« Ce sont les gens normaux qui deviennent fous. Mais comme je ne l’ai jamais été, je ne risque rien »
(photos Google)
Laurent
Danchin : l’anti vaudou de Marilena Pelosi :
"Quand on lui décrit un
de ses dessins au téléphone, Marilena Pelosi en a la chair de poule. Il est
vrai qu’à première vue, ses anges bourreaux et ses « hommes mutés »,
survolés de bataillons d’abeilles à têtes humaines dans d’étranges laboratoires
où des initiées, aux corps transpercés de toutes parts, semblent soumises aux
rituels les plus pervers, son art, immédiatement reconnaissable, évoquerait
plutôt quelques séances de tortures sado-masochiste ou la sexualité déviante
d’obscures cérémonies d’envoûtement.
A dessiner pourtant
ces scènes si énigmatiques et dérangeantes, Marilena éprouve un plaisir proche
de l’extase. Vous y décelez de la souffrance ? Elle rit de bon cœur :
pas du tout ! Mais cette pluie de gouttes de sang ? Ce n’est pas du
sang, juste un liquide rouge quelconque. Quant aux abeilles, « ça peut
être par exemple un bourdonnement ». C’est que le dessin, dit-elle, est
d’une facture assez naïve, assez enfantine, parce que je ne sais pas dessiner,
et ça aide beaucoup ».
Dans sa jeunesse au
Brésil, passionnée de surréalisme, Marilena aurait bien voulu faire les
beaux-arts, mais comme elle dit heureusement que je n’y suis pas allée,
peut-être qu’on m’aurait appris à dessiner correctement ». Du coup elle a
pu inventer son propre code et sa façon personnelle de dessiner, une écriture
symbolique qui la rapproche des auteurs de l’art brut, surtout des dessinateurs
médiumniques, la seule famille artistique avec laquelle elle se sente vraiment en
affinité. Car quand Marilena se met au travail-« parfois deux dessins à la
suite dans le même jour »-l’image, en fait est déjà là, « accomplie
dans l’invisible », sa main n’a plus qu’à suivre ce qui lui est imposé.
« ca vient très facilement sans poser de questions c’est très drôle. Je ne
peux pas contrarier les dessins, ni les titres, ils doivent tellement être ce
qu’ils sont, ils ont comme une vie autonome. »
Pour ses petits
formats, bicolores, ou monochromes, elle utilise en général le feutre ou le stylo
bille, mais elle a aussi toute une production de grands dessins coloriés de
couleurs vives, réalisés le plus souvent sur papier calque, un support qu’elle
aime comme « un rêve dans un rêve ». Guidée par la scène à
« mettre sur le papier », elle n’a jamais fait de croquis préalable
et dessine directement, en ligne claire comme dans la BD, sans possibilité de
repentir. D’où des surimpressions et les corps transparents, la chaise ou le
lit vus à travers le personnage par exemple, comme des dessins d’enfants. Puis
l’image achevée, le titre s’impose : « Femme immortelle prise dans un
piège mortel », « Levier de revenance », « Manger sa
dernière chance de pardon »….
Comprend-elle pour
autant ce que sa main a tracé ? Comme un rêve complexe, difficile à
déchiffrer au réveil, les images de Marilena sont pour elle-même une énigme
qu’elle accueille sans la juger : « Moi-même je ne suis pas en mesure
d’expliquer. Tout ce que je sais, c’est que ça sort comme ça, et je ne discute
pas. Le mystérieux pour moi c’est toujours positif. Si le mystère n’existe pas,
la vie serait monotone et il serait inutile de la continuer ».
Obsessionnels, flottant parmi les fluides ou les effluves autour des corps
reliés par d’étranges cordons, quelques thèmes et symboles reviennent en variantes,
décrivant surtout l’univers de la femme, son corps, ses organes, ses
accessoires :le haricot, figurant sur les ovaires, les chevelures
immenses, les seins comme des fontaines, mais aussi le tricot ou les tresses,
les robes sur des cintres, les hauts talons ou le sac à main, en souvenir
peut-être des longues séances de maquillage où, petite fille, l’auteur
observait sa mère sans dire un mot.
Enfant Marilena était
quasi autiste, plongée dans une sorte de léthargie dont ne devait la tirer que le premier joint, fumé à
l’adolescence. C’est pour échapper au mariage forcé avec un prêtre de la
macumba, le vaudou brésilien, qu’elle a dû ensuite fuir son pays
définitivement. D’où une période de voyages et d’errance ponctuée par deux
mariages, au terme desquels elle a pu se reconstruire par la création. Loin
d’être un plaisir pervers, dessiner pour elle est une résurrection, un
exorcisme, le seul moyen sans doute de se libérer d’une enfance malsaine,
longtemps subie comme une maladie. « Si je ne dessinais pas ça, dit-elle
je serai morte. Mais je n’ai aucune pensée du Mal quand je le fais. Ce sont des
symboles d’une alchimie mentale qui est intense. » A ceux qui pourraient
la croire dérangée, elle objecte : « Je ne deviendrai jamais folle
parce que je ne suis pas très normale. Ce sont les gens normaux qui deviennent
fous Mais comme je ne l’ai jamais été, je ne risque rien. » Et en riant
elle ajoute : « Avec mes dessins, j’ai même guéri mon
psychiatre ». Guéri de quoi ? « De son indifférence. »"
CHEZ CHRISTIAN BERST 2009
CHEZ CHRISTIAN BERST
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