en botanique où il désigne
un rejeton. Le dessin est alors la lignée des enfants, ou les enfants de la
lignée. On y verrait une allégorie où le monde de l’envol, orienté par
l’emblème de la liberté, est né de l’enfance, est enfant de l’enfance.
Certes, si on le reporte à l’œuvre
produite par Bernadette Touilleux, nous serait livrée comme une clef, la clef
du sens de sa vie et de son œuvre. Alors peut-être les maquettes en forme de
scènes, un mur, deux colonnes en théâtre antique (tout cela en matériaux bruts
de récupération), un salon, mur et plancher bleu, aménagé, une boite contenant
un décor avec esquisse de perspective, apparaitraient comme des jeux pour
enfants. Comme ces maisons de poupées devant lesquelles l’imaginaire fabrique
ses projections d’adulte, les scènes de Bernadette Touilleux semblent ouvrir à
une vie rêvée avant d’être vécue. De cette vie réalisée, de ce vécu, les
photographies qu’elle entreprend de « constituer » dans la dernière
période de sa vie, la montrent comme au centre de dispositifs qu’elle élabore :
ceux-ci, son intérieur dans lequel enfin son intériorité semble avoir retrouvé
son corps. Une vieille dame dans son salon, on la devine encore habitée de la
coquetterie de sa jeunesse. Elle joue à montrer un accomplissement : celui
d’une vie qui s’est nouée à l’ombre des images qui l’emportaient dans la
rêverie. Et, en arrière-fond, l’ombre étrange et mystérieuse du frère, dont on
devine l’habit religieux.
(Photos Jean Daubas)
Cet ouvrage est en vente à la Galerie et à la Halle Saint Pierre au prix de 8 euros.
Merci à Jean Greset et à Louis Ucciani pour leur accueil ...
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