Les Grigris de Sophie ce sont bien sûr des broches, des colliers et des sacs … mais c’est aussi un blog !

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vendredi 24 mars 2017

VICTOR LEPETIT VU PAR PATRICK LEPETIT ... BIENTOT AU HANG ART DE SAFFRE







"Rêveur de genèses... " 1

 Dans l'esprit de la fameuse citation du Comte de Lautréamont, "La poésie doit être faite par tous. Non par un", mais en en élargissant considérablement le champ, Jean Dubuffet écrivait dans Asphyxiante Culture, en 1968, c'est-à-dire vingt ans après qu'il eût créé la Compagnie de l'Art Brut avec, notamment, André Breton, Jean Paulhan, Charles Ratton et Michel Tapié : "La production d'art ne peut se concevoir qu'individuelle, personnelle et faite par tous, et non pas déléguée à des mandataires". Et il est vrai qu'il est toujours resté, dans sa conception d'un art qu'on appelle aujourd'hui plus justement singulier que brut au sens strict, fidèle à la définition qu'il en donnait dès 1949 dans son texte "l'Art brut préféré aux arts culturels": "Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d'écriture, etc.) de leur propre fonds et non pas des poncifs de l'art classique ou de l'art à la mode. Nous y assistons à l'opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l'entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l'art donc où se manifeste la seule fonction de l'invention, et non celles, constantes dans l'art culturel, du caméléon et du singe".

Sans être totalement "indemne" de toute "culture artistique", même si celle dans laquelle il a longtemps baigné relève en effet de cet art qui "ne vient pas coucher dans les lits qu'on a faits pour lui"2, mais sans être passé par les plus ou moins "Beaux-Arts", Victor Lepetit, avec sa cohorte de petites figures nées du quotidien, correspond fort bien à ce que le créateur de L'Hourloupe nomme "l'Homme du commun à l'ouvrage".

Traversant, à la fin de ses études, en 2012, une période d'oisiveté forcée, Victor entreprend dans un premier temps, de faire des peintures sur le fer blanc de boites de conserves ou des morceaux de bois flotté ramassés sur les plages, puis se lance dans la fabrication, exclusivement avec des matériaux de récupération, de ses petits personnages, une grosse cinquantaine au total dans l'état actuel des choses, "pour (s)'occuper", pour passer le temps, car il en faut, sans doute, pour les faire venir au monde, sachant qu'ils sont faits en une seule fois : de huit à dix heures par figure, dont la moitié, à peu près, pour les accessoires qui lui donnent sa personnalité, deux à trois heures par véhicule quand véhicule il y a. Pour confectionner ces curieuses petites momies qui deviennent ramoneur ou cowboy, chasseur de papillons ou heureux pécheur, un poisson au bout de la ligne, à moins qu'elles ne s'apprêtent dans l'enthousiasme à repeindre le monde ou, révolutionnaires de papier, à le transformer, l'artiste - alors Rémois - fabrique d'abord, à partir de ces fils métalliques qui emprisonnent les bouchons de champagne une sorte d'armature rigide sur laquelle il place ensuite du papier journal, avant d'enrouler autour du tout, cousus de fil noir sans trop serrer pour ne pas que ça casse, des sachets de thé vidés et séchés, un matériau qu'il a toujours voulu utiliser ! Vient ensuite la confection des vêtements, la veste, - couleur lavis de thé - étant réalisée séparément puis enfilée sur la structure, sur laquelle sont directement cousues les manches, Victor s'étant donné pour règle, entre autres choses, de ne jamais utiliser de colle. Il ne reste plus qu'à les fixer sur leur socle de liège ou de bois flotté pour que la fête commence ...

Les idées surgissant de la rencontre fortuite, dans un livre, un film, une bande dessinée ou sur une photo, d'un sujet qui sera traité sans a priori, tout un monde ainsi prend vie, dans les tons rouge ou bleu, selon la période, des chaussures et de ces accessoires, souvent en liège, qui caractérisent, au sens propre, les figurines. Un monde de jardiniers qui poussent leurs brouettes au Jardin d'Hélène, de marins coiffés de bonnets à pompons ou de voyageurs, reconnaissables à leurs cartes et à leurs lourds bagages, de chasseurs, munis de machettes ou de fusils, et de soldats du feu, de musiciens avec leurs banjos ou leurs accordéons pour faire danser ce petit peuple, dont une dame au moins, à l'abri de son ombrelle, sous l'œil d'un porteur de haut-de-forme et de canne qui a tout du fameux Milord l'Arsouille des nuits parisiennes ! Beaucoup sont du reste pourvus de couvre-chefs divers, d'abord capsules de canettes, puis chapeaux cousus de belle facture, la dextérité étant venue à l'artiste avec la pratique, en même temps que le désir de représenter le mouvement, comme en témoigne cette écharpe qui semble flotter dans l'éternel présent où évoluent ces personnages ... Certaines des figurines, qui représentent des proches de Victor, ont le privilège d'être pourvues de chevelures, noires ou blanches, la matière première ayant été opportunément fournie par d'obligeants ovins rencontrés lors d'une escapade irlandaise !

Pour peu que l'on accepte l'analyse d'un Dubuffet qui voit dans la culture un dieu symbolique auquel il est devenu de bon ton de rendre un culte, on se trouve placé dans un contexte où certains artistes singuliers, aussi bien dans leur démarche que dans leur pratique artistique, font figure de dissidents du bel art, d'anachorètes pourrait-on même dire, à la manière un peu de ces moines irlandais, justement, qui se retiraient dans la solitude sur les péninsules les plus reculées de leur île pour vivre leur foi. Victor Lepetit, "rêveur de genèses", semble bien être de ceux-là !

Patrick Lepetit



1 Jean Dubuffet : Asphyxiante culture. Minuit, 1986.

2 Selon le mot de Dubuffet.



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